Ces prochains mois, le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’homme vont devoir une nouvelle fois se prononcer sur la question de l’euthanasie et du suicide assisté. Deux affaires actuellement pendantes seront bientôt jugées par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH - les affaires Koch contre Allemagne et Alda Gross contre Suisse). En parallèle, le Comité de Bioéthique du Conseil de l’Europe travaille actuellement à la rédaction d’un « Guide relatif au processus décisionnel en matière de traitements médicaux en fin de vie » portant notamment sur les décisions relatives à l’arrêt des soins actifs, sur le passage aux soins palliatifs et à la sédation palliative avec arrêt de l’hydratation et de l’alimentation. L’ECLJ a été autorisé à soumettre des observations écrites dans l’affaire Gross à la Cour.
Ces affaires et la rédaction de ce guide interviennent quelques semaines après que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a déclaré très clairement que : « L’euthanasie, au sens de tuer intentionnellement, par action ou par omission, une personne dépendante, dans l’intérêt allégué de celle-ci, doit toujours être interdite » (Résolution 1859 (2012) du 25 janvier 2012). Cette résolution intitulée « Protéger les droits humains et la dignité de la personne en tenant compte des souhaits précédemment exprimés par les patients » a pour objet de définir les principes applicables en Europe aux « testaments de vie », autrement appelées « directives anticipées ». L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait déjà rappelé « l’interdiction absolue de mettre intentionnellement fin à la vie des malades incurables et des mourants » dans sa Recommandation 1418 (1999) : « Protection des droits de l'homme et de la dignité des malades incurables et des mourants ».
Le maintien de la condamnation de l’euthanasie et du suicide assisté demeure ferme au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et des Etats membres, où seuls le Benelux et la Suisse acceptent ces pratiques sur les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. Cependant, la jurisprudence de la CEDH a actuellement renoncé à imposer aux Etats l’interdiction de principe de ces pratiques et leur accorde sa permission. Cependant, certains voudraient que la Cour fasse plus encore, et qu’elle aille jusqu’à imposer une obligation pour tous les Etats de reconnaître un « droit à la mort » par la reconnaissance préalable d’un « droit au suicide ». Tel est l’objectif des nouvelles affaires Koch c. Allemagne et Gross c. Suisse, dans lesquelles les requérants demandent la création d’un droit fondamental à recevoir lesmoyens de mourir « de façon sûre et indolore ».
Dans l’affaire Koch c. Allemagne (n° 497/09), Mme Koch atteinte de tétraplégie s’était vu refuser la délivrance d’une substance létale en Allemagne. Son mari et elle avaient formé un recours contre ce refus mais immédiatement après, sans en attendre l’issue, ils étaient allés en Suisse où elle a fait l’objet d’un suicide assisté. Son mari a poursuivi la procédure mais a été déclaré irrecevable par les juridictions allemandes car il n’était pas lui-même victime du refus litigieux. Il a alors présenté une requête à la Cour européenne, se plaignant d’une part de ce que le refus portait atteinte au droit à la vie privée de sa femme et au sien propre (article 8), d’autre part de l’absence de recours effectif (article 13) puisqu’il avait été déclaré irrecevable en son action. La Cour a décidé d’examiner aussi la situation au regard de l’article 6-1, le droit d’accès à un tribunal. Même si la Cour ne s’est pas encore prononcée sur le fond de l’affaire, elle a déjà déclaré la requête recevable le 31 mai 2011, et décidé de joindre l’examen de la qualité de victime du requérant à celui du fond. Ceci est surprenant, d’abord parce que la Cour se montre habituellement très stricte sur les conditions de recevabilité, ensuite parce que dans une affaire exactement similaire (suicide assisté d’un tétraplégique), Sanles Sanles c. Espagne (48335/99, 26 octobre 2000), elle avait déclaré la requête de la belle-sœur et héritière du défunt irrecevable ratione personae. Il pourrait en être autrement cette fois.
Dans l’affaire Alda Gross c. Suisse (n° 67810/10) introduite à la Cour le 10 novembre 2010, la requérante, qui n’est atteinte d’aucune maladie particulière et qui ne veut pas vieillir, se plaint de ce qu’elle ne peut se procurer de substance létale sans ordonnance, et de ce qu’aucun médecin n’a accepté de lui en délivrer une. Selon elle, l’Etat aurait une obligation positive de lui fournir les moyens de se suicider de façon sûre et indolore. Elle prétend que ce refus constitue une atteinte à son droit à la vie (article 2), puisqu’elle a renoncé à vivre, et un mauvais traitement (article 3) car elle devra endurer la vieillesse.
