Le 3 octobre 2012, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme va entendre une affaire « d’adoption homosexuelle » mettant en cause l’impossibilité pour une femme d’adopter le fils de sa compagne (affaire X et autres c. Autriche, n° 19010/07). Le couple de femmes y voit une atteinte au respect de leur vie privée et une discrimination. Le jugement sera rendu par la Grande Chambre, c'est-à-dire la plus haute autorité judiciaire européenne en matière de droits de l’homme, et sera sans appel possible. Les jugements de la Grande Chambre fixent la jurisprudence de la Cour et ont vocation à s’imposer aux 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. [1]
Le European Centre for Law and Justice (ECLJ) a été autorisé à intervenir dans cette affaire comme tierce partie (amicus curiae) et a soumis des observations écrites à la Grande Chambre (accessibles ici).
Les deux femmes qui ont saisi la Cour en leur nom et au nom du fils mineur vivent ensemble dans une relation stable et souhaitent devenir légalement une « famille » reconnue comme telle par la société et le droit en faisant adopter le garçon par la compagne de sa mère.
Selon le droit autrichien, l’adoption par un homme rompt le lien entre l’enfant et son père biologique, l’adoption par une femme rompt le lien avec la mère biologique ; et, faut-il le préciser, un enfant ne peut pas avoir sa filiation établie envers plus de deux parents. Les deux femmes soutiennent que cette règle a pour effet d’empêcher l’adoption par un partenaire du même sexe et constitue une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Elles indiquent qu’une telle adoption est possible dans un couple hétérosexuel recomposé, car, sous certaines conditions, un homme vivant avec la mère de l’enfant peut se substituer au père et adopter l’enfant (de même, la femme vivant avec le père de l’enfant peut en théorie se substituer à la mère). Dans ce cas, le parent naturel perd tout lien humain et juridique avec son enfant (il n’a même plus le droit de le voir). Une telle adoption par substitution requiert soit l’accord du parent amené à perdre son lien de filiation, soit une décision de justice fondée sur le constat de l’intérêt de l’enfant et de l’indignité du parent biologique à conserver ses droits sur l’enfant (en cas de maltraitance ou de désintérêt total pour l’enfant).
S’étant heurtées au refus du père de renoncer à ses droits, les deux compagnes ont demandé aux juridictions autrichiennes de le déchoir de ses droits parentaux et d’autoriser l’adoption de telle sorte que la femme adoptante se substitue au père de l’enfant.
Les autorités autrichiennes ont jugé cette demande d’adoption contraire à l’intérêt de l’enfant, et l’ont donc refusée. Elles ont jugé, en substance, qu’il n’est pas possible de substituer le père par une femme et qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de déchoir le père de ses droits, tout comme il serait également contraire à l’intérêt de l’enfant de substituer la « belle-mère » à la mère, et donc de rompre le lien de filiation du garçon avec sa mère.
En un mot, l’enfant a déjà un père et une mère, aucun d’eux ne souhaite ni ne doit renoncer à ses droits parentaux sur l’enfant. L’enfant n’est donc pas adoptable selon la législation autrichienne.
Telle est la situation dont est saisie la Cour européenne par les deux femmes, qui agissent en leur nom et au nom de l’enfant mineur. Elles se plaignent d’une atteinte au respect de leur vie privée et familiale (art.8) et de discrimination en raison de leur orientation sexuelle (art. 14).
Cette affaire est portée par le lobby international LGBT. Notons que l’avocat des requérants, Helmut Graupner, est le directeur européen de l’International Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender & Intersex Law Association (ILGLaw) et conseiller juridique d’ILGA-Europe. Il est également membre d’ECSOL, un réseau européen de juristes militants LGBT. Ces organisations interviennent dans la procédure comme tierce partie avec d’autres lobbys LGBT[2], et ont soumis des observations à la Cour.
La question que les requérantes et organisations LGBT veulent soumettre à la Cour est celle de l’adoption par le « beau-parent » homosexuel (step-parent adoption). C’est l’une des trois formes d’adoption revendiquées par les groupes LGBT, en plus de l’adoption par les célibataires homosexuels et par les couples homosexuels qui ont été respectivement abordées par la CEDH dans les affaires E. B. contre France en 2008 et Gas et Dubois contre France en 2012.
A la lecture des faits tels qu’exposés par le greffe de la Cour, rien n’est dit du père, si ce n’est qu’il lui est reproché de n’avoir pas donné de raisons valables pour refuser l’adoption. En fait, après des recherches plus approfondies, il apparaît que le père n’a pas été un simple géniteur instrumental – tel un donneur de gamète – comme on pouvait le supposer. Les juridictions internes précisent que le père a des contacts réguliers avec son fils. Les informations complémentaires ajoutent que l’enfant est issu d’une précédente union, qu’il porte le nom de son père et que celui-ci verse pour lui une pension alimentaire. Autrement dit, cet enfant, comme beaucoup d’autres dont les parents sont séparés, vit avec sa mère et a un père qu’il continue à voir et qui s’occupe de lui.
