En cédant sur les revendications les plus raisonnables des partis populaires et nationalistes, Cameron a préservé les intérêts des conservateurs. Une leçon tactique à méditer en France, mais qui n’a rien réglé au fond.
LES OBSERVATEURS de la politique s’accordent sur un constat simple et clair : le peuple britannique vient de donner une victoire retentissante à la droite. Le parti conservateur progresse au point de rafler la majorité absolue des sièges au Parlement de Westminster. Son adversaire, le Parti travailliste, subit une défaite cuisante. La gauche compte moins de députés que dans la précédente assemblée. Les autres formations sont laminées. Ni l’extrême gauche, ni le centre, ni l’extrême droite ne pèsent plus grand-chose en nombre d’élus.
L’impression d’un triomphe de la droite n’est pas fausse si l’on se borne à la composition du Parlement issu des urnes mais elle décrit mal les choix réels des électeurs. Une analyse plus attentive à la répartition des votes montre un peuple divisé, incertain et méfiant.
Stagnation des grands partis
Tout d’abord, l’examen des suffrages recueillis par les différentes formations conduit à rejeter l’affirmation selon laquelle la droite est devenue prépondérante en Grande Bretagne. Les conservateurs avaient reçu 36,1% des suffrages il y a cinq ans ; ils en obtiennent 36,9% aujourd’hui. Autrement dit, leur audience stagne. De plus, ils représentent principalement le sud-est de l’Angleterre ; ils reculent ailleurs.
Les travaillistes ne font ni mieux ni plus mal. Réfugiés dans quelques bastions inexpugnables comme les « Midlands » anglais, ils consolident leurs enracinements locaux et passent de 29% des voix à 30,5 en 2015.
Ni victoire ni défaite donc ; mais incapacité pour l’un comme pour l’autre des deux partis à représenter la nation dans son ensemble. Un tiers de l’électorat britannique et des régions entières leur échappent. Vu sous cet angle, le Royaume-Uni ressemble à la France où le PS et l’UMP ne peuvent plus prétendre chacun qu’à un tiers des suffrages populaires et n’ont presque plus d’élus dans certains départements.
Effondrement du centre
Jusqu’en 2010, les citoyens britanniques qui ne se satisfaisaient pas des programmes de la droite et de la gauche se portaient vers le centre. Ils donnaient leurs voix au parti libéral-démocrate, qui était l’équivalent de notre MoDem. Cette année, les « lib-dem » se sont effondrés. Ils ne recueillent plus que 7,8% des voix contre 23% cinq ans plus tôt. Leur déroute rappelle celle de François Bayrou qui avait perdu près de la moitié de ses électeurs entre 2007 et 2012.
Avec l’électorat centriste, disparaît une force de la vie politique britannique qui ramenait à la modération une droite ou une gauche tentées par des surenchères doctrinaires. À sa place, l’élection de 2012 a fait surgir des partis extrêmes, par essence déstabilisateurs de l’ordre politique traditionnel.
Solidarité et identité
On les compare parfois au Front national de chez nous parce qu’ils s’inspirent d’idées dites nationalistes ou identitaires. Ils en diffèrent en ce qu’ils ne se réclament pas de la nation britannique dans son ensemble, mais de nations particulières qu’on pensait disparues : l’Angleterre pour l’UKIP, l’Écosse pour le SNP et le pays de Galles pour le Playd Cymru, sans compter le cas de l’Irlande du nord. C’est l’existence même du Royaume-Uni que leurs programmes mettent en cause.
J’ai tenté, il y a un an, de « décrypter » les causes du succès du SNP en Écosse. Ma thèse devait avoir du vrai puisque les évènements la confirment et en étendent les conclusions à tout le Royaume-Uni. Je ne la reprendrai pas ici, sauf pour rappeler que les lois immuables de l’ordre politique et social imposent de respecter un équilibre fragile entre la liberté des individus et leur solidarité.
Depuis un tiers de siècle, la Grande Bretagne s’est adonnée à une ivresse de liberté. Elle s’est voulue la plus libérale des grandes nations sur le plan économique et la plus libertaire dans le domaine des mœurs. La solidarité, négligée, bousculée, piétinée, revient sous la forme d’aspirations identitaires imprévues et redoutables. Elle se retourne contre les élites anglaises qui ont failli à leur responsabilité d’en prendre soin.
L’habileté de Cameron
En France, les chefs de la droite ne cessent de dénoncer le programme nationaliste, réactionnaire, raciste, xénophobe du Front national. Drapés dans de grands principes des droits de l’homme, ils repoussent avec véhémence les thèses identitaires qui font le succès de l’extrême droite. Même de vagues convergences électorales leur paraissent des compromissions impardonnables.
Pour gouverner la nation, l’UMP n’imagine pas d’autre stratégie politique que l’alliance traditionnelle avec le centre, même si ce dernier n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été, comme au Royaume-Uni.
La droite anglaise est plus réaliste. Cameron a compris qu’il n’avait aucun intérêt à chercher l’appui d’un électorat centriste en voie de disparition. Il a choisi de prendre à son compte les revendications les moins extrêmes des partis identitaires. Il cède des pouvoirs étendus au Parlement écossais. Il annonce vouloir rapatrier à Londres des compétences abandonnées à Bruxelles au long de ces trente dernières années, notamment en matière d’immigration. Cette habileté tactique a été la raison de sa victoire électorale. Mais il n’a rien réglé sur le fond. Nul ne peut dire s’il surmontera les contradictions qui menacent son action.
Crise de la pensée politique
Ni la raideur doctrinale de la droite française ni la souplesse pragmatique des conservateurs anglais n’ont encore prouvé leur efficacité politique. Peut-on les en blâmer ? Il faut garder à l’esprit que nos deux nations doivent restaurer un équilibre entre liberté et solidarité, que les excès de la génération descendante ont compromis.
Ce rétablissement sera difficile parce que personne ne voit encore clairement comment le faire et que nos peuples se divisent même sur sa nécessité. Ne nous faisons pas d’illusions. Il absorbera probablement toute l’énergie de la génération montante.
Une nouvelle époque de l’histoire de France et de l’histoire anglaise commence en ce moment. Le trouble des convictions, la radicalisation des idées, le fractionnement de l’opinion publique et le désarroi des gouvernements sont à la fois les symptômes d’une crise de la pensée politique et un appel à l’indispensable renouvellement.
Michel Pinton est ancien secrétaire général de l’UDF.
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