Rendre compte des arguments en faveur de la légalisation de l'IVG, voici l'un des sujets du bac proposé cette année par l'inspection générale de l'Éducation nationale aux élèves de première littéraire.

Précisément, après trois questions sur le système hormonal féminin et le mécanisme de la pilule anovulatoire, dans la série "Saisir les informations et mobiliser des connaissances pour argumenter", on demande aux élèves : a/ À l'aide du document 4 (ci-dessous), dégager des arguments en faveur de l'autorisation légale de l'IVG en France ; b/ Argumenter l'idée selon laquelle l'avortement n'est pas considéré comme un moyen de contraception.

Lisons le document 4, intitulé : " IVG : la stabilité des chiffres cache de nouveaux comportements " :

"Trente ans après l'entrée en vigueur de la loi Veil, "la contraception et, en cas d'échec, le recours à l'IVG ont permis le passage d'un modèle de maternité sous contrainte à celui de maternité choisie, contribuant ainsi à redéfinir la parentalité au féminin, comme au masculin" estime Population et Sociétés.

"Et, contrairement à ce qu'affirmaient les opposants à l'avortement lors de l'adoption de la loi, la légalisation de l'IVG n'a pas eu d'impact démographique. "Une IVG ne constitue pas une naissance en moins mais une naissance reportée à plus tard dans un contexte plus favorable" explique Mme Bayes.

"La fécondité française, qui avait fortement baissé de 1964 à 1976, est stabilisée : depuis trente ans, le nombre d'enfants souhaités par les Français est inchangé et les femmes en ont toujours autant." Source : extrait du Monde du jeudi 9 décembre 2004

La surprise passée et avant d'analyser ce texte pour ce qu'il vaut, trois remarques, non exhaustives, suscitent déjà l'indignation.

1/ Demander à des adolescents de montrer que l'avortement est légal, c'est une façon insidieuse de leur faire admettre sans esprit critique que l'avortement est anodin. Plus que de l'intox, c'est une des formes de manipulation intellectuelle.

2/ Cet exercice d'analyse de texte ne relève pas du cours de biologie mais éventuellement de l'éducation civique ou de la sociologie... Il y a donc là une confusion pédagogique et un abus de la part de l'Éducation nationale.

3/ Obliger des adolescentes qui sont peut-être passées par cette épreuve de discourir sur ce sujet est non seulement un manque de psychologie mais une façon scandaleuse, voire cynique, de les enfoncer dans leur souffrance.

Il n'était demandé aux élèves ni un jugement de valeur ni leur propre opinion ; ils pouvaient donc répondre aux questions de la façon la plus " politiquement correcte " mais n'est-ce pas scandaleux, au prétexte du trentième anniversaire de la loi Veil, de les faire travailler sur des énoncés cousus de sophismes et de contrevérités, et d'obliger certains d'entre eux à tenir des affirmations contraires à leur conscience ?

Sophismes

Un "sophisme" est une véritable tromperie, c'est-à-dire une apparence de raisonnement cachée derrière un usage artificiel mais voulu du vocabulaire. En effet, les mots servent normalement à former nos raisonnements, car ils signifient à la fois des idées et des liens entre elles, mais à une condition : le respect de leur signification.

1/ Nous sommes d'abord devant un sophisme de l'accident : le mot naissance est employé deux fois pour signifier deux choses essentiellement différentes. D'abord dans l'expression "une naissance en moins". Car une IVG est vraiment, par définition, un être humain en moins, un vivant conçu, qui ne naîtra jamais : donc par définition l'IVG est "une naissance en moins".

Ensuite et par accident seulement, l'IVG est peut-être l'occasion d'"une naissance reportée à plus tard", même si, en fait, une naissance n'est jamais reportée ! Ce qui est reporté c'est le projet, le fameux projet parental. En vérité, si on a perdu celui qu'on attendait (si une grossesse a échoué naturellement - fausse couche - ou si l'être humain a été volontairement supprimé dans le cadre de la loi - IVG) ce qu'on reporte n'est donc pas une naissance mais un projet de concevoir un autre être humain.

Donc l'IVG est bien une naissance en moins et peut-être une occasion, par accident, de faire le projet d'accueillir un autre être humain, mais certainement pas de reporter la naissance de celui qui est désormais perdu ! L'analyse un peu serrée des expressions, dévoile la tromperie et lui apporte sa solution. Madame Bayes cherche à faire passer une marchandise de contrebande !

2/ Puisque on peut peut-être, mais rien n'est moins sûr, reporter le projet de concevoir, c'est aussi un sophisme de la pétition de principe (tenir pour acquis ce que justement il faudrait montrer) en parlant d'une "naissance reportée à plus tard" ; une IVG n'entraîne pas une naissance reportée ; perdre à la loterie, si l'on nous permet cette similitude, n'entraîne pas que je vais rejouer, encore moins que je vais gagner, même si c'est l'occasion de reprendre - ou non - un billet !

3/ La phrase insidieuse sur les " modèles " est caractéristique du pouvoir dominant d'une discipline, la sociologie, sur l'intelligence des choses. Que la contraception fasse passer "d'un modèle de maternité sous contrainte à celui de maternité choisie", cela peut se concevoir si on parle de modèle sociologique, c'est-à-dire d'une construction utile à la théorie et procédant de l'esprit du sociologue.

