Le film "Timbuktu ou Le Chagrin des oiseaux" d'Abderrahmane Sissako (2014) a triomphé à la 40e cérémonie des Césars, où il a reçu sept prix dont le trophée du meilleur film et du meilleur réalisateur. Une œuvre poétique, non sans quelques défauts, couronnée par "l’esprit du 11 janvier"… et ses ambiguïtés sur la réalité de l’islam.
TOMBOUCTOU, au Mali. Non loin de la cité tombée sous le joug des extrémistes religieux, Kidane mène une vie simple et paisible dans les dunes, entouré de sa femme Satima, sa fille Toya et de Issan, son petit berger âgé de 12 ans. En ville, les habitants subissent, impuissants, le régime de terreur des djihadistes qui ont pris leur foi en otage. Finis la musique et les rires, les cigarettes et même le football…
Les femmes sont devenues des ombres qui tentent de résister avec dignité. Des tribunaux improvisés rendent chaque jour leurs sentences absurdes et tragiques. Kidane et les siens semblent un temps épargnés par le chaos de Tombouctou. Mais leur destin bascule le jour où Kidane tue accidentellement Amadou le pêcheur qui s'en est pris à GPS, sa vache préférée. Il doit alors faire face aux nouvelles lois de ces occupants venus d’ailleurs, c’est-à-dire qu’il va être soumis à la loi aveugle de la charia.
Sahel et terrorisme…
Il est impossible d’aborder Timbuktu sans y voir un film d’opposition politique. Cela crève l’écran dès la première scène qui montre dans un long travelling une gazelle qui donne l’impression de fuir et de vouloir échapper à un prédateur. Le spectateur pense que seul un guépard peut être la cause de cette course éperdue. Mais le deuxième plan répond à cette interrogation en montrant un véhicule pick-up 4x4 chargé de djihadistes qui poursuit l’animal en tirant des rafales de fusils automatiques. C’est la violence horrible, contre-nature.
La deuxième scène confirme le choix du discours politique puisque le cinéaste montre en plan très rapproché des œuvres d’art qui sont détruites en servant de cible à des exercices de tir. C’est la violence absurde et ridicule, contre la culture, la poésie et la beauté.
Enfin, rien n’échappant au spectre du fanatisme, la troisième scène d’ouverture du film oppose les djihadistes à l’imam de la mosquée de Tombouctou dont la « sagesse » reste totalement impuissante face à la violence et à la folie de ces intégristes islamiques. En trois petites scènes le décor est ainsi remarquablement planté, qui va servir à raconter l’histoire édifiante d’Ibrahim Ahmed, propriétaire d’un petit troupeau de vaches, qui va se retrouver condamné à mort par un tribunal islamique qui fait régner la terreur à Tombouctou et dans toute la région.
Une histoire vraie
Inspiré à l’origine par l'histoire vraie d'un jeune couple non-marié qui, pendant l'été 2012, a été amené par des islamistes au centre de leur village, placé dans deux trous creusés dans le sol, et lapidés jusqu'à ce que mort s'en suive devant des centaines de témoins, le récit principal, celui d’Ibrahim Ahmed, est habilement entremêlé avec d’autres (dont celui du couple enterré et lapidé) et tous ces récits visent à montrer toute l’horreur et toute la bêtise véhiculées par les terroristes de l’« Aqmi » en particulier et l’intégrisme islamique en général.
L’ensemble se déroule au rythme d’un chameau marchant dans le désert, sans bruit, sans esclandre, sans scènes spectaculaires, avec une sobriété et une absence d’artifices qui donnent une force vraie au propos du cinéaste. Sans aucun doute, il eut fallu rythmer très différemment le film dans un autre environnement, urbain par exemple. Mieux encore, le cinéaste essaie, et réussit, un mélange de registres en n’hésitant pas à utiliser l’humour et l’absurde (la femme folle au coq qui est la seule à pouvoir stopper les terroristes, les téléphones cellulaires en plein désert…) pour raconter des choses très sombres, rien moins que l’horreur subie en silence.
Des scènes fortes
La poésie est aussi au rendez-vous, comme dans cette scène étonnante de la partie de football jouée sans ballon pour déjouer l’interdiction de la police islamique de pratiquer ce jeu considéré comme une perversion. Cette très belle scène, qui surgit sans crier gare, restera sans doute dans les annales du cinéma comme la fameuse partie de tennis dans Blow-up (1967) de Michelangelo Antonioni.
D’autres scènes fortes, comme celle de l’interrogatoire d’Ibrahim puis celle de son jugement, restent, marquent, sonnent comme des fulgurances dans un quotidien fait de torpeur où les rapports humains semblent simples, sans éclats de voix, même dans l’oppression ou la rébellion. Timbuktu montre également des qualités picturales avec un sens de la composition de l’image, du cadrage et du jeu des couleurs.
