Se former peut paraître évident en vue d’acquérir une connaissance scolaire et, si nécessaire, universitaire, puis une compétence professionnelle. La formation est ainsi conçue comme le moyen normal d’acquérir les connaissances nécessaires à l’apprentissage de la vie personnelle et sociale. L’Éducation Nationale, les nombreuses écoles d’enseignement existent pour cela.
L’enfant reçoit donc une formation scolaire qui le mène du primaire au secondaire, puis au supérieur ou au professionnel. Ce temps marque la période de croissance de l’homme pour lui permettre d’appréhender la vie, puis de la mener pour lui-même et pour ceux dont il aura la charge. Á l’issue de ce temps de croissance intellectuelle et sociale, pour ne pas dire morale, l’homme mène sa vie, qu’elle soit personnelle, sociale, familiale et politique, au sens large du mot. Ce temps de formation dure à peu près vingt ans, plus ou moins selon la vie de chacun, incluant pour certains l’apprentissage qui unit formation et travail, théorie et pratique, dans des métiers surtout manuels, tels que l’artisanat ou l’agriculture par exemple.
Ensuite l’homme continue à se mettre à niveau ou à se tenir au courant des événements, des évolutions, ou davantage acquiert de nouvelles connaissances pour s’adapter aux conditions ou contraintes professionnelles, pour évoluer dans son métier ou changer d’activité professionnelle. Telle est la vie qui s’impose à chacun, afin de lui permettre d’obtenir un savoir-faire utile pour lui-même et dans la société. De l’âge adulte responsable à la vieillesse, la formation se prolonge par l’information, qu’elle soit intellectuelle, sociale, sociétale, historique, géographique, pratique dans les travaux manuels, etc. Les médias y concourent pour une part par l’information générale, les reportages ou les documentaires. L’informatique y tient une place sans cesse croissante, offrant des outils et des moyens facilitant l’acquisition de connaissances, démultipliant leurs possibilités. Tout cela peut être quantifié, mesuré par des niveaux acquis ou atteints. Mais la formation s’arrête-t-elle là ? Non, elle les dépasse.
Se former ne s’arrête pas à l’acquisition de connaissances utiles à la vie, celles dispensées par les établissements scolaires ou universitaires, de plus selon les dispositions établies par l’Éducation nationale. Par vocation, l’éducation n’est pas nationale ou collective, mais individuelle, mieux encore personnelle, au service de la personne.
L’homme est un être vivant, non seulement d’une vie végétative (se nourrir, se protéger), d’une vie sensible (travail manuel, rapport à la nature et aux autres), mais aussi et surtout d‘une vie spirituelle, car il a l’esprit. Qu’est-ce que l’esprit ? L’esprit n’est pas l’âme. L’âme est le principe de vie, le fondement qui unit en l’homme ses activités vitales, tandis que l’esprit, qui distingue l’homme des êtres vivants, le spécifie dans sa nature par les activités de son intelligence et de sa volonté : l’intelligence faite pour connaître et la volonté, pour aimer une personne. Ce fut le génie d’Aristote de découvrir puis de distinguer la puissance et l’acte, la capacité d’agir et l’acte proprement-dit, dans son étude de la cause finale.
L’intelligence possède une capacité de connaître à deux niveaux : pratique et spéculatif. Pratique, elle opère au niveau des activités sensibles de l’homme, dans son rapport à l’univers, donc à la matière ; spéculative, par sa capacité d’abstraire, de quitter la réalité concrète pour, du visible à l’invisible, en découvrir une part de la forme, de la conceptualiser et de l’analyser en quittant la réalité pour y revenir et mieux la comprendre pour elle-même. Car toute réalité est matière et forme, la matière en vue de la forme, telle l’harmonie de l’univers, tel le travail de l’artiste. La forme donne l’existence à la matière. L’intelligence a donc cette capacité de connaître les réalités, partant de leur exister et scrutant leur forme. C’est son activité foncière, et y parvenir exige de se former. Elle ne reste pas dans le devenir physique ou moral, elle le dépasse pour le comprendre et lui donner sens. Sinon, elle se limite, s’enfermant sur elle-même, au risque d’être empêchée de croître, donc de n’être pas vraiment elle-même. Cela signifie qu’un homme est intelligent quand sa capacité de connaître est ordonnée à sa fin, d’où au sens de la vie, l’être éclairant le devenir en le dépassant, et non le devenir enfermant l’être et le supprimant. C’est le savoir-être. Tout le problème est là. Telle est la part supérieure de la vie de l’intelligence. Ainsi croît-elle sans cesse par un travail sur elle-même à l’école de maîtres que la tradition offre à l’humanité depuis tant de siècles.
Par la volonté, l’homme possède une capacité d’aimer, d’être attiré par une réalité qui, saisie par les sens, puis scrutée par l’intelligence, est à l’origine de cette altérité qui l’ouvre à la relation à l’autre, un être animé ou inanimé, et qui, unie à l’intelligence, donne sens à sa vie: végétative pour ses besoins primaires, sensible pour ses besoins secondaires affectant sa vie sensitive, et spirituelle pour les besoins ou, plus exactement, les biens inhérents à sa nature profonde. Aussi, le besoin se situe-t-il à deux niveaux : le devenir (vie végétative, vie sensible ou sensitive) et l’être (vie spirituelle). Ce qui les différencie, c’est leur nature : l’une attachée, enracinée dans la matière, l’autre détachée, dépassant la matière et donnant sens aux deux activités inhérentes à la vie spirituelle : l’intelligence et l’amour. Ainsi, selon un ordre de perfection pour la croissance de la vie de l’esprit, le devenir est ordonné à l’être, comme le conditionnement de la vie l’est à la finalité, en étant purifié pour contribuer au bien de l’homme, comme le corps l’est pour l’âme.
Du départ dans la vie active à ses deux termes, l’un avec la retraite professionnelle et le départ des enfants dans leur vie, l’autre avec le ‘grand départ’, la formation spirituelle - intelligence et amour - s’avère d’une nécessité tout à la fois vitale et existentielle pour découvrir les exigences profondes de la vie et les accomplir, pour en saisir les conditionnements en dépassant les limites subjectives d’une pensée repliée sur elle-même dans le devenir, pour s’ouvrir à l’être et découvrir au terme sa source en Dieu.
Quelle que soit la vie de chacun, ses capacités, ses responsabilités et ses limites, cette recherche incessante, de nature contemplative, scelle la véritable amitié si rare entre les hommes, entre les personnes au sens fort du mot. Elle donne à la formation sa signification profonde, réelle, et sa véritable étendue, ouverte à la mesure de ces propres enjeux tout au long de la vie, surtout quand l’homme ayant atteint l’âge de la retraite professionnelle en découvre ou, mieux, se consacre à une autre, la retraite spirituelle, au sens large du mot, là où l’esprit se perfectionne dans sa dimension profonde, de l’être à Dieu, sa source créatrice pour l’éternité. Cette prise de conscience si importante permet à l’homme, ayant la foi, de ne pas tomber dans le fidéisme, malheureusement si fréquent chez bon nombre de chrétiens. La formation n’est donc pas réservée à la jeunesse. Elle la communique à tous les âges de la vie.
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