Après trois reports, c'est le 21 novembre que le Parlement libanais doit se réunir pour élire le remplaçant de l'actuel chef d'État, le maronite pro-syrien Émile Lahoud. Le pays est menacé d'éclatement par la division des chrétiens, entre les partisans du général Aoun (allié des chiites, avec l'opposition pro-syrienne) et la majorité pro-occidentale conduite par Amin Gemayel et Samir Geagea, soutenue par le Premier ministre sunnite Siniora.

Le cardinal Sfeir (photo) a pris le risque d'une médiation difficile entre les parties et a proposé, à la demande de la France, une liste de candidats acceptables. Très préoccupé par ce "passage crucial" pour la "survie" du pays, le pape a lancé un appel à l'unité "pour que tous les Libanais puissent se reconnaître dans le nouveau Président", et soutenu les efforts du patriarche. On ne peut comprendre les problèmes libanais sans les situer dans leur contexte historique : les alliances et les antagonismes religieux d'aujourd'hui ne sont pas d'hier.

LA PREMIERE EBAUCHE DU LIBAN est née au XVIe siècle de notre ère par l'union des chrétiens et des Druzes sous l'égide de l'émir Fahreddîn : les chrétiens comme les Druzes n'ont pas toujours été fidèles à cette conception, gage de leur première autonomie ou indépendance.

Sous l'empire ottoman, la province de Syrie comportait la Syrie actuelle, le Liban, la Palestine et la Jordanie. Dès 1920, les Syriens ont réclamé la reconstitution de la Syrie ottomane.

Le jeu syrien. Le clan alaouite, avec Hafez el Assad et son fils Bachar, est au pouvoir à Damas depuis 1974 : cette longévité politique est sans exemple à Damas depuis un millénaire. Les alaouites — un groupe issu du chiisme — sont aussi éloignés de l'orthodoxie sunnite que les mormons du catholicisme. Pour se maintenir au pouvoir, dans un pays où la majorité est sunnite, les alaouites ont joué sur l'union des chiites, des Druzes, des Kurdes, des chrétiens. Pour cette politique, l'union avec le Liban est essentielle, car le poids de chiites et chrétiens libanais assurerait une majorité sans faille au pouvoir alaouite. Comme Lénine, Bachar El Assad a provisoirement accepté le repli de ses troupes du Liban, en laissant en place ses réseaux de renseignement et d'action.

La faillite de l'armée. L'influence du Hizbollah (chiite) ne peut se comprendre sans revenir à la faillite de l'armée libanaise : de 1975 à 1999, elle ne sut se battre ni contre Israël, ni contre les Palestiniens. À bon compte, le Hizbollah incarna la résistance contre un occupant maladroit et le contraignit au repli. Le Hizbollah a plusieurs fois rappelé qu'il ne déposera les armes que lorsque les fermes de Chebaa auront été rendues au Liban : ce n'est toujours pas le cas.

La division chrétienne. Les chrétiens libanais ont été et restent divisés : le clan Frangié, près de Tripoli, a toujours été partisans d'une entente avec la Syrie, pays relativement laïque, où la charia n'a pas cours.

Le général Aoun est devenu un politicien : il sait qu'il ne pourra être élu sans l'appui des chiites et au moins la neutralité de la Syrie.

Alliance anti-sunnite. On ne peut comprendre l'assassinat de Rafic Hariri sans revenir à la stratégie alaouite. Un sunnite efficace à Beyrouth est inacceptable : il pourrait donner des idées aux sunnites syriens. Et le soutien de la France au clan Hariri, comme les paroles maladroites de nos politiques envers le Hizbollah, ne peuvent que desservir notre diplomatie et notre influence au Liban et en Syrie. Le Hizbollah a commis des attentats contre nos représentants dans les années quatre-vingt, lorsque nous soutenions l'Irak de Saddam Hussein.

Terrorisme sunnite. Les terroristes qui frappent les Occidentaux depuis 1990, ce sont des sunnites, issus d'Arabie saoudite, du Pakistan, d'Afghanistan ou d'Afrique du Nord. C'est l'intégrisme sunnite qu'il nous faut combattre. Nous devrions nous féliciter de la désunion entre chiites et sunnites !

Errements français. Que notre diplomatie suive les États-Unis dans les affaires du Proche et du Moyen-Orient, c'est une catastrophe. On ne pourra reprendre une influence en Iran, en Syrie et au Liban sans une réflexion réaliste sur nos intérêts réels, qui ont peu de points communs avec ceux des Américains.

Jean-Germain Salvan est général (2S).

Pour en savoir plus :

■ De François Le Forestier de Quillien, Syrie-Liban : 2008, année charnière, Liberté politique n°39, automne 2008

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