Nigeria

La secte Boko Haram, liée à la branche maghrébine d’Al-Qaïda, revendique les attentats antichrétiens qui ont de nouveau endeuillé le Nigéria à Noël. L’état d’urgence a été décrété.

« La cruauté d’une haine absurde et aveugle » : c’est ainsi que le P. Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, a qualifié l’attaque meurtrière (une cinquantaine de morts) dont ont été victimes les fidèles qui sortaient de la messe de Noël en l’église catholique sainte Bernadette à Madalla, en périphérie d'Abuja, la capitale fédérale du Nigéria  (située au centre du pays, Abuja a remplacé Lagos comme capitale en 1991).
« Absurde » : le mot est revenu dans la bouche de Benoît XVI, à l’angélus de midi du 26 décembre. Le pape a exprimé sa «profonde tristesse » et sa « proximité sincère et affectueuse à la communauté chrétienne et à tous ceux qui ont été victimes de ce geste absurde » et redit « avec force [que] la violence est une voie qui ne conduit qu’à la douleur, à la destruction et à la mort », tandis que « le respect, la réconciliation et l’amour sont la voie pour atteindre la paix». 

Cet attentat de Madalla le jour de Noël avait été précédé le 22 décembre par des attaques coordonnées dans trois villes du nord-est (Maiduguri, Damaturu et Potiskum) et par des affrontements entre des islamistes et les forces de l’ordre qui auraient fait 200 victimes. Des églises évangéliques ont été la cible des terroristes à Damaturu et Gadaka, des magasins  tenus par des chrétiens, un supermarché et le domicile d'un dirigeant chrétien local ont été incendiés à Potiskum, à une centaine de kilomètres de Damaturu, elle-même désertée par 90 000 de ses habitants à l’approche de Noël.

Comme on pouvait s’y attendre, ces nouveaux attentats ont été revendiqués par la secte Boko Haram qui réclame l'application stricte de la charia et veut instaurer un Etat islamique au Nigeria en multipliant les attentats, y compris les attentats-suicides. Voici plusieurs années que le terrorisme islamique ajoute un paroxysme de violences aux affrontements endémiques dans le pays. La population s’exaspère contre les autorités qui n’ont su répondre que par des raids brouillons et brutaux de l’armée aux actions de plus en plus sophistiquées et meurtrières de Boko Haram. Trois jours après les attentats de Noël, le révérend Ayo Oritsejafor, président de l'association des chrétiens du Nigeria (CAN) a été reçu par le président nigérian Goodluck Jonathan. Dénonçant « l'incapacité apparente du gouvernement », le pasteur a prévenu que. « la communauté chrétienne au niveau national n'aura pas d'autre choix que de répondre de façon appropriée s’il y a d'autres attaques contre nos membres, nos églises et nos biens ». La CAN, a-t-il ajouté, considère les actions de Boko Haram « comme une déclaration de guerre contre les chrétiens et contre le Nigeria en tant qu'entité ».

Etat le plus peuplé d'Afrique (près de 160 millions d'habitants et trois ethnies principales : Haoussa, Ibo et Yoruba), le Nigéria compte à peu près autant de musulmans (majoritaires dans le nord) que de chrétiens, (majoritaires dans le sud). Dans cette immense fédération (36 gouvernorats ,774 gouvernements locaux), les conflits ethnico-religieux auraient fait treize mille morts ces dix dernières années, depuis que la réintroduction de la charia dans douze Etats du Nord a mis le feu aux poudres. L’incendie s’est propagé : dans le seul Etat du Plateau, au centre du Nigéria,  plus de 122 églises ou temples auraient été brûlés depuis 1999 !

