Sept députés européens (1) ont dénoncé l'existence d'un accord secret sur le financement de la recherche à partir d'embryons humains. Cet accord aurait été conclu entre le Conseil, des services de la Commission et des membres de la Commission Industrie, à l'insu du Parlement et des gouvernements des États membres de l'Union.
Annoncé par des membres de la Commission Industrie, il viserait à neutraliser les effets du compromis proposé par la présidence danoise, le 30 juillet dernier, à cinq États membres (Italie, Allemagne, Autriche, Portugal et Irlande), obtenant un " gel " du financement de la recherche sur les embryons jusqu'en décembre 2003 pour des raisons éthiques (Décryptage, 13/9/02).
La dénonciation de cet accord, ou de cette tentative d'accord, a permis de clarifier l'avenir, même si celui-ci est inquiétant. L'adoption finale du moratoire par le Conseil des ministres de la Recherche a eu lieu ce lundi 30 septembre. Il a été décidé de maintenir le moratoire jusqu'en décembre 2003, c'est-à-dire refuser tout financement de la recherche sur les embryons ou les cellules souches embryonnaires. Mais au premier semestre 2003, la Commission proposera un document en vue "d'élaborer un encadrement éthique des recherches sur les cellules souches provenant d'embryons humains" (sic). En outre, est autorisé le financement européen de la recherche sur les lignées cellulaires (cellules différenciées obtenues à partir de cellules souches embryonnaires).
Cette décision suscite l'indignation, tout comme l'attitude de la France qui a refusé le moratoire et accepté la recherche sur les lignées cellulaires. Le nouveau ministre de la Recherche, Claudie Haigneré, a justifié sa position (2) en invoquant le vote de la révision de lois de bioéthique en première lecture par l'Assemblée nationale, en janvier 2002, et l'ordonnance honteuse du ministre de la Recherche de l'époque, Roger-Gérard Schwarzenberg, qui entre les deux tours des présidentielles autorisait l'importation des lignées cellulaires !
C'est oublier que nous avons changé de majorité, de gouvernement, et que, faute de vote final et définitif sur la révision des lois de bioéthique, ce sont toujours les lois de 1994 qui sont applicables en France : celles-ci interdisent la recherche sur les embryons humains, le clonage humain et l'utilisation de lignées cellulaires.
On s'étonne enfin de la formule adoptée pour l'"élaboration d'un cadre éthique pour la recherche sur les embryons humains". Le meilleur cadre juridique et éthique n'est-il pas résumé par le principe contenu dans les lois de bioéthique de 1994 : "La loi garantit le respect de tout être humain dés le commencement de sa vie" ?
Il est inadmissible que la France méprise à ce point les lois nationales, défende à Bruxelles la recherche sur les embryons humains et s'apprête à défendre à New York le clonage humain (c'est en effet les 17 et 18 octobre 2002 qu'aura lieu à l'ONU une réunion sur le clonage). Inadmissible aussi d'imposer aux États membres de financer ce type de recherche interdite sur leur sol, par leur contribution au Budget communautaire. C'est un mépris pour nos démocraties !
Elizabeth Montfort est député européen, membre de la commission Industrie, Recherche et Énergie, membre de la Commission temporaire de génétique humaine.
(1) Hiltrud Breyer (RFA), Dana Scallon (Irlande), Concepcio Ferreur (Esp), Élizabeth Montfort (France), Mario Mauro (Italie), Bernd Posselt (RFA), Jose Ribeiro (Portugal).
(2) La lettre du directeur de cabinet du ministre délégué à la Recherche et aux Nouvelles Technologies :
République Française
Ministère de la Jeunesse, de l'Education Nationale et de la Recherche
La Ministre déléguée
A la Recherche et aux Nouvelles Technologies
Le Directeur de cabinet
Paris, le 20 septembre 2002
GB/sg n°021724
Madame,
Vous avez appelé l'attention de Mme Claudie HAIGNERE, Ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur la question des cellules souches. Elle vous en remercie et me prie de vous répondre en vous apportant les informations suivantes.