Dans les faits, l’affaire est donc très simple : les deux compagnes veulent évincer le père, et comme la loi ne le permet pas, elles accusent celle-ci d’être discriminatoire.
D’emblée, avant même de s’interroger sur le droit, deux questions de fait s’imposent :
- Le père est-il informé de la procédure à Strasbourg ? Les requérants ayant obtenu l’anonymat, on peut légitimement s’interroger. Faire une telle procédure à son insu serait déloyal, il ne serait pas en mesure d’être entendu alors qu’il a un intérêt personnel dans l’affaire[3].
- Le fils est-il d’accord ? Rien ne l’indique dans l’exposé des faits : au contraire étant mineur, sa mère agit en son nom devant la Cour et il est représenté par le même avocat que sa mère et la compagne.
Considérée d’un point de vue strictement juridique, l’affaire est simple, et l’on peine à comprendre pourquoi elle a été renvoyée devant la Grande Chambre : elle devrait se résoudre ainsi : il n’existe pas de droit à l’adoption, qui plus est envers un enfant non adoptable. Cependant, dès lors que sont en cause les « droits homosexuels », tout devient plus compliqué tant l’on craint de passer pour homophobe si on ne leur donne pas satisfaction. Une démonstration juridique plus approfondie s’impose alors, voici ses principaux éléments :
Le père a le droit et le devoir de continuer à s’occuper de son fils
Le père a le droit et le devoir de continuer à s’occuper de son fils, conformément tant au droit national qu’au droit international (notamment la Convention relative aux droits de l’enfant art. 5 et la Convention européenne sur les enfants nés hors mariage, art. 6).
Les conventions internationales relatives à l’adoption insistent sur la nécessité du consentement des parents biologiques[4] comme condition à l’adoption. En l’absence de consentement libre, éclairé et écrit, l’enfant ne peut être adopté. Pour garantir la liberté du consentement, les traités précisent qu’il ne doit pas être obtenu moyennant finance ou autre contrepartie. Le refus du consentement ne peut évidemment pas être reproché au parent qui l’oppose.
L’intérêt de l’enfant est de garder son père et sa mère
L’intérêt de l’enfant doit être la considération primordiale dans une adoption, selon la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale (art. 1) et la Convention relative aux droits de l’enfant (art. 21).
Or, l’intérêt premier de l’enfant est de garder des liens avec son père et sa mère et qu’il y a droit (art. 9 de la Convention relative aux droits de l’enfant). Les requérantes passent cela sous silence.
Il n’existe pas de droit à l’adoption
La Convention européenne des droits de l’homme ne garantit pas un droit à l’enfant ni un droit d’adopter ou d’être adopté[5]. L’adoption a pour but l’intérêt de l’enfant : donner une famille à l’enfant qui n’en a pas. Lorsqu’il s’agit d’établir un lien familial entre un adulte et un enfant, « une importance particulière doit être attachée à l'intérêt supérieur de l'enfant qui, selon sa nature et sa gravité, peut l'emporter sur celui du parent » adoptif[6].
La Cour européenne a admis qu’il était légitime de garder le modèle familial naturel tant pour la procréation médicalement assistée[7] que pour l’adoption[8]. C’est parce que l’adoption prend pour modèle la famille naturelle qu’un enfant ne peut faire l’objet d’adoptions multiples, que les parents adoptifs doivent être en âge de procréer et que l’adoption est définitive. L’adoption modifie le lien de filiation, qui est un élément essentiel de l’identité. Elle doit donc être respectueuse de l’identité et des droits de l’enfant, ce qui ne serait pas le cas si on admettait une filiation incompatible avec la réalité. La Grande Chambre a admis dans l’affaire S.H. c. Autriche qu’il était légitime pour l’Etat de refuser de créer volontairement des situations complexes ne correspondant pas à la réalité naturelle.
En application de cette référence à la réalité biologique, la Cour européenne a déjà eu l’occasion de dire qu’il est légitime que l’adoption d’un mineur entraîne la rupture de sa filiation biologique[9], et donc que l’adoption ne permette pas à un enfant mineur d’avoir plus de deux parents.
Admettre des filiations fantaisistes, sans ancrage dans la réalité, constitue une grave atteinte aux droits naturels de l’enfant, en particulier à la sécurité et aux repères dont il a besoin pour se développer, ainsi qu’une violation manifeste de la Convention relative aux droits de l’enfant qui rappelle notamment que l’enfant a, « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux » (article 7) et le droit « de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales » (article 8).
Finalement, ce qui est en jeu dans cette affaire, c’est l’étendue du pouvoir des adultes sur les enfants. Il ne suffit pas que les enfants soient ballotés au gré des fluctuations sentimentales des adultes, qu’ils soient séparés de leurs pères ou mères par le divorce ; il faudrait en plus maintenant que les adultes puissent falsifier à l’extrême leur filiation pour satisfaire leurs propres désirs et effacer leur passé, quitte à effacer celui de l’enfant. La réalité de la filiation est un ancrage naturel qui protège les enfants contre l’égoïsme et l’inconstance des adultes.
