Liberté politique. — Que s'est-il passé le jeudi 7 octobre, à Strasbourg, au Conseil de l'Europe ?
Tugdual Derville. — L'assemblée parlementaire de cette organisation qui compte 47 pays membres (issus des parlements nationaux) était saisie d'une résolution visant à réglementer l'objection de conscience des soignants, particulièrement en ce qui concerne l'avortement.
Porté par quelques parlementaires socialistes, le texte impliquait une très grave remise en cause de ce droit qui est lié à la liberté de conscience : il entendait forcer les soignants objecteurs à pratiquer l'acte en cas d'urgence , alors que l'urgence est justement le moment où l'appel à la conscience est le plus nécessaire ; il prévoyait des listes officielles d'objecteurs, alors que l'on sait très bien que ce type de liste ouvre un boulevard à l'intimidation et aux discriminations professionnelles, tant à l'embauche qu'en cours de carrière ; il voulait aussi exclure du droit à l'objection de conscience les soignants participant indirectement à l'acte. Bref des entorses qui, poussées au bout de leur logique, auraient conduit à ruiner ce droit fondamental.
Je précise que le caractère contraignant de ce type de résolution est indirect mais réel, dans la mesure où les États membres sont poussés à mettre leur législation en accord avec les recommandations, tout cela avec l'appui de la Cour européenne des droits de l'homme, en cas d'action en justice...
Que s'est-il concrètement passé pour que ce vote, qui semblait peut-être acquis pour ses promoteurs, échoue ?
Il y a d'abord eu un magnifique travail de veille, au niveau européen, qui a permis d'anticiper les choses. Le mérite en revient à des organismes qui sont continuellement présents près des instances européennes. Je pense en particulier à l'ECLJ (European Center for Law and Justice). Son directeur, Grégor Puppinck, a pu prévenir divers mouvements nationaux et internationaux, et des personnalités politiques concernées. Et puis, chacun a joué sa partition.
Du côté de l'Alliance pour les Droits de la Vie, nous avons lancé par Internet une pétition à J-7, en trois langues. En une semaine, nous avons obtenu plus de 26 000 signatures, dont 4 500 soignants. Essentiellement des Français. Nous avons pu communiquer un premier résultat dès mercredi soir. Le Figaro du lendemain en a fait état, tout en enquêtant auprès de personnalités de toutes convictions, y compris favorables à l'IVG qui – pour plusieurs – se sont dites opposées au projet de résolution. Ce dernier s'était largement tramé en sous-main, dans des instances noyautées par les tenants d'une idéologie très hostile à la liberté de conscience. La levée de bouclier a été tardive, mais massive.
Comment la suite s'est-elle passée à Strasbourg ?
À Strasbourg, jeudi, plusieurs mouvements ont uni leurs forces : notre président, le docteur Xavier Mirabel, et notre secrétaire générale, Caroline Roux, s'étaient rendus sur place pour épauler notre équipe locale. Ils ont pu participer à une conférence de presse aux côtés des représentants de l'ECLJ, du Comité protestant évangélique pour la dignité humaine, de la Fédération européenne des associations familiales catholiques, de l'association Care for Europe, de l'Alliance mondiale de la jeunesse, etc.
La partie adverse était là, mais n'avait pas réussi à mobiliser. Nous avons aussi tenu une manifestation symbolique devant une banderole en français et anglais : Respecter la liberté de conscience des soignants. Xavier Mirabel a pu transmettre à Mevlüt Çavusoglu, président de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, le résultat de notre pétition. L'article du Figaro a été cité par plusieurs députés de différents pays pendant le débat qui a été très animé, avec le dépôt de 90 amendements.
À quel résultat le vote a-t-il précisément abouti ?
D'une certaine façon, on peut dire que la situation s'est inversée. Sur le plan politique, c'est le droit à l'objection de conscience des soignants qui a été solennellement réaffirmé ! Ce sont les amendements votés qui ont retourné la situation. Même le titre de la résolution a été modifié...
Le texte (dans sa traduction provisoire) stipule que ?nul établissement ou personne ne peut faire l'objet de pressions, être tenu pour responsable ou subir des discriminations pour son refus de réaliser, d'accueillir ou d'assister un avortement, une fausse couche provoquée [c'est-à-dire un avortement précoce] ou une euthanasie, ou de s'y soumettre, ni pour son refus d'accomplir toute intervention visant à provoquer la mort du fœtus ou d'un embryon humain, quelles qu'en soient les raisons.? De même est clairement rappelé le droit à l'objection de conscience.
Après avoir lancé une alerte – et la pétition – pour sauver l'objection de conscience des soignants , criez-vous victoire ?
