Troisième plus grand Etat d'Afrique, avec 2,3 Millions de km2, 9 frontières [1] avec des voisins pour partie pétroliers [2], de grandes richesses minières aux confins du pays, à l'opposé de la capitale Kinshasa, il suffit de regarder une carte pour voir immédiatement les faiblesses de cet éléphant .
En effet, cet immense territoire, en plein cœur de l'Afrique, peu pourvu d'infrastructures routières, presque totalement enclavé mise à part une minuscule façade maritime [3], composé qui plus est d'une mosaïque de peuples, est très riche et totalement stratégique. Il ne pouvait donc que susciter de grands intérêts de la part des puissances internationales ou locales, et en premier lieu des Etats Unis, qui se sont manifestés dès 1960, lorsqu'ils soutiennent l'accession de Mobutu au pouvoir et couvrent, en 61, l'assassinat du leader Patrice Lumumba.
Mobutu avait bien compris que pour pouvoir gouverner ce vaste pays, ouvert à toutes les influences et toutes les convoitises, il fallait une armée puissante et une poigne de fer. C'est pour cette raison qu'il mettra cinq ans, jusqu'en 65, d'abord pour reconquérir, avec l'appui de l'ONU, le sud-Kasaï et le très riche Katanga, puis constituer son armée et pacifier dans le sang toutes les révoltes tribales, ethniques ou politiques... Après cela, le pays et son dirigeant seront respectés, du moins pendant quelques années.
En 97, le leader vieilli et corrompu fait malgré tout l'erreur (ou le calcul), d'accepter sur son sol les populations hutues qui fuient, terrorisées, la répression tutsie consécutive à la guerre civile rwandaise. Il se fait alors surprendre par l'armée rwandaise, qui franchit la frontière en prenant pour prétexte la poursuite des milices hutues cachées au milieu des populations réfugiées, mais dont le projet, en réalité, est la chute du régime de Mobutu pour placer à sa tête un ami ,un révolutionnaire professionnel originaire du Katanga, Laurent-Désiré Kabila. La prise de Kisangani marque la fin du régime, qui tombe comme un fruit mûr quelques jours plus tard [4]. On comprend parfaitement l'intérêt de cette opération pour le Rwanda, la souris qui a mangé l'éléphant [5], mais aussi, à la lumière de ce qui a été dit plus haut, pour ses parrains anglo-saxons, l'Angleterre et les Etats-Unis [6]. La chute du régime de Mobutu apparaît bien alors, à ce moment, comme un basculement stratégique majeur de l'Afrique centrale, puisque ce pays passe d'un coup sous le contrôle d'un pays de l'Afrique de l'Est, d'influence anglo-américaine. Pour la France, c'est un revers politique de première grandeur [7].
La surprise, c'est que Laurent-Désiré Kabila, vilipendé à l'époque par la presse française ignorante, se montrera néanmoins fort courageux puisque, sans armes ni moyens, il défendra son pays bec et ongles contre la prédation de ses amis de l'est, qu'il finira par chasser. Les rwandais et leurs affidés locaux, les populations banyamulengués des grands lacs, ne l'entendront pas de cette oreille, et déclencheront la deuxième guerre du Congo [8]. Les accords de Lusaka y mettront fin en 99, mais entérineront une partition de fait du pays, autorisant ainsi la souris rwandaise à continuer à se servir grassement dans le ventre de l'éléphant, une vaste zone de non-droit riche en minerais, autour des grands lacs, dans le Kivu.
En 2001, Laurent-Désiré Kabila sera assassiné, mais son entourage désignera, pour lui succéder, son propre fils, Joseph Kabila. Celui-ci poursuit tant bien que mal la politique de son père, tentant de rassembler les morceaux du pays, mais sans les instruments de sa puissance, que peut-il faire ? Harcelé par ses adversaires politiques [9], eux-mêmes soutenus de l'extérieur, mollement défendu par la communauté internationale, qui a pris acte d'une nouvelle frontière , se trouve partagée entre d'un côté les intérêts légitimes zaïrois, disons, plutôt européens, et de l'autre, ceux du Rwanda, disons, plutôt américains, et répugne à lui confirmer la légitimité à laquelle il a droit [10], comment peut-il s'en sortir ?
