Au prix d’un effort douloureux et dont l’ampleur reste à l’heure actuelle encore à déterminer, la France se décide à agir en Syrie aux côtés de la Russie contre l’État islamique. Malgré les circonvolutions dont les diplomates et leur ministre ont le secret, il s’agit bien d’un retournement politique d’envergure. La ligne idéologique de Laurent Fabius – ni Bachar ni Daech – semble abandonnée.
Cette politique reposait sur la supposée existence de démocrates syriens (sans doute les mêmes que l’on cherche encore vainement en Libye) et sur le renvoi dos-à-dos du dictateur de Damas et de l’État islamique. On le sait, la Russie de Vladimir Poutine s’y est sans cesse opposée, considérant le maintien de Bachar el Assad comme la meilleure solution pour la défense de ses intérêts.
En septembre dernier, le maître du Kremlin franchit une nouvelle étape en envoyant son aviation bombarder les forces rebelles, islamistes ou non d’ailleurs. François Hollande rejeta alors la proposition russe d’une grande coalition. « Assad est le problème, il ne peut être la solution » déclara le président à la tribune de l’ONU.
Guerre juste
Or, le Saint-Siège adopta très tôt une ligne différente. La chute de Mossoul en juin 2014 provoqua une panique à la Curie qui comprit immédiatement la portée d’un tel évènement. La suite des évènements lui donna raison : une atroce persécution s’abattit sur les chrétiens d’Orient, pourchassés, brutalisés et crucifiés. Ce brusque retour d’un État totalitaire expansionniste a en fait réactivé la théorie de la guerre juste.
Le pape François, en août 2014, ne mâcha pas ses mots. Il est, selon lui, « licite d’arrêter l’agresseur injuste ». Cet appel à une intervention armée s’adressait aux grandes puissances, immobiles devant ce que le souverain pontife qualifie sans ambiguïté de génocide des chrétiens d’Orient. Certes, une solution politique sans recours aux armes rencontrerait davantage la faveur du Saint-Siège. Mais au point où en sont les choses, il devient clair que seule la force militaire arrêtera le califat.
L’option russe
Persuadé de faire face à ce qu’il appelle une « troisième guerre mondiale par morceaux », c’est-à-dire asymétrique, non déclarée et hors des champs de bataille traditionnels, le pape argentin a abandonné la position qui avait été celle de Jean-Paul II lors des deux guerres du Golfe, à savoir une défense intransigeante de la paix. Mais il ne pouvait compter sur la position frileuse des États-Unis d’Obama face à une nouvelle aventure guerrière au Moyen-Orient. Et il comprit très tôt que, sur le théâtre syrien, la résolution du problème passait par la Russie qui reprenait le rôle de protectrice des chrétiens d’Orient abandonné par la France.
Sur la route de Damas, le successeur de Pierre rencontra donc Poutine. La convergence géopolitique, déjà nette sous le pontificat de Benoit XVI, s’est accentuée sur la Syrie.
En effet, la défense des chrétiens constitue un des facteurs poussant Moscou à défendre, avec une continuité remarquable, le maintien du régime d’Assad, le seul à garantir la protection des minorités. Rome a multiplié les signes favorables : soutien aux efforts de Poutine pour empêcher en août 2013 une intervention armée contre Bachar el Assad, ardemment voulue par le président Hollande (ainsi que par Nicolas Sarkozy un an plus tôt, rappelons-le) ; rédaction en commun d’un rapport présenté au Conseil des droits de l’homme de l’ONU en mars 2015 ; réception officielle de Poutine au Vatican le 10 juin de la même année.
La position du Saint-Siège peut ainsi être résumée :
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Le recours à la force est licite.
♦ La communauté internationale doit former une coalition pour vaincre le califat.
♦ Elle doit agir avec le feu vert de l’ONU, seule instance légitime à valider le recours à la force.
♦ La Russie est un acteur incontournable ; il faut donc l’intégrer à cette coalition.
♦ Il faut y associer aussi des États musulmans.
Le retournement de la France
Après avoir rejeté l’offre de Vladimir Poutine pour une action commune, François Hollande s’y rallie suite aux attentats du 13 novembre. L’armée française opère dorénavant en liaison avec la Russie. Le 20 novembre, le vote à la demande de la France de la résolution 2249 par le conseil de sécurité de l’ONU, outre qu’elle désigne l’État islamique comme l’ennemi, ouvre la voie à la formation de la coalition demandée par le souverain pontife.
Les efforts russes pour se rapprocher de la Jordanie et de l’Arabie saoudite – en plus de ses liens avec l’Iran – devraient permettre de les insérer dans la stratégie d’endiguement du califat.
Ainsi assistons-nous à un renversement de situation conforme aux vœux de la diplomatie pontificale qui fait une fois de plus preuve d’une cohérence et d’une clairvoyance remarquables.
Frédéric Le Moal enseigne la géopolitique et l’histoire des relations internationales à l’Institut Albert-le-Grand (Angers).
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Merci pour la clarté de votre exposé ! KtSy