Pas tout à fait. Nous sommes certes très satisfaits d'avoir contribué à mettre en échec les députés qui entendaient réglementer l'objection de conscience derrière la Britannique Christine McCafferty. Il suffit de les entendre : pour eux, c'est une déroute. Nous n'allons pas dire le contraire. Chaque signataire de la pétition peut être fier de savoir que sa voix a compté. Et toutes les personnes et associations qui se sont mobilisées dans plusieurs pays peuvent saluer ce résultat : il prouve qu'on peut déjouer certains pièges, à condition d'être très près de l'action et d'agir dans le bon tempo. C'est servir la démocratie que de donner l'alerte : nous l'avons constaté en voyant combien certains parlementaires étaient heureux de découvrir, derrière la proposition de résolution le pot aux roses : on tentait de leur faire avaler l'injustice sous couvert d'humanisme, de féminisme et de droit des patients à recevoir des soins légaux .
Deux bémols cependant. Première nuance : le détail du texte, même s'il est vidé de l'essentiel de sa substance nocive, conserve des formulations dont l'interprétation extensive peut vite glisser. Par exemple la pratique de l'objection de conscience par les professionnels de la santé fait l'objet d'un encadrement juridique et politique exhaustif et précis . On évite le pire, comme l'obligation d'agir contrairement à sa conscience, mais il reste des risques (voir aussi l'analyse de Fr. de Lacoste Lareymondie : Un succès qui appelle à la vigilance, Ndlr)...
Le second point de vigilance vient de l'état d'esprit qu'a révélé ce débat chez ses initiateurs : leur intention est bien d'étouffer toute objection
En tant que médecin, notre président Xavier Mirabel voit se développer une conception du service public qui traite le soignant comme prestataire de service fonctionnarisé , au profit des demandes du patient, alors que l'essence de la médecine, c'est d'être au service de la santé de ceux qu'on soigne, pas de leurs exigences, qui peuvent être injustes.
Et puis, cette affaire a délié les langues de professionnels de la santé. Beaucoup nous ont écrit pour dire qu'ils étaient mal notés ou écartés à l'embauche lorsqu'on connaissait leur clause de conscience. Punis même quand ils refusaient de poser un cocktail lytique : et cela se passe en France où l'euthanasie est illégale ! La clause de conscience y est déjà devenue très théorique pour certains, et l'alerte de jeudi montre que cela aurait pu empirer.
Quel rôle ont joué les médias français dans cette affaire ?
Les médias chrétiens ont été les premiers à donner l'alerte. Le site Libertepolitique.com de la Fondation de Service politique (Décryptage), et France catholique, Radio Notre-Dame puis La Croix avec une tribune de Xavier Mirabel, Famille chrétienne, la chaîne KTO également... Valeurs actuelles, RFI et Le Figaro ont aussi brisé le silence. Même si l'AFP a attendu la fin du vote pour communiquer sur l'opposition au projet, tout en la dénigrant...
Ce qui est extrêmement positif, grâce à l'Internet, c'est qu'un black-out médiatique n'empêche pas une telle action de résistance de se développer. Grâce aux multiples réseaux informels qui contournent le politiquement correct .
Mais nous nous attendons à des retours de bâton : s'affirmant mandatée par Canal+, Fiametta Venner, qui est une farouche militante des transgressions que nous contestons, était à Strasbourg hier pour tourner un reportage vidéo... Sans-doute prépare-t-elle un décryptage sévère avec les amalgames auxquels elle nous a habitués.
Votre succès renouvelle-t-il les perspectives d'action de l'Alliance pour les droits de la Vie ?
Nous ne voulons surtout pas nous attribuer le succès, car il est très difficile de savoir ce qui a finalement pesé pour un résultat aussi serré : 56 pour le projet amendé, 51 contre et 4 abstentions. Tout s'est joué à la marge. Ce sont d'abord les 56 députés qu'il faut remercier.
Il y a aussi tous les mouvements qui se sont complétés tout en assumant leurs différences confessionnelles, linguistiques, etc. L'Ordre des médecins, en France, s'est fermement opposé au projet le 7 octobre...
En ce qui concerne les perspectives, c'est depuis bien longtemps que nous suivons les remises en cause du droit à l'objection de conscience : dès le milieu des années quatre-vingt-dix, ses adversaires n'ont eu de cesse de le limiter et l'encadrer. Parce qu'au fond, il leur est insupportable d'imaginer que quelqu'un dise non . Or, comme le souligne souvent Xavier Mirabel : il y a des non qui sont libérateurs, jaillis du tréfonds de la conscience... L'Histoire le montre. Et les professionnels de la santé restent en première ligne pour ne pas se laisser inféoder à des lois injustes.
Alors, tout cela nous donne envie de défendre davantage les soignants, et de faire valoir concrètement leur droit – qui est aussi un devoir – à être les gardiens de la vie.
*Tugdual Derville est délégué général de l'Alliance pour les Droits de la Vie
Voir aussi :
François de Lacoste Lareymondie, Droit l'objection de conscience : un succès qui appelle à la vigilance, Décryptage, 8 octobre 2010
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