Alors que le tribunal administratif vient de valider l'autorisation d'importer deux lignées de cellules souches embryonnaires humaines pour la recherche thérapeutique, le Sénat a entamé hier l'examen du nouveau texte de mise à jour de la loi de bioéthique.

Six experts livrent leur avis.

[Extraits] Nous avons donc été stupéfiés d'apprendre que la veille de la démission du précédent gouvernement, le ministre de la Recherche avait pris sur lui, le 30 avril 2002, d'autoriser l'importation "en contrebande" de cellules souches provenant non pas de personnes adultes donneuses, mais d'embryons humains, préalablement détruits, pour le compte d'un laboratoire, en vue d'être livrées à la recherche. L'article L 1245-4 du Code de la santé publique, sous de strictes conditions, autorise l'importation de cellules souches issues de personnes adultes donneuses, mais ni d'embryons humains ni d'éléments de ceux-ci.

Comment cette décision a-t-elle été justifiée ? Sans détours, il a été expliqué que l'Assemblée nationale de la précédente législature avait voté, en première lecture, un nouveau texte dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la révision de la loi bioéthique, qui se proposerait d'autoriser le ministre de la Recherche à importer des "tissus ou cellules d'origine embryonnaire ou foetale en vue de la recherche". Peut-être, mais est-il besoin de rappeler que seul un projet de loi discuté et adopté dans les conditions de l'article 45 de la Constitution, et promulgué selon son article 10, après son examen éventuel par le Conseil constitutionnel, devient loi de la République, partie intégrante du droit positif ? Une loi votée par une seule chambre n'a aucune valeur juridique ! Agir ainsi caractérise, outre la violation du droit républicain, le mépris du Sénat et au-delà le mépris de notre démocratie.

La forte présomption d'illégalité de la décision du ministre a d'ailleurs été constatée par la plus haute juridiction administrative, le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 13 novembre 2002. Pour suspendre en urgence cette décision ministérielle, les gardiens de la légalité républicaine n'ont pas manqué d'être impressionnés par les infractions pénales graves que constituaient ces atteintes à l'éthique biomédicale (articles 511-15 à 25 du Code pénal).

En effet, aux termes de la loi dite de bioéthique du 29 juillet 1994, "la conception in vitro d'embryons humains à des fins d'étude, de recherche ou d'expérimentation est interdite. Toute expérimentation sur l'embryon est interdite". Le Conseil constitutionnel n'a rien trouvé à redire à ce choix. Code civil, Code pénal et Code de la santé publique sanctionnent cet état consensuel de notre droit. N'est-ce pas là un encouragement pour les chercheurs à s'investir dans le champ prometteur des cellules souches adultes, issues du corps humain, provenant de personnes donneuses et consentantes ?

Si, par une décision ultérieure du 17 janvier, qui est frappée d'appel, le Tribunal administratif de Paris vient d'émettre un avis contraire à celui du Conseil d'Etat, cette péripétie ne change pas les données juridiques du problème.

Aujourd'hui, ce coup d'Etat bioéthique n'a pas été dénoncé et il risque d'empoisonner le débat actuel. Il est à l'origine d'une précipitation dénuée de données scientifiques suffisamment incontestables pour prôner l'usage thérapeutique des cellules souches embryonnaires. La faiblesse politique devant ce fait du prince serait une atteinte grave portée aux valeurs républicaines. A quoi sert la loi bioéthique, si elle peut être impunément violée par un ministre ? Quant à mettre à égalité la recherche sur les cellules souches embryonnaires et sur les cellules souches adultes, c'est une erreur de méthode avérée. C'est surtout une perte de temps et donc une injustice pour les malades qui ne demandent pas à Zeus l'immortalité, mais simplement à la médecine de les soigner sans utopie. Le ministère de la Santé et le ministère de la Recherche seraient bien inspirés d'encourager financièrement les équipes compétentes à aborder ce problème dès que possible.

Cet article a été signé par Grégory Bénichou, professeur d'éthique à la chaire Essec Santé ; Bernard Edelman, avocat à la Cour, EHESS ; Christophe Eoche-Duval, juriste ; Pr Claude Huriet, conseiller d'Etat, ancien membre du Comité consultatif national d'éthique ; Pr Lucien Israël, professeur émérite de cancérologie, membre de l'Institut, et Jean-Marie le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune.

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