L’ECLJ espère que les juges de la Grande Chambre ne seront pas comme éblouis et aveuglés par la sensibilité du sujet et la crainte de passer pour « homophobes » ; cette crainte est déraisonnable, car ce qui est en jeu dans cette affaire, ce ne sont pas les droits du couple de lesbiennes, mais d’abord ceux d’un père et de son fils.
DOCUMENTS DE REFERENCE
- Exposé des faits (en anglais) réalisé par la Cour
- Retransmission vidéo de l’audience publique du 1er décembre 2011.
- Observations écrites de l’ECLJ dans l’affaire X et autres contre Autriche. (n° 19010/07)
- ECLJ, Analyse synthétique de l’affaire X. et autres contre l’Autriche (n° 19010/07)
- Sur l’arrêt de la CEDH dans l’affaire Gas et Dubois contre France (et ici en anglais)
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Le Centre européen pour le droit et la justice est une organisation non-gouvernementale internationale dédiée à la promotion et à la protection des droits de l'homme en Europe et dans le monde. L'ECLJ est titulaire du statut consultatif spécial auprès des Nations-Unies/ECOSOC depuis 2007. L'ECLJ agit dans les domaines juridiques, législatifs et culturels. L’ECLJ défend en particulier la protection des libertés religieuses, de la vie et de la dignité de la personne auprès de la Cour européenne des droits de l'homme et au moyen des autres mécanismes offertes par l'Organisation des Nations Unies, le Conseil de l'Europe, le Parlement européen, et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). L'ECLJ fonde son action sur « les valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples [européens] et qui sont à l'origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable »(Préambule de la Statut du Conseil de l'Europe).
[1] L’affaire avait été confiée initialement à la première Section de la Cour qui a tenu une audience publique le 1er décembre 2011 (vidéo accessible ici), mais s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre. En cas de désistement, les 9 juges de la Section siègent de droit dans la Grande Chambre composée de 17 juges pour juger l’affaire de façon définitive. Une Section peut décider de se dessaisir lorsque son projet de jugement contredit la jurisprudence antérieure, lorsqu’elle estime qu’une question juridique nouvelle se pose, ou, en pratique, lorsqu’elle pense que le moment est venu de consacrer solennellement un nouveau droit. Il semblerait que nous soyons dans cette dernière hypothèse, car la jurisprudence antérieure (Gas et Dubois contre France) n’avait pas consacré de droit à l’adoption par les couples homosexuels. Ainsi, s’il doit y avoir un changement de jurisprudence, cela ne peut se faire que dans un sens favorable aux revendications des couples homosexuels.
[2] Il s’agit de la FIDH (Fédération Internationale des ligues des Droits de l'Homme), ICJ (International Commission of Jurists), ILGA-Europe (the European Region of the International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association), BAAF (British Association for Adoption and Fostering), NELFA (Network of European LGBT Families Associations), et ECSOL (European Commission on Sexual Orientation Law).
[3] L’article 9-2 de la Convention relative aux droits de l’enfant prévoit, en cas de procédure de retrait de l’autorité parentale, que « toutes les parties intéressées doivent avoir la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs vues ».
[4] Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale (1993) art. 4 et Convention européenne en matière d'adoption des enfants (révisée, 2008) art. 5.
[5] E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 41, 22 janvier 2008, Schwizgebel c. Suisse, 10 juin 2010, n° 25762/07 § 72 ; Gas et Dubois c. France, 5 mars 2012, n° 25951/07§ 37
[6] Schwizgebel c. Suisse, 10 juin 2010, req. 25762/07, § 95 ; voir aussi E.P. c. Italie, no 31127/96, § 62, 16 septembre 1999, ainsi que Johansen c. Norvège, 7 août 1996, § 78, Recueil 1996-III.
[7] S.H. c. Autriche, GC, 3 novembre 2011, n° 57813/00 § 104.
[8] Schwizgebel c. Suisse, 10 juin 2010, req. 25762/07, § 88s
[9] Emonet c. Suisse, 13 décembre 2007, n° 39051/03, § 80, Gas et Dubois c. France, 15 mars 2012, n° 25951/07, § 72
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Ces deux femmes devraient être poursuivies pour maltraitance à enfant. Il a droit a son père biologique qui le voit, l'aime et le soutient financièrement. On veut rendre cet enfant otage et c'est un véritable enlèvement qui doit être poursuivi par la loi. Il faut que nous soutenions tous le père, pour ses droits et pour la protection de cet enfant ; le contraire est discriminatoire à l'égard du père et empêche une construction psychiatrique saine de l'enfant. Joelle de Monredon, docteur en médecine.
Ahurissant ! On se demande dans quel genre de cerveau dérangé peut naître le raisonnement que présentent les plaignants à la CEDH... Outre que l'ineptie juridique de leur position est complète, il ne reste plus qu'à espérer que les juges auront deux sous de bon sens (un seul suffirait même, en l'occurrence).
Si cela avait été un couple d'un homme et d'une femme qui avait fait la même demande, elle aurait été rejetée par la justice puisque le père ne veut pas abandonner sa paternité. Donc il n'y a pas discrimination.