Retailleau, le nuage de fumée

L’arrivée de Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur a provoqué des remous dans le camp macroniste et exacerbé le petit théâtre antifasciste des gauches.

Quelques semaines plus tôt, celui qui était encore président du groupe Les Républicains au Sénat faisait pourtant figure d’homme de droite plutôt conservateur mais très loin de l’image « radicale » qui lui est aujourd’hui attachée.

« L’ordre, l’ordre, l’ordre ». Lors de la passation de pouvoir au ministère de l’Intérieur en septembre, Bruno Retailleau a annoncé la couleur. Alors que son prédécesseur Gérald Darmanin était considéré par ses détracteurs à gauche comme un excité de la sécurité, le nouveau venu allait laver plus blanc que blanc. Après avoir dit tout l’été qu’il ne participerait pas à un gouvernement de coalition, Bruno Retailleau a finalement retourné sa veste. Le calcul peut s’entendre : mieux vaut être aux affaires que laisser un ennemi s’y installer. Si la « légitimité » de la parole politique en prendra encore un coup, le nouveau ministre a lui décidé de ne pas faire de la figuration… Mais peut-il vraiment faire autre chose ?

 

La minorité de la petite majorité

 

L’arrivée des Républicains aux affaires relève d’un calcul politique voulu par Emmanuel Macron qui a préféré cette option à celle de la coalition des gauches qui n’aurait pas pu gouverner. Dans l’attelage hétéroclite mis en place par Michel Barnier, Bruno Retailleau donne une caution à la droite et envoie indirectement un signal au Rassemblement National. Reste qu’en pratique, le ministre est pieds et poings liés. S’il s’attire la sympathie du RN, il se voue aux gémonies du centre, s’il convient au centre, il s’expose aux critiques du RN dont l’électorat est la cible des Républicains pour les prochains scrutins.

La mise en scène d’une loi immigration à venir semble aussi participer d’un exercice de diversion en période de débat budgétaire. Le chef de file du parti Renaissance Gabriel Attal y est opposé à l’instar du ministre de la Transition Écologique Yaël Braun-Pivet. Pas présenté, le texte est déjà condamné.

Comme son prédécesseur, Retailleau semble contraint à s’en tenir à une politique de réseaux sociaux, mettant en scène la moindre expulsion et réagissant systématiquement aux actes criminels et délictuels. L’expulsion du fils d’Oussama Ben Laden participe de cette incontinence communicationnelle qui ne change pas la donne mais donne une impression de mouvement.

 

« Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l'ouvrir, ça démissionne »

 

Face à l’inéluctable échec de sa ligne d’apparente fermeté sur la question migratoire et sur la criminalité, Bruno Retailleau devrait rapidement se trouver confronté à sa propre impuissance dans un gouvernement qui penche au centre. Dans un tel contexte et alors qu’il a déjà connu des accrochages avec son homologue Garde des sceaux Didier Migaud, le ministre de l’Intérieur pourra-t-il vraiment rester en place ? S’il est soutenu par le président du Sénat et par le chef du gouvernement, il ne dispose à la Chambre basse que d’une petite cinquantaine de députés en soutien et doit faire face à la presse de gauche qui en a fait son nouveau bouc-émissaire.

Partir en claquant la porte et en affirmant une ligne dure pourrait lui ouvrir des perspectives pour le futur et s’éviter de porter le bilan d’un gouvernement déjà bien mal embarqué. Aura-t-il cette idée en tête ou tentera-t-il de se démener avec les moyens du bord en se maintenant place Beauvau ?

Le possible vote sur la fin de vie que Michel Barnier a remis au goût du jour pourra aussi lui donner une autre occasion de partir mais son revirement sur la question de l’avortement peut laisser penser que les questions d’ordre éthique ne lui importent plus vraiment.

 

En s’intégrant à une majorité qu’ils ont critiqué pendant sept ans, Les Républicains ont joué un pari risqué. Si Laurent Wauquiez semble tenir la barre parlementaire à droite pour donner le change à l’ancien Premier ministre Gabriel Attal qui lui joue la carte gauche, LR n’en sera pas moins comptable du bilan du gouvernement Barnier qui arrive au pire des moments d’un point de vue des finances publiques et alors que les attentes en matière de sécurité sont grandes. Sur ces deux points, il ne semble pas qu’il n’y ait que des coups à prendre… A moins de rejouer la partition chevènementiste de 1983 et de démissionner, ce qui n’assurera pas l’avenir des LR mais aura le mérite de les différencier des troupes macronistes.

 

Olivier Frèrejacques

Président de Liberté politique