Concernant le cadre législatif, le processus de révision des lois de bioéthique est en cours et doit se poursuivre dans les prochains mois, mais à ce jour la loi 94-654 du 29 juillet 1994 est toujours applicable.
Il convient d'indiquer que cette loi interdit les recherches sur l'embryon et affirme, en particulier, le principe selon lequel " la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de sa vie". L'affirmation de ce principe n'est toutefois pas accompagnée de définition de l'embryon ou de la création de différents régimes juridiques selon les stades de son développement.
De plus, cette loi admet, à titre exceptionnel, le diagnostique préimplantatoire réalisé sur l'embryon in vitro ; elle permet la congélation d'embryons surnuméraires créés dans le cadre de l'Aide Médicale à la Procréation (AMP) en vue d'une réimplantation, ce qui a pour corollaire la destruction des embryons surnuméraires ne faisant plus l'objet d'un projet parental au-delà d'un délai de conservation fixé à cinq ans.
Vous le savez, les avancées scientifiques, techniques et médicales sont rapides, rendant nécessaire un réexamen de la question des études et recherches sur l'embryon, comme en témoignent les promesses concernant l'utilisation des cellules souches, en particulier. Celles-ci, en effet, ouvrent des perspectives thérapeutiques nouvelles qui ne concernent plus seulement l'amélioration des techniques existantes d'AMP, mais sont désormais susceptibles d'apporter des réponses à des maladies très graves.
Le nouveau projet de loi relatif à la bioéthique, destiné à adapter les lois de bioéthique de 1994, a été approuvé par l'Assemblée Nationale à une très large majorité (325 voix) le 22 janvier 2002.
En ce qui concerne l'importation de cellules souches humaines d'origine embryonnaire, la décision prise par le ministre précédent s'appuie sur le décret du 23 février 2000 relatif à l'importation et à l'exportation d'organes, de tissus et de cellules du corps humain. Ce décret s'applique à toutes les cellules et ne prévoit pas d'exception. Dans sa décision du 18 juin 2002, le Tribunal administratif de Paris a reconnu la compétence du ministre en charge de la recherche pour délivrer l'autorisation d'importation dans ce domaine.
Sur un plan scientifique, il est clair que les efforts de la recherche doivent permettre que les progrès réalisés puissent bénéficier à tous, tant est grande l'attente des patients de maladies incurables et celle de leurs familles. De leur côté, l'Académie de Médecine et l'Académie des Sciences ont clairement fait connaître la convergence de leurs opinions sur l'utilisation des cellules souches :
· L'Académie de Médecine (séance du 7 mai 2002) rappelle qu'elle a déjà défini, en 1996, 1998 et 2001, sa position sur la "médecine de l'embryon" et a souligné la nécessité de développer les recherches dans ce domaine. Elle n'a pas non plus soulevé d'opposition de principe à l'utilisation de cellules souches obtenues par transfert intra-ovocytaire d'un noyau somatique.
· L'Académie des Sciences (séance du 10 juin 2002) considère qu'il est impératif de comparer les différents types de cellules souches en vue de leurs applications thérapeutiques, tout en insistant pour que ces recherches soient menées dans des conditions strictes d'encadrement, sous le contrôle de la puissance publique. L'Académie se dit, d'ailleurs, inquiète des blocages des recherches en France dans ce domaine et soutient le texte du projet de loi voté le 22 janvier 2002.
Enfin, il faut rappeler qu'en aucun cas l'utilisation de cellules souches humaines d'origine embryonnaire ne saurait être assimilée à un travail de "recherche sur l'embryon", celui-ci ne pouvant être recréé à partir d'une lignée de cellules maintenues en culture ou même après isolement d'un blastocyste.
Je tenais à remettre l'ensemble de ces éléments en perspective et à vous faire savoir que votre point de vue, relayé par la représentation nationale, participe au débat démocratique qui devrait aboutir prochainement à une révision des lois de bioéthique.
Je vous prie d'agréer, Madame, l'expression de ma considération distinguée.
Bernard Bigot
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