Les propos de Macron visant à établir un parallèle douteux, pour ne pas dire scandaleux, entre Shoah et guerre d'Algérie, révèlent sa confusion mentale et son obsession mortifère pour une repentance mal placée.
Février 2017 à Alger, c’est en tant que candidat qu’Emmanuel Macron déclare sur un média algérien, Echorouk News, que la colonisation avait été un «crime contre l’humanité», que la France «devait présenter ses excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avions commis ces gestes». Ses propos déclencheront une énième polémique au cœur d’une campagne présidentielle française devenue incompréhensible.
Le 6 décembre 2017, premier voyage officiel à Alger. Cette fois le président Macron affirme ne pas être «l’otage du passé» et en même temps, il dépose une gerbe au monument des martyrs de la guerre d’Algérie, le Maqam E’chahid, honorant ainsi les «chahid» du FLN (chahid étant un terme arabe à connotation religieuse défini par de nombreux hadiths). Après cette commémoration, il s’octroie un bain de foule dans les rues d’Alger où les caméras filment un échange impromptu avec un jeune Algérois qui l’interpelle: «il faut que la France assume son passé colonial avec l’Algérie», à quoi le président français répond «mais vous savez, ça fait longtemps qu’elle l’a assumé» et d’enchaîner avec une certaine brutalité «mais vous avez quel âge?», «vingt-cinq ans» lui répond le jeune homme. Emmanuel Macron s’exclame alors: «mais vous n’avez pas connu la colonisation! Qu’est-ce que vous venez m’embrouiller avec ça! Votre génération doit regarder vers l’avenir». Depuis, le Hirak a démontré que la jeunesse algérienne n’avait pas besoin de cette injonction quelque peu paternaliste pour se construire un avenir meilleur débarrassé des criminels et autocrates du FLN.
Ce rappel factuel illustre la versatilité d’Emmanuel Macron sur ces sujets dits «sociétaux». Il ne cesse de brouiller les pistes, déclarant une chose et son contraire, tout en affirmant que ce flou est de la subtilité, le signe de sa «pensée complexe». Si nous n’y voyons pas de cohérence idéologique, c’est probablement parce que nous sommes idiots ou intellectuellement malhonnêtes. Ainsi à un jeune Algérien, il déclare en décembre 2017 que les jeunes générations n’ont pas à «l’embrouiller avec ça», mais en janvier 2020 il tient aux Français un discours opposé si l’on en croit les propos tenus devant des journalistes dans l’avion le ramenant à Paris après sa visite en Israël. Apparemment, son opinion a encore changé depuis décembre 2017: la France n’aurait pas tant que cela «assumé» son passé colonial, puisqu’il déclare «la France ne peut pas se permettre de ne pas revisiter ce passé-là».
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C’est bien la France qui disparaît sous nos yeux depuis plus de deux décennies dans ces sables mouvants, la France comme projet politique et démocratique commun. Un projet qui se dissout lentement mais sûrement sous l’effet corrosif des revendications mémorielles successives depuis la fin des années 1990. En effet, des minorités se percevant exclusivement dans une identité de «victimes historiques» aspirent à une reconnaissance publique moins réparatrice que vengeresse à l’égard de la France. Ils ont de cette dernière une vision essentialisante, la réduisant à une entité détachée de toute forme de contextualité historique. La nation française se trouve ramenée à une succession de criminalités d’État qu’elle doit expier par des rituels collectifs de contrition et autres programmes de réparation symbolique, sous forme notamment de «discrimination positive» pour chaque boutique victimaire.
Au cœur de cette injonction à l’expiation, la mémoire de l’extermination des juifs a joué un rôle central comme modèle concurrentiel, phénomène largement analysé par les historiens qui s’intéressent aux politiques mémorielles depuis une vingtaine d’années. D’une certaine façon, la phrase sans cesse rappelée de Jacques Chirac en juillet 1995 («La France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable») a lancé la course des minorités à la reconnaissance par l’État de leurs traumas historiques. Cependant, rejouer cette séquence avec la mémoire de la guerre d’Algérie, comme semble l’envisager le président Macron, recèle de grands dangers dans une France infiniment plus tendue et clivée qu’en 1995 où la tyrannie des minorités était encore peu perceptible. En 2020, le volcan identitaire gronde, d’autant plus qu’il est alimenté pour partie par l’islam politique, autre thème évoqué en filigrane des confidences aériennes du président.
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