Mai 1968, mai 2018 : rien n’a vraiment changé !

Depuis l’après-guerre, nous vivons dans un pays où le champ culturel et intellectuel est structuré à partir de courants d’idées, d’écoles de pensée, de modes intellectuelles qui s’efforcent, chacun à sa manière, de nous faire croire qu’il existe des « hommes de droite » et des « hommes de gauche », d’une part, et, d’autre part, que la gauche représente l’avenir de l’homme et la droite son passé honteux. Cette manière pour le moins « discourtoise » de procéder est d’une étonnante efficacité. 

Des intellectuels, des artistes ont été et continuent à être ignorés par l’université, par les médias, par le réseau de librairies jadis si important, etc.. De manière plus retorse, des débats publics, des enjeux et des défis ont été savamment dissimulés, occultés, voire,  pire, dénaturés, comme ceux de l’ampleur de l’immigration de masse (notre politique migratoire n’est ni plus ni moins un suicide collectif, nous en prenons enfin conscience) ; du bienfondé de nos alliances (et, en particulier, de nos relations avec les deux grands Etats de notre civilisation occidentale : les Etats-Unis et la Russie) ; de  la pertinence d’une réflexion sur notre identité (constamment bafouée) ;  de la nécessité d’abolir  certaines lois iniques ; de rétablir l’autorité (sous ses trois formes classiques : l’autorité de fonction, l’autorité de pouvoir et l’autorité de compétence) ; ou bien encore  d’assurer la sécurité de nos concitoyens et de notre territoire en recourant, si besoin est, à la force armée. Ce dernier défi n’est pas des moindres : qui sont désormais nos concitoyens ?  Quelles valeurs sont attachées à la citoyenneté ? Dans un monde où les droits de l’homme ET du citoyen s’appliquent à tous, quel que soit le pays d’origine, une nouvelle citoyenneté, d’une extrême fluidité, apparaît, qui peut laisser pantois. Et possédons-nous encore un « territoire » ? Le CNRTL donne de ce mot un sens univoque qui, pourtant, ne va plus de soi : « espace borné par des frontières, soumis à une autorité politique qui lui est propre, considéré en droit comme un élément constitutif de l'État et comme limite de compétence des gouvernants. »  A la place, les médias, assujettis à l’Union européenne sous sa forme libérale libertaire, nous parle avec une euphorie non feinte d’un « espace » : celui de Schengen. Or, l’espace, c’est le territoire moins la forme (et moins la mémoire). D’où l’importance de rappeler la définition de ce mot donnée par le CNRTL : l’espace est un « milieu idéal indéfini ».  Le caractère « indéfini » de cet espace Schengen, qui de fait continue de s’élargir et, par conséquent, de se déformer afin de se reformer, nous promet bien du plaisir (l’Union européenne est devenue littéralement pleine comme une outre, cette dernière étant faite de peau de porc … mais n’y voyons pas malice). C’est après tout l’opinion persistante d’une certaine élite bien-pensante. Ainsi, Michel Foucher affirme dans son article « L’Union européenne au défi de ses frontières », paru dans Le Monde diplomatique : « “ Europe ‟ est un nom flottant, et l’espace qu’il désigne n’a pas de limites nettes préexistantes — ce n’est ni l’Australie ni le Canada —, de sorte que sa définition demeure ouverte.» On peut se demander si ce n’est pas l’attention de monsieur Foucher qui est « flottante », et on voudrait bien savoir ce que signifie en toute logique une définition « ouverte », mais du moins, a-t-il bien saisi que la notion de frontières européennes représente un défi, et quel défi ! Ayant dit cela, il semblerait que les modalités et surtout la finalité de la surveillance de nos frontières n’aillent point de soi. Que penser du « simple » fait que le nombre d’étrangers puisse tripler   en dix ans (voir, par exemple un article déjà ancien du Figaro, « Italie : le nombre d’étrangers a triplé en dix ans », paru le 29 avril 2012) ? Il est vrai que nos élites actuelles ne s’embarrassent pas de contradictions. Elles ne veulent en aucun cas régler les problèmes de notre monde avec bon sens ou même fidélité à notre passé. Ce sont là des manières de penser et d’agir jugées rétrogrades, voire réactionnaires, depuis la révolution culturelle de Mai (dont le ressort oublié est la violence politique, sous sa forme maoïste urbaine, dont nous avons parlé dans le numéro 77 de Liberté Politique consacré à Mai).

