Depuis 1968, le Tchad fait de temps à autre la une des journaux écrits ou télévisés. Depuis les premières révoltes ou jacqueries provoquées par la stupidité du président Tombalbaye, les rivalités ethniques, les tentatives d'ingérences libyennes ou soudanaises, ont empêché le développement dans le calme de ce pays au cœur de l'Afrique.

De plus, des Français ignorant des réalités locales — Mme Claustre, l'Arche de Zoé entre autres — n'ont en rien arrangé les difficiles relations de notre pays et du Tchad.

Avant la colonisation française, le Tchad n'existait pas comme État : il n'y avait que des clans, voire des fractions dirigées par des chefferies traditionnelles, du nord au sud, de l'est à l'ouest. Au Nord, les Turcs tenaient les postes de Fada et de Faya (Largeau pour les militaires français). Ce morcellement est toujours vivace : les Toubous se sont partagés entre Hissen Habré et Goukouni Oueddeye, les Zaghawa entre Idriss Déby et Timan Erdimi.

Pendant des siècles le Sud animiste fut le terrain de chasse des négriers africains. Rabah, le dernier, tenta de se tailler un royaume. Jusqu'à l'arrivée des troupes françaises en 1909, Abéché fut le principal centre de fabrication des eunuques destinés aux harems d'Arabie et de Turquie. Le dernier convoi d'esclaves fut intercepté par nos soldats en 1919. La colonisation française fut mise à profit par les habitants du Sud pour s'instruire dans nos écoles, s'intégrer dans notre administration. Les musulmans du Nord, tout en acceptant notre hégémonie, refusèrent notre système scolaire et participèrent rarement à notre administration.

Lors de l'indépendance, les cadres sudistes prirent en main le nouvel État : la plupart étaient médiocres, en particulier Tombalbaye, ancien instituteur, qui élimina les quelques cadres musulmans qui existaient dans les années 1959-1965. Le départ des troupes françaises en 1965 se traduisit par une multiplication des exactions par les fonctionnaires et militaires tchadiens, et des jacqueries d'abord dans le Guera. Rapidement, des intellectuels canalisèrent ces révoltes et déclenchèrent une véritable insurrection. En 1968, Tombalbaye fit appel à de Gaulle.

Sous réserve d'une réorganisation administrative et militaire, l'aide fut accordée par la France de 1969 à 1972. Pour de Gaulle, il ne fallait pas accepter un processus qui pût aboutir à l'éclatement du Tchad, et donner de mauvaises idées au reste de l'Afrique. Rappelons que la monnaie libyenne avait cours en 1965 à Largeau et la monnaie soudanaise à Abéché.

Dès cette époque, certains pays d'Afrique accueillirent, sans plus, les mouvements rebelles tchadiens (Algérie, Nigeria, Égypte, Irak, Ghana), se contentant de les laisser ouvrir des bureaux de propagande. En revanche, le Soudan et la Libye soutiennent plus activement les rebelles : ces deux États comptaient bien récupérer de grands lambeaux du Tchad... Kadhafi avait envahi la bande d'Aouzou en 1982, avant d'en être chassé en 1987. A-t-il, ont-ils abandonné ces projets aujourd'hui ?

En dépit des efforts des Français, la mentalité des fonctionnaires et militaires tchadiens ne changea pas dès le départ de notre mission de réorganisation ; concussion et exactions reprirent envers les populations. Au fil des ans, Tombalbaye devenait paranoïaque, il imposait une révolution culturelle, le retour aux rites animistes, etc., avant d'être assassiné en 1974.

Son successeur, le général Maloum, demanda imprudemment le départ de nos troupes. Nous lui fîmes perdre la face lors de nos négociations pour la libération de Mme Claustre.

En 1982, Hissène Habré prit le pouvoir, et il s'opposa aux activités libyennes, avant de demander notre aide, accordée par le président Mitterrand en 1983. Sa victoire sur les troupes libyennes et la reconquête de la bande d'Aouzou ne compensèrent pas l'inefficacité de son administration et son autoritarisme. Il fut à son tour chassé par Idriss Deby, lui même en butte aux bandes d'un membre de son ethnie, Timan Erdimi.

Il est clair que le Soudan a utilisé cette carte pour retarder ou torpiller le projet d'une force destinée à protéger les persécutés du Darfour. N'ayons pas d'illusion : tous les cinq ou six ans, ce manège recommencera, sans changement pour le peuple tchadien, constamment pressurés par l'administration et les bandes armées.

En 1964, lors d'une conversation avec un ami, j'avais dit que l'avenir du Tchad et de l'Afrique noire était évident. Il suffisait de regarder Haïti : la dictature, la corruption, les tontons macoutes, la misère. Comme je voudrais m'être trompé !

 

* Jean-Germain Salvan est général (2e section).

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