Pour l'instant, il surnage , avec une certains habileté, il faut bien le dire. Mais le pays n'a pas retrouvé sa souveraineté et, pour cette raison, la guerre du Kivu continue, et avec elle, les populations des grands lacs payent encore, presque 15 ans après le déclenchement du premier conflit et la chute de Mobutu, le prix exorbitant des intérêts géostratégiques et économiques de tous ceux qui veulent s'offrir à bon compte les morceaux du pays. On parle de 4 à 4,5 Millions de morts depuis le début de ce conflit [11].
Gulliver était riche et bien doté, il l'aura payé fort cher...
[1] Congo, Centrafrique, Soudan, Ouganda, Rwanda, Burundi, Tanzanie, Zambie, Angola. C'est clair, si une puissance étrangère contrôle la RDC, elle a une influence absolument déterminante sur l'ensemble de l'Afrique centrale...
[2] Congo au Nord-Ouest, Angola au sud. De plus, la capitale du Congo, Brazzaville, se trouve à portée de canon de Kinshasa, puisqu'elle est juste en face, de l'autre côté du fleuve. Pour ce qui est de l'Angola, l'embouchure du fleuve Congo, où se trouve la sortie de la RDC sur la mer, sépare l'Angola et une de ses provinces, l'enclave de Cabinda, assez autonomiste et extrêmement riche en pétrole. La configuration géopolitique rend donc l'Angola vulnérable.
[3] Réduite à l'embouchure du fleuve Congo
[4] L'auteur se trouvait précisément à Kinshasa ce jour-là...
[5] L'auteur, qui fera de fréquents voyages dans le pays dans les années qui suivront, peut attester de la façon dont, effectivement, la souris a mangé l'éléphant . Les protecteurs rwandais pilleront les caisses de l'Etat et les ressources du pays, abominablement...
[6] En effet, à la différence de l'ancien, le nouveau régime est anglophone. Si Laurent-Désiré Kabila a vécu à Paris, les amitiés des protecteurs rwandais, qui contrôlent les postes au gouvernement et dans l'armée, se trouvent bien dans les deux pays précédemment cités. Les communautés tutsies y sont importantes et influentes, et Paul Kagamé, le nouvel homme fort du Rwanda (toujours en poste à ce jour), ainsi que ses proches amis officiers, ont fait leurs classes au Kansas, à Fort Leavenworth, le centre intellectuel de l'armée américaine. Les liens rwando-américains sont donc très forts, et on ne peut pas éviter de voir dans cette attaque du grand Zaïre par le tout petit Rwanda une possible machination orchestrée de longue main. La rue kinoise ne s'y trompait pas d'ailleurs, qui n'a cessé, pendant les quelques semaines du conflit, de dire que des conseillers américains accompagnaient les troupes rwandaises. A l'époque, cela avait beaucoup étonné l'auteur. Avec le recul, il faut reconnaître que ce soupçon avait du sens...
[7] Sur l' Outenika , le navire prêté par Nelson Mandela en Mai 97 pour accueillir les ultimes négociations entre Mobutu et Laurent-Désiré Kabila, l'ambassadeur de France sera, d'après ce qu'on nous a dit, retenu à l'arrière et empêché d'intervenir, pendant que Mobutu et le représentant de Kabila négocieront à l'avant, sous l'égide de l'Afrique du Sud et des Etats-Unis....
[8] Qui sera presque la première guerre mondiale africaine , puisque la presque totalité des pays alentour y participera. C'est l'Angola finalement qui sauvera Kabila.
[9] Imposés par la communauté internationale, même, à son propre gouvernement !
[10] Il faudrait pour cela faire une vraie pression sur le Rwanda. On comprend bien que vu ses amitiés américaines, c'est impossible.
[11] Et on comprend bien, à la lumière de cet article, que ce n'est pas prêt de s'arrêter.
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