Si on nous parle à satiété d’un nouvel ordre mondial, d’un monde multipolaire, voire d’un Etat-monde, nous sommes donc bien obligés de constater que de notre point de vue français et européen, il s’agit avant toutes choses d’un désordre donnant le vertige. Que ce désordre ait été précédé par un dérèglement des sens, est toute la question dont nous débattons durant ces mois précédant celui de mai 2018, à propos de l’héritage scabreux de Mai 68, cette révolution culturelle qui nous a affaiblis aussi bien intellectuellement que spirituellement, possiblement de manière irréversible. Curieusement, face à ce désordre, la puissance publique donne l’impression d’être démunie : la difficulté, voire pour certains les états d’âme, consistant à expulser des individus étrangers jugés dangereux, de fait simple opération de police, vient immédiatement à l’esprit. Serait-ce donc cela l’état de droit ? L’impuissance ? Non plus la primauté du droit sur le pouvoir politique mais l’asservissement de ce dernier au premier. C’est une définition comme une autre du déni de démocratie, laquelle n’a jamais envisagé autre chose qu’une « loi du législateur »  au sens où la définit Raymond Aron en lisant Montesquieu : « la loi peut être un commandement du législateur, un ordre donné par l’autorité compétente, qui nous oblige à faire ceci ou à ne pas faire cela.» Elle peut même s’enrichir de la notion de « hiérarchie des normes juridiques », pour reprendre une expression du théoricien du droit Hans Kelsen. On a tout de même le sentiment qu’à « l’arbitraire des rois », selon la formule apprise, convenue, mais néanmoins calomnieuse, s’est substitué un autre arbitraire : celui de quelques cliques, disons plutôt factions, légitimées par ce champ culturel délétère, agissant en toute impunité, grâce à certaines lois iniques, scélérates, et à une doxa de type anti-occidental, imposant leur volonté à celle de la majorité de notre pays et de l’Union européenne.

Les récents événements visant à contester les réformes du gouvernement Philippe, ou plutôt les réformettes de ce gouvernement tant l’appréhension est grande qu’un puissant mouvement de contestation généralisée puisse les faire capoter, nous rappellent  l’existence non seulement de ce champ culturel et intellectuel, ‒on pourrait tout aussi bien parler d’un « climat », d’un air (vicié) du temps ‒,  mais aussi  de groupements ‒ appelons-les syndicats, groupuscules politiques, factions, bandes organisées‒,  bien disposés à exercer des types de pression illégales comme le soutien à des migrants clandestins, et pouvant aller jusqu’à la violence physique exercée à l’encontre des forces de l’ordre ou à la dégradation d’équipements publics financés par l’Etat et les collectivités locales : c’est-à-dire financés par nous. Dès lors qu’il s’agit de syndicats, d’associations dites caritatives ou de bandes d’étudiants, ces types de pression paraissent revêtir d’emblée une certaine légitimité, ce qui est un comble. En revanche, lorsque certains de nos concitoyens décident d’exercer une forme de surveillance sur nos frontières historiques en bloquant par exemple le col de l’Echelle où passaient impunément des migrants, il s’agirait d’un grave acte méritant l’opprobre. C’est la démonstration, quasi quotidienne, d’un deux poids, deux mesures, contre lequel il est difficile de s’opposer. Ainsi, les personnes (étudiants et autres desperados) qui ont occupé la fac de Tolbiac durant le mois de mars se seraient livrés à des actes de dégradation tout à fait scandaleux : selon la présidence des universités, le coût de ces actes de délinquance caractérisée s’élèverait à plusieurs centaines de milliers d’euros pour cette seule fac. Imaginons maintenant que des groupes se revendiquant de la droite nationale ou radicale ait commis de tels méfaits dans l’enceinte d’un établissement de savoir. De quelles manières parleraient, et d’une seule voix s’il vous plaît, nos organes de presse, nos tribuns à l’assemblée nationale comme l’inénarrable Jean-Luc Mélenchon dont on ne s’étonne même plus qu’il ait eu l’indécence de faire l’apologie de dictateurs comme  Fidel Castro ? Ainsi, la réaction du député de la France insoumise Eric Coquerel portant plainte après avoir été entarté par des militants de l’Action Française, « nouvel acte de violence » selon monsieur Mélenchon, sans doute  plus violent selon ses critères abscons que les actes de guérilla des zadistes à l’encontre des forces de l’ordre républicain : une tarte à la crème dans les mains de certaines jeunes personnes pesant davantage que des pavés dans les mains aguerries de professionnels de la contestation radicale. Monsieur Coquerel avait préalablement soutenu l’occupation par des sans-papiers de la basilique Saint-Denis. Lorsqu’il a entendu les raisons de son entartage il s’est empressé de  twitter : « votre idée de profanation de la “nécropole de nos rois‟, @MLP_officiel c’est du pur Maurras ». Ce tweet, dans sa forme ramassée (c’est le principe du tweet), disons plutôt rapetissée dans ce cas précis, n’en est pas moins révélateur. Gageons que la réflexion sur la notion de profanation chez monsieur Coquerel soit assez limitée, voire inexistante, que l’histoire des rois de France, de ces rois qui ont fait notre France, lui soit insupportable et qu’il n’ait pas ou peu lu Maurras. L’écrivain ivoirien Jean-Marie Adiaffi, qui a tant réfléchi à l’aliénation africaine, selon des points de vue qu’on n’est pas obligé de partager, a écrit dans son célèbre roman La Carte d’identité : « celui qui veut assassiner un peuple, détruira son âme, profanera ses croyances, ses religions, niera sa culture et son histoire ». Toute défense de son identité, de sa culture, de sa religion, serait-elle donc du « pur Maurras » ? Si tel est le cas, c’est un compliment que lui adresse involontairement monsieur Coquerel, entarté d’un jour, entarté toujours.

