Reconnaître le besoin de morale, c'est bien, et c'est ce que demandent les Français, (favorables à 91%, selon un sondage de l’IFOP pour Dimanche Ouest France). Vincent Peillon a su ici toucher une corde sensible.
Mais recycler le cocktail d’endoctrinement et de supposée émancipation que popularisait la IIIe république ne fera plus l’affaire.
Car à l’époque les fondements de la morale étaient encore largement consensuels. Ce qui n’est plus le cas dans notre contexte postmoderne.
On a besoin de valeurs morales communes. Mais il n’y a pas de morale qui soit le fruit du jeu incontrôlé des préférences de chacun : la morale, c’est la question du bien et du mal ; et le bien et le mal sont objectifs ou ils ne le sont pas. Pas toujours facile à discerner, certes. Mais hors de portée si on ne reconnaît pas qu’ils ne sont ce qu’ils sont que s’ils s’imposent à nous comme vérités objectives. En bref, comme loi naturelle. Ce que démontre ici Pierre de Lauzun en réponse à Vincent Peillon et à Chantal Delsol pour qui les morales sont irréductibles.
Vincent Peillon, Ministre français de l’Education nationale, s’est prononcé en faveur d’un retour de l’enseignement de la morale à l’école. L’idée a l’air de plaire car les gens sentent qu’il y a un problème du côté de la morale. Mais naturellement ce n’est pas si simple, et comme à l’accoutumée, le marketing politique cache de drôles de marchandises.
Pour simplifier, le bon M. Peillon affirme en fait trois choses : d’abord qu’il existe une morale en soi, connaissable ; ensuite qu’elle est émancipatrice et s’oppose aux déterminismes et aux particularismes. Et enfin que c’est l’Etat républicain qui la connaît, bien mieux que les citoyens, pauvres choses engluées dans leurs déterminismes.
Ce qui, si on y réfléchit, est tout à fait bizarre. Car s’il existe une morale en soi, elle est objective. Une morale objective, c’est ce qui est clairement affirmé par l’idée de loi naturelle, pour qui il y a des choses qui sont bien ou mal en soi. Par exemple respecter la vie est bien ; voler ou mentir est mal. Mais le support naturel de la connaissance d’une telle loi n’est pas l’Etat : c’est en dernière analyse la conscience de chacun. Même si, naturellement, cela prend forme à travers des conceptions philosophiques ou religieuses et un apprentissage social.
Vincent Peillon, lui, fait l’inverse. Il suppose à l’Etat républicain une capacité intrinsèque à discerner le bien, une sorte de connaissance innée que les personnes n’ont pas. Un bien identifié aux ‘Lumières’ dont rêvait le XVIIIe siècle avant les grands massacres qu’elles ont inaugurés : une « morale » d’émancipation de l’individu par rapport à tout impératif s’imposant à lui. Donc le contraire d’une morale objective… Mais quand les Français plébiscitent l’enseignement d’une morale, ce n’est pas ce qu’ils visent. Ils veulent qu’on apprenne aux enfants à bien se comporter, car on ne voit que trop que la sottise soixante-huitarde ne conduit qu’à la barbarie. Ils veulent donc une vraie morale. Ce qui suppose une idée du bien, en soi.
La morale du bien objectif et universel
Naturellement, dans la pratique, on sait que si les principes de base de la morale sont communs et assez clairs, il existe une multitude de façons de concevoir les conséquences. Ainsi quand on dit : ‘tu ne tueras pas’. Chantal Delsol nous le rappelle à raison. Mais elle en déduit (dans le Figaro du 7 septembre) que cette multiplicité est irréductible, comme le montrent dit-elle les exemples de la peine de mort et de l’avortement ou de l’euthanasie. Or la logique de la loi naturelle est différente ; elle ne peut se résigner à des morales irréductibles. Car elle part de l’idée simple et naturelle que le bien est objectif et universel. Et de fait on ne voit pas le sens d’une morale (une vraie) qui ne cherche pas des réponses à valeur universelle. Dès lors, dès que l’on cherche à objectiver le devoir moral, et pour reprendre cet exemple del’interdiction de tuer une personne humaine, on est conduit à se demander ce qu’est objectivement un être humain. Mais alors on conclut normalement que l’embryon comme le vieillard en sont. Et donc on refuse l’avortement comme l’euthanasie. Inversement, si l’émancipation consiste à ce que chacun se bricole sa morale sans souci du bien objectif, et qu’on en fait un absolu, on privilégie le droit sacré de chacun à divaguer et on finit par faire l’impasse sur le fait que la grand’mère grabataire ou l’embryon sont des êtres humains.