Précédemment, dans l’arrêt Pretty contre le Royaume-Uni (n° 2346/02) du 29 avril 2002, la Cour européenne avait affirmé que l’article 2,garantissant le droit de toute personne à la vie, « ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir ; il ne saurait davantage créer un droit à l'autodétermination en ce sens qu'il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie ».[1] Cependant, dans un arrêt du 20 janvier 2011 dans l’affaire Haas contre la Suisse, la Cour a pris plus clairement position en faveur d’une permission de principe de l’euthanasie et du suicide assisté. Pour ce faire, elle s’est placée non plus sur le terrain du « droit à la vie » (article 2), mais sur celui du « droit à la vie privée » (article 8) qui, selon elle, contiendrait un droit au suicide : un « droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin » (Haas§ 51). Ce droit existerait à la seule condition que l’individu « soit en mesure de former librement sa volonté à ce propos et d’agir en conséquence ». La volonté, l’autonomie du candidat à la mort, est ainsi à la fois la justification théorique et la condition pratique de l’acceptabilité du suicide assisté. Dans l’arrêt Haas, la Cour a adopté la logique libérale selon laquelle les Etats qui légalisent le suicide assisté et l’euthanasie doivent justifier les restrictions qu’ils imposent à l’exercice du « droit au suicide », les autres Etats restant « libres » par ailleurs de « donner plus de poids à la protection de la vie de l’individu qu’à son droit d’y mettre fin », c'est-à-dire de ne pas permettre le suicide assisté et l’euthanasie. L’inversion de perspective est totale, car il ne fait aucun doute que les rédacteurs de la Convention, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale et des procès de Nuremberg, voulaient justement lutter contre ce genre de pratiques.
Le point faible de cette logique libérale est qu’elle est littéralement contraire à la Convention : cette logique oblige à faire abstraction de l’interdiction stricte, posée par la Convention, d’infliger la mort à quiconque intentionnellement, même avec son consentement. Ainsi l’affirmation d’un droit au suicide, puis au suicide assisté et à l’euthanasie, fondé sur la vie privée (art.8), viendra toujours se heurter à l’interdiction stricte de tuer et à l’obligation de protéger la vie (art.2).
La logique à l’œuvre est similaire à celle suivie pour l’avortement. Il s’agit de faire évoluer la perception juridique de l’interdiction à lapermission, pour aboutir à l’obligation, c'est-à-dire à la création d’un droit à l’euthanasie ou à l’avortement. L’affirmation d’un droit à l’avortement au titre de la vie privée a échoué avec l’arrêt de Grande Chambre A B C contre Irlande du 16 décembre 2010 (n° 25579/05)dans lequel la Grande Chambre s’est clairement prononcée contre. Il faut espérer qu’à l’occasion des affaires Koch et Gross, la Cour se prononce avec la même clarté contre un prétendu « droit à la mort » au titre de la vie privée : il n’existe pas de « droit » au suicide, le suicide est une faculté mais pas un droit exigible.
De plus, non seulement l’euthanasie ou le suicide assisté ne peuvent pas constituer des droits, mais cette pratique ne devrait pas être permise ou tolérée par la Convention, car elle est en soi une violation flagrante de l’article 2. En effet, cet article fait obligation aux Etat de respecter et de protéger la vie de toutes personnes, sans exception, et pose le principe selon lequel « la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement ». S’il est vrai que les Etats n’ont qu’une obligation relative de prévenir le suicide, ils ont en revanche une obligation absolue de ne pas y prendre part, tant par action (en fournissant les moyens) que par omission, en ne s’opposant pas à ce qu’une personne soit intentionnellement tuée par un tiers. La Convention ne prévoit pas que le consentement de la victime puisse exonérer de sa responsabilité l’auteur d’un homicide volontaire ou l’Etat qui l’aurait laissé agir.
Grégor Puppinck est Directeur de l’ECLJ
Pour une analyse plus approfondie, lire les observations écrites de l’ECLJ soumises à la Cour européenne.
Documents liés :
Observations écrites de l’ECLJ dans l’affaire Alda Gross c. Suisse
ECLJ: Major Victory for Life in Europe: "Euthanasia Must Always be Prohibited"
Koch v. Germany: The ECHR called again to decide on assisted suicide
ECLJ analysis of the case of Haas v. Switzerland en Français
ECLJ analysis of the case of Koch v. Germany
Décision sur la recevabilité Koch c. Allemagne du 31 mai 2011 req. 497/09
Arrêt Haas c. Suisse, 20 janvier 2011, req. 31322/07
Arrêt Pretty c. Royaume-Uni, req. 2346/02) du 29 avril 2002
Sanles Sanles c. Espagne, req. décision du 48335/99, 26 octobre 2000
Résolution 1859 (2012) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
Recommandation 1993 (2012) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
Recommandation 1418 (1999) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
Le Centre européen pour le droit et la justice est une organisation non-gouvernementale internationale dédiée à la promotion et à la protection des droits de l'homme en Europe et dans le monde. L'ECLJ est titulaire du statut consultatif spécial auprès des Nations-Unies/ECOSOC depuis 2007. L'ECLJ agit dans les domaines juridiques, législatifs et culturels. L’ECLJ défend en particulier la protection des libertés religieuses, de la vie et de la dignité de la personne auprès de la Cour européenne des droits de l'homme et au moyen des autres mécanismes offertes par l'Organisation des Nations Unies, le Conseil de l'Europe, le Parlement européen, et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). L'ECLJ fonde son action sur « les valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples [européens] et qui sont à l'origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable » (Préambule de la Statut du Conseil de l'Europe).
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[1] Pretty c. RU, n° 2346/02, arrêt du 29 avril 2002, § 39
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