Fondée en 2004, la secte Boko Haram (dont le nom signifie en dialecte haoussa : « l’éducation occidentale est un péché ») multiplie assassinats et attentats après avoir lancé un soulèvement durement réprimé en 2009 (son fondateur, Mohammed Yussuf, avait alors été tué par les forces de l’ordre). Elle avait déjà revendiqué la vague d'attaques contre plusieurs églises qui avait ensanglanté la vigile de Noël 2010, faisant au moins une centaine de morts à Jos (capitale de l’Etat du Plateau, situé sur la ligne de front entre les musulmans descendus du nord et un puzzle de minorités autochtones majoritairement christianisées). Un regain de tension s’est produit le 16 avril 2011 avec la victoire à la présidentielle d’un chrétien du Sud, Goodluck Jonathan, élu face à un musulman du Nord, Muhammadu Buhari : les affrontements auraient fait alors au moins 800 morts.

Une nouvelle étape symbolique dans l’escalade a été franchie avec l'attentat-suicide du 26 août 2011 contre le siège des Nations unies à Abuja ( 24 morts, plus de 80 blessés), et la série d’attaques du 4 novembre 2011 contre des postes de police et six églises dans la ville de Damataru, capitale de l’Etat de Yobe (au moins 150 morts et une centaine blessés). Le pape avait déjà alors lancé un appel pressant à la paix lors de l’angélus du 6 novembre, relayé dans le pays par Mgr Ignatius Ayau Kaigama, archevêque de Jos : « L’appel de Benoît XVI doit pousser les autorités nigérianes à agir rapidement pour mettre fin à cette situation préoccupante, avait-il déclaré. Il ne s’agit pas seulement d’envoyer plus de forces de police, mais de recueillir plus de renseignements sur ces personnes qui en tuent d’autres sans aucune considération. » Pour sa part, Mgr Oliver Dashe Doeme, évêque de Maiduguri, capitale de l’Etat limitrophe du Borno, mais dont le diocèse inclut Damataru, explique ainsi les attentats qui endeuillent la région : « Les causes de ces violences sont multiples. Elles ont des facteurs sociaux, économiques, politiques et religieux. De surcroît, un certaine nombre de personnes puissantes perdent actuellement leur importance au sein de la société et utilisent la religion pour inciter une jeunesse peu instruite à semer la violence. Elle subit un haut niveau d’endoctrinement, basé sur la croyance que si quelqu’un meurt en combattant pour la cause, il ira au paradis. » Mgr Doeme n’exclut pas des influences étrangères dans ces attaques islamiques.

De fait, la secte Boko Haram qui se réclame des talibans afghans, a développé des liens avec la branche maghrébine d’Al-Qaïda (Aqmi : Al-Quaïda au Maghreb islamique)  et bénéficie de la prolifération d’armes venues de Libye avec le pillage des stocks du régime Kadhafi (notamment des explosifs et des missiles portables sol-air qui mettent en péril les avions de ligne). Le Conseil suprême islamique du Nigéria a condamné le terrorisme de Boko Haram, recueillant un satisfecit de la Conférence épiscopale dans sa déclaration sur la situation du pays publiée le 17 septembre. Les évêques y mettaient en garde le gouvernement contre « tout dialogue ou amnistie concernant des criminels impénitents et des meurtriers de citoyens innocents. » Ils dénonçaient aussi « l’égoïsme et l’avidité » de ceux qui exercent des fonctions politiques, qu’il s’agisse de contrôler les zones agricoles fertiles ou de s’accaparer la manne pétrolière (le Nigéria est le cinquième exportateur mondial de pétrole) : c’est là, aux yeux des évêques, l’origine première de la crise économique et des violences qui déstabilisent ce pays riche en ressources, mais en proie à une corruption endémique.

Les compagnies pétrolières font la pluie et le beau temps au Nigéria. Selon des indiscrétions publiées l’an dernier par le site Wikileaks, la compagnie pétrolière Shell se vante d’y « avoir des gens dans tous les ministères importants ». Comme pour mettre un comble aux maux du pays, c’est cette même compagnie qui vient de causer la plus grande marée noire qu’il a connu en 13 ans (depuis le naufrage de l’Exxon Mobil) avec l’accident survenu le 27 décembre alors qu'un tanker chargeait du pétrole à une centaine de kilomètres au large des côtes.

 

Sources : Apic, Fides, Imedia, Jeune Afrique, Le Figaro, Le Monde diplomatique.