La vérité est que nous, peuples européens attachés à notre civilisation judéo-chrétienne et gréco-romaine, subissons une violence symbolique depuis l’après-guerre. C’est une façon comme une autre de définir la séquence moderne dans laquelle nous nous trouvons. Curieusement, nous répugnons à utiliser les outils développés par les sociologues et les philosophes qui ont réfléchi à toutes les formes de l’aliénation dans les pays anciennement colonisés, sans pouvoir imaginer un seul instant que nous aussi, nous avons subi une forme d’aliénation par nos soi-disant élites culturelles révolutionnaires, marxistes souvent, parfois staliniennes, voire maoïstes. Ces dernières ont pourtant contribué à donner une inflexion morbide à l’évolution des programmes et de leurs contenus  mis en œuvre  par une  Education nationale, d’où, sinon tout, du moins un grand nombre de choses découlent, dont le rapport à l’autorité, la nature des liens sociaux et surtout familiaux. Pierre Bourdieu, sociologue marxisant, écrivait dans ses Méditations pascaliennes : « La violence symbolique est cette coercition qui ne s’institue que par l’intermédiaire de l’adhésion que le dominé ne peut manquer d’accorder au dominant (donc à la domination) lorsqu’il ne dispose, pour le penser et pour se penser ou, mieux, pour penser sa relation avec lui, que d’instruments de connaissance qu’il a avec lui et qui, n’étant que la forme incorporée de la structure de la relation de domination, font apparaître cette relation comme naturelle ». Il existe en France, pays où il existe une vielle habitude de raisonner en cernant les faits, une sorte de gêne à emprunter au plus fort ses armes les plus efficaces, attitude assimilée à un pragmatisme grossier. Nous attendons qu’elles deviennent obsolètes, donnant ainsi raison à ce redoutable moraliste et génial conteur qu’était Mark Twain : « la gauche invente des idées. Et quand elles sont usées, la droite les adopte ». Il n’y a sans doute ni logique ni panache à ne pas se servir de concepts qui ont démontré leur efficacité. Mais il y a incontestablement une forme d’irresponsabilité à ne pas vouloir développer les siens propres afin de créer les conditions de prospérité et de sécurité nécessaires à la pérennité de notre société et à la culture qui lui donne sa forme et son âme. Le combat qui nous attend est un combat culturel dont l’issue dictera notre survie en tant que civilisation,  au sens de valeurs morales et matérielles, ou notre asservissement en tant que peuple,  au sens de communauté à l’origine commune.