Toutes ces qualités étant mises en avant, il convient toutefois de nuancer l’enthousiasme d’une critique qui présente Timbuktu comme un chef d’œuvre.
Un scénario chaotique
Le scénario n’est pas sans faiblesse, assez déséquilibré et chaotique dans la succession des histoires décrites en parallèle de la principale. À ce déséquilibre, s’ajoute une manière d’envelopper les personnages d’un silence certain, qui se veut celui du désert, et qui, s’il confère à ces personnages dignité, sagesse et humanité (même quand il s’agit des terroristes), fige souvent certaines scènes au lieu de leur donner l’intensité nécessaire. Le film devient alors trop lent, s’égare dans quelques scènes trop insignifiantes ou anecdotiques et perd de sa spontanéité au point de devenir parfois pesant comme dans l’allégorie de la gazelle poursuivie au début du film qui est remplacée à la fin du film par la fille d’Ibrahim, son petit berger et le mystérieux motocycliste qui courent éperdument.
Il faut admettre que l’oppression, l’horreur et la barbarie de l’islam intégriste ont été représentés avec souvent beaucoup plus d’intensité et de radicalité. Par exemple dans Les Chevaux de Dieu (2012) du franco-marocain Nabil Ayouch, qui prend comme point d’appui la préparation et l’exécution des attentats de Casablanca du 16 mai 2003.
Le bon et le mauvais islam
Un autre point doit être soulevé qui ne concerne pas la forme celui-là mais le fond. Les djihadistes sont présentés à deux reprises en face de l’imam de la mosquée de Tombouctou comme des musulmans qui font une interprétation erronée d’une religion qui, elle, est présentée comme une bonne religion, sous-entendu, une religion comme une autre… Dans une interview accordée au journal Le Figaro dans son édition du mercredi 10 décembre 2014 le cinéaste confirme qu’il croit à un islam bon. À la question d’Etienne Sornin et de Marie-Noëlle Tranchant — « Timbuktu peut-il faire écho au massacre des minorités chrétiennes en Irak ? » il répond :
"« Aqmi ou Daech, il n’y a pas une grande différence. L’obscurantisme est le même, en particulier dans le rapport à la femme, nourri par un salafisme wahhabite qui n’est pas ma culture. Dans mon islam, la femme est l’égale de l’homme. Les hommes se battent aussi mais les femmes sont courageuses et fortes. »
"
Un piège de bonne foi
C’est un piège tendu involontairement par le cinéaste, de bonne foi pourrait-on dire, ce qui nécessite qu’il soit signalé et souligné. Nous entrons dans une époque où de plus en plus de films aborderont le sujet et les problématiques liées à l’islam et les spectateurs ne doivent jamais perdre de vue que, s’il existe de bons musulmans, l’islam est une construction totalement artificielle, un système social et politique monté de toute pièce quelque sept cent ans après l’avènement du christianisme de la rivalité entre juif et arabe au sujet du temple de Jérusalem.
Le véritable islam
On peut se référer pour cette question fondamentale à la thèse du père Édouard-Marie Gallez, docteur en théologie et histoire des religions, Le Messie et son prophète, qui a donné lieu à un condensé de 80 pages « Le Grand secret de l’islam », disponible en téléchargement libre sur l’internet :
"« L’islam n’est pas le résultat d’une révélation divine – ou de la prédication de Mahomet – mais celui d’un processus très long et très complexe de réécriture de l’Histoire, s’enracinant dans des croyances juives et chrétiennes dévoyées, et manipulé par les premiers souverains musulmans pour satisfaire leurs visées de domination politique. »
"
Cette parenthèse importante étant faite, on peut se laisser aller à apprécier ce plaidoyer contre l’obscurantisme islamique comme un acte de résistance aux accents poétiques.
Bruno de Seguins-Pazzis
Avec : Ibrahim Ahmed (Kidane), Toulou Kiki (Satima), Abel Jafri (Abdelkrim), Fatou Diawara (Fatou, la chanteuse), Hichem Yacoubi (un Djihadiste), Kettly Noël (Zabou). Scénario : Abderrahmane Sissako et Kessen Tall. Directeur de la photographie : Sofian El Fani. Musique : Amine Bouhafa.
Récompenses : Prix du jury œcuménique et Prix François-Chalais au Festival de Cannes (2014), Bayard d'or du meilleur film, Bayard d'or du meilleur scénario et Prix du jury junior au Festival international du film francophone de Namur (2014). César du meilleur film et du meilleur réalisateur (2015).
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