Naturellement, dans la pratique, pour que la morale naturelle soit reconnue ou explicitée socialement, il faut que la société concernée pose la question sous cette forme, comme fruit de la recherche d’un bien objectif. Ceci dit, même dans ce cas, rechercher cette universalité n’implique pas qu’on l’atteigne ; en général l’opération n’est que partielle. Dans toute société, on devra donc faire la part des réalités historiques et culturelles. Ce qui est en revanche clair, c’est que l’Etat (républicain ou pas) n’est pas a priori en soi le mieux à même de décider quelle est la bonne interprétation. Contrairement à ce que pense M. Peillon, il ne détient pas la formule de la vie juste. D’autant moins en l’espèce qu’il ne pose pas, au départ, une quelconque loi naturelle, mais une philosophie de l’émancipation qui ouvre la voie à une multiplicité irréductible d’interprétations. La bonne formule est donc à la fois de poser le principe de la loi morale objective, naturelle, et d’admettre que la seule bonne morale est celle qui est reconnue par les intéressés et apprise en société, ce qui commence par la famille.
La morale comme bricolage anarchique des valeurs
De son côté, Chantal Delsol, ayant conclu à l’irréductibilité des morales, en déduit que les projets éducatifs sont nécessairement divers, chaque école enseignant une morale cohérente avec son projet, les familles adhérant librement à l’une ou à l’autre. Mais on voit bien que ce n’est pas non plus la solution idéale, en tout cas pas sans correctif : on peut en arriver en effet à ce que le bricolage anarchique des valeurs se transpose au niveau de l’école. Or si la société se fragmente en groupes multiples aux projets contradictoires, on a peu de chance de déboucher sur la paix civile ni sur un niveau plus élevé de moralité. En d’autres termes, si, il est plus réaliste et plus respectueux des personnes de partir de la diversité de fait des réponses morales, il est indispensable de poser l’impératif commun de recherche du bien moral, posé comme réalité objective à reconnaître collectivement. Mais naturellement, pas par parachutage d’en-haut, et surtout pas selon l’utopie archaïque de l’Etat émancipateur qui sait tout mieux que tout le monde.
La morale comme simple règle du jeu
En fait, la démarche du ministre répond à deux motivations : d’un côté la reconnaissance du besoin d’une morale objective, besoin de plus en plus criant ; et de l’autre la nostalgie d’une époque où le contenu de cette morale était relativement consensuel (la morale des instituteurs étant en pratique proche de celle des curés). On pouvait alors se permettre de la combiner avec un programme supposé émancipateur, sans voir de contradiction entre les deux. Mais ce n’est plus possible dans la phase postmoderne qui est la nôtre. D’une part, les conceptions dominantes se sont notablement éloignées de celles autrefois reconnues par tous : l’avortement et l’euthanasie en témoignent à nouveau. D’autre part, l’idéologie de l’émancipation (déjà présente à l’époque mais encore contenue) est allée beaucoup plus loin ; elle conduit désormais à ne retenir comme morale que des règles du jeu visant à faire respecter ce qu’on croit être le droit absolu de tout individu à choisir ses options comme il l’entend, en se bornant à réguler la compatibilité de ces droits respectifs. De telles règles du jeu sont probablement ce que le ministre veut imposer. Mais pour une partie appréciable de la population, et notamment ceux qui admettent une morale naturelle, ce n’est pas ce qu’on appelle une morale. Et surtout, cela ne débouche pas sur une conception commune capable de fonder une vie commune, à commencer par les salles de classe du 9-3. Car cela ne donne pas de réponse aux vrais dilemmes moraux tels qu’ils se posent dans la réalité (comme en témoignent à nouveau avortement et euthanasie).
En fait, dans un contexte comme le nôtre, la morale commune qu’on peut enseigner est forcément assez limitée – et sûrement pas confondue avec le catéchisme de la supposée émancipation dont on a assez vu les effets pervers. Ce qui, pour l’apprentissage de la morale, laisse nécessairement la place centrale aux familles, et aux écoles qui en prolongent la tâche éducative, ou devraient le faire. Ce qui plaide en faveur d’une relative diversité, en attendant le retournement, la conversion collective qui reconnaîtra la primauté de la recherche du bien et du vrai sur le bricolage anarchique.
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Peillon : à la fois "grand prêtre" de la morale "républicaine" et apprenti-sorcier : gare à la casse !