Si la troisième guerre mondiale survient, elle sera alimentaire

Source [ASAF] : Le président de la République, Emmanuel Macron, a alerté, depuis Bruxelles, le jeudi 24 mars, à l’issue d’un sommet de l’OTAN et d’une réunion du G7, sur un risque important de famine dans le monde, en lien avec la guerre en Ukraine. Ses propos alarmistes étaient dans le droit fil de ceux tenus quelques jours auparavant par monsieur Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, qui déclarait que la guerre en Ukraine pourrait entraîner une crise alimentaire mondiale, « un ouragan de famine ».

 

C’était, en effet, jusque là, l’une des conséquences peu évoquée et pourtant cruciale de la guerre en Ukraine. Ce pourrait même être la plus dangereuse. L'Ukraine et la Russie sont les greniers de l'Europe et constituent à eux deux 15 % de la production mondiale de blé et près de 40 % des exportations. Or, les sanctions imposées à la Russie rendent inaccessible sa production de blé et, en Ukraine, il sera impossible cette année de récolter et de semer. De toute façon, les exportations dépendantes du port de Marioupol ne pourront se faire.

 

Or, aujourd’hui, 27 pays du Moyen-Orient, de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie centrale dépendent à plus de 50 % de la Russie ou de l’Ukraine pour leurs importations de blé. Cela représente 750 millions d’habitants. Si l’on étend l’éventail jusqu’aux pays qui importent au moins 30 % de leur blé de ces deux pays exportateurs, alors cela concerne 50 pays et 1,3 milliard d’habitants. Pour ne prendre que l’exemple de l’Égypte, il se trouve que ce pays de 110 millions d’habitants ne dispose que de 4 % de terres cultivables. Elle est, de ce fait, le premier importateur mondial de blé avec plus de 14 millions de tonnes par an, 60 % venant de Russie et 30 % d’Ukraine, et pourrait, au premier rang, subir les effets néfastes de la guerre en Ukraine.

 

L’exemple de l’Égypte est intéressant car il peut figurer la façon dont une crise mondiale pourrait se déclencher. En effet, dans ce pays, la moitié du pain consommé est subventionné par l’État et, dans les boulangeries non subventionnées, son prix a doublé depuis le début du conflit. Les subventions qui représentent aujourd’hui 5 à 6 milliards de dollars pourraient passer à 8 milliards cette année. Elles sont le prix à payer pour éviter la fronde sociale ou des émeutes de la faim comme il en existait déjà, avant la guerre en Ukraine, dans le sud de l’Irak ou en Tunisie.

 

La guerre en Ukraine rappelle ainsi que l’agriculture et la sécurité alimentaire sont des paramètres géopolitiques d’importance et que la dépendance de nombreux pays envers les exportations russes ou ukrainiennes pose des questions de nature stratégique. Et cela d’autant plus que d’autres facteurs ne peuvent qu’aggraver la crise déjà enclenchée. Même si monsieur Macron a plaidé, le 24 mars à Bruxelles, pour « un plan d’urgence de libération des stocks », il se trouve que ces stocks sont, au niveau mondial, au plus bas, notamment en Afrique de l’Ouest : 4 à 5 mois. Le maïs est également affecté par le conflit en Ukraine, grande productrice. La Chine a eu une mauvaise récolte en 2021 et elle va peser sur le marché avec ses moyens financiers considérables. La catastrophe serait qu’il y ait des accidents climatiques dans les autres zones céréalières.

 

Le risque est donc réel d’assister à une grande jacquerie mondiale entraînant la déstabilisation de nombreux États, des flux migratoires non contrôlés et, çà et là, des conflits armés pour conquérir les ressources alimentaires nécessaires à la survie de certains peuples.

 

Existe-t-il des solutions pour éviter ce qui pourrait être un séisme planétaire ? L’Europe a décidé de modifier sa politique agricole en augmentant sa production et ses exportations. Cela nécessiterait d’intensifier l’utilisation des engrais. Mais, d’une part le coût de ces derniers a été multiplié par quatre en un an, et d’autre part la Russie représente 40 % des exportations mondiales d'engrais azotés. Beaucoup d’agriculteurs européens ne peuvent plus produire davantage et donc compenser l’absence du blé d’origine ukrainienne et russe. Enfin, même si l’Europe décidait de relancer sa production agricole, les résultats attendus ne seraient visibles qu’à la fin de la décennie sans compter qu’elle doit conjuguer cette question capacitaire avec le défi environnemental.

 

Pour tenter de limiter les risques, la Commission européenne pourrait décider de suspendre une règle qui oblige les céréaliers européens à laisser en jachère au moins 4 % de leurs terres afin d’éviter l'appauvrissement des sols et la surexploitation. Mais les écologistes alertent sur les conséquences d'une levée de cette réglementation. D’après eux, l'exploitation de ces terres laissées « au repos » pourrait entraîner un important déséquilibre de la biodiversité.

 

Alors, en désespoir de cause et malgré la guerre, le président français a sommé son homologue russe de laisser les Ukrainiens semer du blé, le tenant, en cas de refus, pour potentiel responsable d'une « famine inéluctable » qui pourrait arriver dans 12 à 18 mois. Quand bien même le président Poutine accepterait, ce qui est peu probable, qui sèmera ? Les hommes sont à la guerre et les femmes et les enfants sont réfugiés à l’étranger ou déplacés dans leur propre pays.

 

Lors du sommet du G7, à Bruxelles, différents mécanismes permettant une certaine solidarité en faveur des États exposés au risque de la famine ont été envisagés. Sur ce sujet vital, la communauté internationale n’a pas le droit à l’erreur, car un échec, et donc les famines annoncées, constituerait un drame de dimension mondiale.

 

 

 

L’onde de choc de la guerre en Ukraine ne fait que commencer.

 

 

 

La RÉDACTION de L’ASAF
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