[Source : Atlantico]
Une proviseure d'un lycée des Yvelines souhaitant interdire les survêtements dans son établissement a été contredite par son rectorat. Cette affaire illustre une nouvelle fois le relativisme culturel prégnant dans notre société. Une situation qui pourrait bien être préjudiciable surtout aux plus "faibles".
Atlantico : Ce lundi 10 octobre, une proviseure d'un lycée des Yvelines qui souhaitait bannir le port du jogging dans son établissement a été contredite par le rectorat. En quoi cette décision, qui s'ajoute à d'autres phénomènes tels que la disparition progressive de l'enseignement du latin et du grec au motif qu'ils seraient trop "élitistes", reflète-t-elle un certain relativisme culturel dans notre société, et ayant des effets contreproductifs ? Peut-on parler d'une forme de renoncement de la part de cette idéologie du "respect" ?
Paul-François Paoli : Personnellement, je trouve qu'il y a depuis quelques années dans la société française un relâchement impressionnant au niveau des apparences. Une certaine idéologie de l'authenticité a triomphé dans l'espace public, ce qui fait que les gens, jeunes ou moins jeunes, font de moins en moins d'efforts, notamment au niveau de l'habillement. Paradoxalement, on nous dit que le narcissisme a triomphé aujourd'hui dans notre société, mais on constate un relâchement. Ce n'est pas le triomphe de la belle apparence, mais celui du laisser-aller. C'est quelque chose qu'on peut constater dans les services publics, dans les trains, dans les métros… Là où les gens sont obligés de se côtoyer, on est obligé de supporter le laisser-aller des autres.
Si l'on compare avec les années 1960, on voit à quel point notre manière de se présenter en public a été bouleversée. Je ne dis pas que c'était bien, je n'ai pas forcément la nostalgie de cette époque. Dans ces années-là, les apparences étaient très guindées, mais nous sommes passés, me semble-t-il, d'un extrême à l'autre. Aujourd'hui, le slogan à la mode est celui de McDonald's : venez comme vous êtes. C'est quelque chose de très déplaisant, parce qu'on est obligé de supporter le relâchement des autres.
L'histoire du jogging est anecdotique mais en même temps signifiante. J'ai aussi constaté que beaucoup de jeunes s'habillent dans les lieux publics comme s'ils étaient dans une salle de sport, à la plage ou chez eux. C'est quelque chose contre lequel il faut lutter selon moi. Les individus sont de plus en plus sans gêne dans leur manière de s'habiller, de s'interpeller, de vous interpeller… Ce relâchement est préoccupant.
La question du latin et du grec concerne, elle, notre héritage civilisationnel. Le renoncement au latin et au grec est un renoncement fondamental : nous sommes de plus en plus une civilisation qui se perçoit comme sans héritage et sans origine. Or, une civilisation sans héritage n'est plus une civilisation, c'est "juste" une société.
D'autres auteurs ont bien décrit l'enjeu global ici : Marc Fumaroli, Alain Finkielkraut, Jacqueline de Romilly, etc. Ces gens nous alertent depuis des années sur le fait qu'une civilisation, pour rester féconde, doit garder un contact et une relation avec ses sources. Or, il y a une sorte d'aplatissement général aujourd'hui : aplatissement des formes, vulgarisation de la langue et des apparences, etc. Je pense que cette histoire du jogging est une anecdote de plus illustrant le fait que nous vivons dans une société où la vulgarité progresse.
Jean-Paul Brighelli : Ne mélangeons pas tout. La réforme du collège, la refonte des programmes a minima, la disparition programmée de la culture classique, sont - en-dehors des considérations matérielles, réduction des heures, économies d’enseignants et disparition des classes en petits groupes dans le cadre de l’Aide personnalisée - des coups de boutoir idéologiques contre la culture française, vue comme une culture élitiste. Cet égalitarisme forcené est non seulement le fait de politiques qui croient s’acquérir ainsi les votes populaires (et cela procède d’un immense mépris pour le peuple réel), mais c’est également le réflexe de classe des soi-disant élites mondialisées, les bobos des villes-monde qui ne manquent pas, eux, d’envoyer leurs enfants dans de bonnes boîtes privées ou des lycées d’Etat soigneusement mis à l’écart des pauvres de la France périphérique.
L’histoire du jogging, c’est autre chose. En-dehors des cours d’EPS (et loin de moi l’idée de stigmatiser les enseignants de sport, mais ils ont singulièrement aidé à fournir un prétexte à toutes celles et tous ceux qui font des survêtements - comme on dit en bon français - un marqueur communautaire et/ou religieux, persuadés qu’ils sont que le Prophète s’habillait chez Nike), c’est un uniforme à signification identitaire.
Le rectorat n’a pas pris de décision sans l’aval du ministre. Rue de Grenelle, on semble donc penser - et on pense effectivement - qu’autoriser les marqueurs identitaires, communautaristes ou religieux ne pose aucun problème à la laïcité - dont par ailleurs on affiche la charte pour mieux la piétiner.
Les enseignants dans leur immense majorité souhaitent que les élèves aient une tenue décente. Croyez-vous qu’eux-mêmes, quelle que soit leur décontraction, viennent en survêtement dans les établissements scolaires ? Une tenue décente qui ne soit pas, par ailleurs, un marqueur identitaire - parce que le principe laïque, c’est que tous les élèves sont égaux, quelles que soient leur religion ou leurs origines. Des élèves qui puissent s’asseoir les uns à côté des autres, et non, comme très souvent aujourd’hui, en troupeaux sexués, garçons d’un côté et filles "impures" de l’autre.
Il est du ressort du prochain Ministre, parce qu’il n’y a rien à attendre de celui-ci, de prendre une décision nationale qui s’applique partout. Un décret doit résoudre la question - c’est l’affaire de cinq minutes et d’un peu de courage.
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