Mais un "modèle" est une grille d'interprétation fondée sur des options philosophiques ou idéologiques antécédentes, extérieures à la science. Ici le modèle préjuge la séparation de l'union et de la procréation. Or, dans l'agir humain, qu'on le veuille ou non, l'union et la procréation sont intimement unies : l'une rend l'autre possible. Bien sûr, on n'ignore pas les artifices humains de toutes sortes qui permettent de les désunir. Mais si l'on s'en tient à cette analyse apparemment objective du sociologue "séparatiste", la femme, depuis la nuit des temps, n'aurait pas eu d'autre choix que la maternité contrainte et forcée, l'avortement ou l'infanticide ! La liberté de donner la vie, le choix d'accueillir de nombreux enfants, la volonté d'assumer généreusement une grossesse imprévue, ça jamais. Une "parentalité conjointe" partagée avec son époux, encore moins ! Certes l'égoïsme masculin existait, mais il existe encore et il a de beaux jours devant lui, la pilule permettant de rendre la femme disponible tous les jours du mois...

Car malheureusement la contraception artificielle est une nouvelle contrainte, et sur ce sujet, les témoignages abondent. "La femme peut avorter si c'est son choix, mais si elle avorte, c'est parce qu'elle n'a pas le choix. Obscur.'' (Élizabeth G. Sledzievski, le Monde du 6 oct. 2000) Comment l'oublier ? Les magazines féminins, au fil des témoignages, évoquent le cycle "pression–répression–dépression''. La pression, c'est ce "devoir contraceptif auquel toute femme est censée se soumettre durant près de trente-cinq ans''. La répression, c'est la culpabilité de la femme qui avorte, parce qu'elle "n'a pas su gérer sa contraception"... Dans cette utopie de l'efficacité qui repose sur les seules épaules féminines, aucune place n'est faite à l'ambivalence du désir d'enfant, ou du désir de grossesse" (Libération du 4 octobre 2000).

Répondre par les chiffres au mensonge sur "l'impact démographique"

La contraception accoutume à une mentalité contre la vie, c'est-à-dire la peur de l'enfant et conduit en conséquence à l'avortement, "correctif" obligé d'une contraception défaillante. Or il y a de nombreux échecs de la contraception sous toutes ses formes et la contraception ouvrant à l'avortement ne peut qu'accroître celui-ci, comme le montrent les chiffres : 206.000 IVG en France en 2002, dont 11.000 chez les moins de 18 ans, des chiffres en hausse. Depuis 1990, plus de 8.000 jeunes filles mineures ont eu chaque année recours à une IVG. Ce nombre a tendance à s'accroître depuis 1995, avoisinant 10.700 en 2002 contre 8.100 en 1993.

La revue Population de l'Ined a publié l'enquête "Cocon" (vol. 59 n° 3, 2004) sur la contraception et le recours à l'avortement en France. Menée par une équipe pluridisciplinaire de l'Inserm, de l'INED et du CNRS, l'enquête fait ressortir cette réalité propre à la France : si les Françaises sont les plus grandes utilisatrices de méthodes médicales de contraception au niveau mondial, le nombre d'avortements (environ 200.000 chaque année) reste stable et élevé. L'étude montre que les échecs de contraception restent fréquents : 30 % des grossesses sont non prévues, 2/3 d'entre elles surviennent chez une femme utilisant une contraception. La moitié de ces grossesses non prévues se termine par une interruption de grossesse. Les chiffres de l'avortement sont confirmés : 200 à 210.000 par an depuis 30 ans.

En France, il sont faciles à retenir selon Gènéthique.org : 1, 2, 3, 4 = 1 avortement pour 2 femmes, pour 3 naissances, pour 4 conceptions. Le nombre d'IVG a augmenté de 6 % en France entre 1990 et 1998 passant à 214.000, (étude DRESS du ministère de la Solidarité - Le Monde du 20 sept. 2000), l'un des taux les plus élevés d'Europe. Ces chiffres se passent de commentaires.

Revenons à nos chères têtes blondes. L'Éducation nationale a résolument opté pour une "éducation" unilatérale à la contraception chimique, en feignant d'ignorer le lien de causalité entre contraception et avortement. Pire, sans le dire, elle culpabilise sur l'avortement, après avoir mis en place une politique qui y conduit !

À l'heure où l'on distribue dans les enceintes scolaires des préservatifs aux garçons, c'est une politique du pompier pyromane, avec la solution, proposée elle aussi à l'école d'une contraception-abortive "de secours" (Norlevo)... Bref, on conduit une génération droit dans le mur, ignorant délibérément l'alternative : une éducation affective et sexuelle, une formation morale, c'est-à-dire aux mœurs amoureuses, fondée sur une anthropologie adéquate, pleinement humaine. Et le moment venu, contre le tout chimique, une information scientifique sur les moyens de régulation naturelle conforme à l'organisme féminin.

Le principe de la dignité humaine et de la liberté des élèves oblige aujourd'hui l'Éducation nationale à tenir compte de l'objection de conscience de nos enfants.

*Bruno Couillaud est professeur de philosophie.

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