Hervé de Penhep, ancien humanitaire ayant exercé cinq années en Syrie, est revenu il y a deux ans en France. Il entretient encore des liens étroits avec ce pays et a accès à plusieurs sources d'information locale. Il est également en lien avec des politologues européens et des diplomates en poste dans la région. Il a accepté de livrer son point de vue sur la révolte actuelle en Syrie à Liberté Politique.

La situation en Syrie semble trouble mais les médias ne partagent pas tous la même analyse. Quel est votre point de vue ?

Dans le contexte des révoltes arabes, on a longtemps pensé que la Syrie serait  épargnée . Dans les faits, la crainte de sombrer dans la violence totale comme ça a été le cas de l'Irak, du Liban et de la Palestine a énormément retenu la population syrienne. Le chaos n'est pas enviable, tout comme la situation des Etats proches.

Bien entendu, quelques dizaines de militants des droits de l'homme syriens on tenté ça et là de manifester mais la révolte n'a pas pris dans un premier temps. En réalité, c'est un fait divers qui a mis le feu aux poudres et conduit à la situation actuelle.

Des enfants à l'origine de graffitis moqueurs à l'encontre du gouvernement actuel ont été maltraités par la police au sud du pays, près de la frontière jordanienne dans la ville de Dar'a. L'un d'entre eux, le jeune Hamza, est mort à la suite de cet incident. La région qui est majoritairement peuplée de bédouins organisés de manière tribale et qui ne connaissait pourtant aucune tradition de révolte, s'est enflammée et la rébellion a explosé. Les manifestations ont rapidement tourné au massacre avec l'intervention de l'armée syrienne. Le mouvement local est devenu national.

Aujourd'hui, l'armée elle-même est divisée. Les différents détachements s'affrontent entre eux, et la population fuit. Bachar al-Assad a bien essayé de pacifier la situation mais sa parole n'a plus aucun crédit.

Certains parlent d'une révolution similaire au printemps arabe, d'autres d'une manipulation de l'opinion par la communauté internationale pour aboutir a une remise en cause du gouvernement actuel. Vous semblez aller dans le sens des premiers...

Il y a une grande différence entre la Syrie et la Tunisie par exemple. Alors que la Tunisie ou la Lybie sont, à grande majorité, musulmanes, la Syrie est un pays multi-confessionnel. Actuellement, avec al-Assad, c'est une minorité confessionnelle non religieuse qui est au pouvoir. L'équilibre est donc fragile et incertain, ce qui explique le recours à la force et l'autoritarisme dont fait preuve le gouvernement.

Par ailleurs, cela explique aussi pourquoi la révolte a été aussi lente à se mettre en place. En effet, la crainte est grande au sein du peuple que cela permette l'accès au pouvoir à des religieux comme les frères musulmans qui pourraient bien remettre en cause le statut multi-confessionnel du pays.

Quelles sont les implications sur le plan international ?

Actuellement, des mesures drastiques contre certains membres du gouvernement et les proches d'al-Assad, de l'appareil sécuritaire ou de l'armée ont été prises par Allemagne, l'Angleterre, la France et les Etats-Unis. De la même façon, les transactions internationales avec la Syrie font l'objet de contraintes fortes. Le régime actuel est dans une situation d'impasse totale ; il a perdu toute crédibilité tant sur le plan national qu'international.

Le dernier recours d'al-Assad est en fait médiatique. D'où ses déclarations à propos d'un complot international relayé par une certaine partie de la presse internationale.

Pour vous, la révolte actuelle en Syrie est donc bien dans la mouvance des révoltes du printemps arabe.

A l'origine, oui. Mais il ne faut pas oublier le contexte confessionnel-communautaire qui joue énormément. En Syrie, le régime est aux mains des alaouites. Les sunnites, qui représentent une large part de la population, se sentent opprimés et relégués au second plan. Bien que le Chiisme des alaouites et le Sunnisme soient toutes deux des branches de l'islam, ils ne partagent pas la même foi. Le pouvoir en Syrie est donc contesté notamment par des fondamentalistes qui viennent d'Arabie Saoudite.

Dans un tel contexte, la révolte qui a commencé avec des intellectuels de toutes confessions a peu à peu été récupérée par les sunnites et est aujourd'hui entièrement  confessionnalisée . En cela, il ne s'agit pas d'une révolution sur le modèle de celles d'Egypte ou de Tunisie.

Quelles sont les perspectives de la Syrie aujourd'hui ?

C'est là la principale difficulté. On ne voit pas de perspectives. Cette révolution est très différente de la révolte sunnite de Hama en 1982. Aujourd'hui, les médias sociaux nous permettent d'accéder aux nouvelles en temps réel. Ils jouent un rôle déterminant dans l'information et la mobilisation. On est donc beaucoup plus informé de ce qui se passe au delà de nos frontières mais cela ne permet pas pour autant de prédire la suite des événements. Il est peu probable que les acteurs occidentaux oseront ouvrir un nouveau front en Syrie en déployant des forces armées là-bas après la Libye. D'autant plus que la Chine et la Russie y sont fortement opposées. Les Syriens ne peuvent donc compter que sur eux-mêmes. La France, l'Angleterre, l'Allemagne et les Etats-Unis ne peuvent pas aller plus loin, aujourd'hui, que le vote de sanctions sur le plan international.

En Syrie, les manifestants sont de plus en plus nombreux, plusieurs centaines de milliers à Hama vendredi 1 juillet, la liste des morts s'allonge, et la situation humanitaire est inquiétante à la frontière turque et dans certaines villes frappées par les conflits.

Comment entendez-vous la déclaration de certains évêques de Syrie ?

Les évêques de Syrie ont une responsabilité politique de conduite de leurs communautés. Ils cherchent avant tout à les protéger et, de ce fait, nouent des relations avec le régime qui peuvent paraître ambigües. Il est très clair par contre que leurs déclarations expriment une vive inquiétude pour l'avenir de leur communauté dans un climat de violence duquel rien ne pourra sortir de bon.

 

Propos recueillis par A.B.

 

 

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