L’intelligence et le cœur…Tels sont les deux mots qui peuvent définir le huitième film de Cheyenne Carron (courts métrages compris), L’Apôtre, devenue par le baptême à Pâques Cheyenne-Marie Carron.
BANLIEUE PARISIENNE. Akim est un jeune musulman qui se destine, avec son frère Youssef, à devenir imam. La sœur d'un prêtre catholique de son quartier est assassinée par un voisin. Ce prêtre décide de continuer à vivre auprès de la famille de l'assassin, car il sent que cela les aide à vivre. Interpellé par cet acte de charité, Akim s'engage dans un chemin de conversion au christianisme, qui va l'opposer à son frère et à l'ensemble de sa communauté. Par son attitude chrétienne il ébranlera aussi son frère Youssef. Avec : Fayçal Safi (Akim), Brahim Tekfa (Youssef, le frère), Sarah Zaher (Hafsa, la soeur), Salah Sassi (Abdellah), Norah Krief (Maya, la mère), Yannick Guérin (le prêtre, Père Fauré).
L’intelligence
L’intelligence réside dans cette façon limpide de mettre en évidence le mur doctrinal quasiment inviolable que constitue l’islam avec le Coran. Le héros, Akim, et le spectateur à travers lui, se heurtent tout au long du récit à ce mur infranchissable.
L’intelligence aussi parce que si le film s’attache à mettre en évidence la pression du milieu familial musulman sur Akim, la déstabilisation aussi de la famille suite à sa conversion, le film ne contient aucune insulte, aucune scène outrancière vis-à-vis des musulmans et de l’islam en général et ne tombe pas dans le piège du manichéisme.
S’il montre l’attitude hostile des musulmans envers les « apostats », c’est par un souci de vérité, mais cela est fait avec une vraie volonté de lutter contre des préjugés : ceux que les Français de tradition chrétienne peuvent avoir contre les musulmans, mais sans doute plus encore ceux que les musulmans ont à l’encontre des chrétiens et la mise en relief des à priori et de leur violence a de quoi faire réfléchir. Tout est traité avec un grand respect de chacune des croyances des protagonistes, chrétiens ou musulmans, avec leurs doutes et leurs certitudes.
Le cœur
Précisément, car seule la charité peut permettre de surmonter cet obstacle presque physique. Ici la charité se manifeste à deux niveaux. Elle s’exprime à un haut niveau au travers de l’exemple du prêtre qui déclenche chez Akim un choc émotionnel qui lui permet de sortir de l’enceinte islamique dans laquelle il est enfermé par sa naissance et son milieu.
À un niveau plus modeste, ordinaire ou quotidien pourrait-t-on dire, la charité se manifeste par le geste d’un jeune père de famille blanc qui propose son aide à Akim après un petit accident de la circulation.
Le cœur aussi parce que la cinéaste au travers de son film rend un hommage particulier à l’abbé Faure qu’elle a connu dans son enfance et sa jeunesse. Ce prêtre a perdu sa sœur, étranglée par le fils de ses voisins, des musulmans d’origine marocaine. En dépit de ce drame, l’abbé Faure est resté dans ce village pour continuer son ministère proche des parents de l’assassin car « sa présence les aidait à vivre ».
À ce propos la jeune réalisatrice précise : « Ce n’est pas mon but d’encourager les spectateurs à la conversion ; mon idée, c’est de laisser une trace de la bonté de cet homme. Des DVD circuleront, des gens iront le voir au cinéma, et on se souviendra de cet homme [1] ».
Des dialogues justes
Le film est réalisé avec des moyens très limités puisque le budget s’est élevé à quarante-cinq mille euros. Malgré ceci qui affecte quelque peu la réalisation (des images qui tanguent un peu trop en raison d’une caméra tenue au poing pour des raisons économiques, des raccords de séquences abrupts), le film est d’assez bonne facture, basé sur une construction scénaristique solide, des dialogues justes, il est nerveusement mis en scène et finalement plein d’énergie.
On regrettera une chose, le dernier plan qui montre Akim et son frère Youssef, réconciliés comme frères, mais qui prient leur Dieu côte à côte, chacun à sa façon. Cette image si elle veut montrer cette réconciliation humaine de deux frères de sang a le défaut majeur de donner à croire au spectateur non formé que la religion catholique et l’islam, c’est au fond la même chose, mettant ainsi sur le même plan la vérité et l’erreur.
D’ailleurs, la question se pose de savoir si le film n’aurait pas pu s’arrêter plus tôt pour éviter cette fin en forme de happy end. Et dans cette perspective, il est vraisemblable que le moment idéal se situe lorsque la famille d’Akim réunie autour de l’oncle et imam le convoque et qu’il lui est demandé de confirmer son appartenance à l’islam. Juste après la question posée, le film pouvait se terminer sur le visage d’Akim, l’instant avant qu’il ne réponde ! La soudaineté de cette chute aurait eu l’avantage de donner une grande force au propos, de faire toucher du doigt au spectateur toute la gravité de la situation et de rester au cœur du problème. Moi, chrétien, que vais-je répondre si un jour il m’est demandé d’abjurer ma foi ? Toute la question est là !
Un mouvement de métanoïa
Mais, et c’est sans doute le plus extraordinaire, simple dans ses moyens et sa forme, le film est tellement sincère et vrai qu’il parvient à faire poindre à fleur d’image, au-delà de l’espérance et de la charité qui l’irradient déjà, ce « phénomène » si difficilement représentable qu'on appelle la foi : une grâce qui peut vous tomber dessus sans crier gare. Dieu vient rejoindre Akim dans sa volonté d'être un musulman exemplaire alors qu’il se prépare à devenir imam, et lui montre qu'au-delà des traditions reçues, toute idée que l'on se fait de Lui est nécessairement incomplète et, bien souvent, à l'image de nos propres limites…
Ce mouvement de métanoïa est très finement restitué et rendu notamment perceptible par le jeu tout en subtilité et sincérité du jeune Faycal Safi qui interprète Akim. Le film devient alors lui-même apôtre, ce qui est la volonté de Cheyenne-Marie Carron qui veut « être apôtre en passant des messages chrétiens par le cinéma » : « Je ne peux pas évangéliser, c’est la grâce qui doit permettre de s’exprimer. Je ne suis qu’un instrument de la bonne parole. [...] Les gens ont soif de spiritualité plus que jamais, et la percée du cinéma catholique n’est pas un phénomène qui va passer de sitôt. La France a besoin de beau, de grâce et de grandeur. »
Injustement maltraité
Voilà un film qui, déjà à l’origine privé de tout financement du Centre national du cinéma, mériterait d’être correctement distribué et qui est injustement maltraité par les réseaux professionnels de distribution.
Heureusement, la fondation catholique Capax Dei au Festival Mirabile Dictu a su réparer partiellement cette injustice en récompensant ce film pour le talent, pour le courage dans la prise de risque et pour son message universel et donc catholique.
Bruno de Seguins-Pazzis
Avec : Fayçal Safi, Brahim Tekfa.
Récompense : Prix spécial de la fondation Capax Dei au festival Mirabile Dictu (2014).
La bande annonce
On peut se procurer le DVD du film sur le site de l'auteur : http://www.cheyennecarron.com/band6.php
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[1] Propos recueillis par Rue 89, Le Nouvel Observateur.com, 30/08/2014.