En matière de veto présidentiel, Georges W. Bush n'est pas un dingue de la gâchette. On a beau le railler en Europe, et l'affubler d'un costume de cow-boy, il a signé 1 116 lois sans y opposer son veto malgré 141 menaces.

C'est dire si son premier usage de cette prérogative à propos du 1 117ème texte a une portée politique.

Ce veto intervient à quatre mois des législatives de mi-mandat. Son usage, prévu par la Constitution, permet à Georges Bush d'effacer une loi prévoyant le financement fédéral de la recherche sur les cellules souches d'embryons conçus in vitro. Elle avait été adoptée par 63 sénateurs – dont 19 républicains associés à la minorité démocrate – contre 37. Le mobile conduisant le président à la refuser est éthique. Il invoque son "refus de franchir une frontière morale" à respecter par la société.

Ironie du sort, le président américain est allé jusqu'à braver le lobbying émouvant de Nancy Reagan, la propre veuve du président dont il est le digne héritier en matière de respect de la vie, et qui fut lui-même objet de dérision avant d'être vénéré. Une partie de la famille de Ronald Reagan réclame la recherche sur l'embryon pour vaincre la maladie d'Alzheimer dont il fut victime. Mais le président Bush use des mêmes arguments émotionnels : il a annoncé sa décision entouré d'une flopée d'enfants "flocons de neige". C'est ainsi qu'on nomme outre-Atlantique les anciens bébés-éprouvettes survivants d'une décongélation. Une façon de proclamer la valeur de la vie.

L'opposition démocrate accuse le président de fermer les yeux sur les "souffrances des Américains" que la recherche sur l'embryon pourrait "sauver". Elle ironise sur son "obscurantisme". Le républicain Arnold Schwarzenegger, s'est même fendu d'une lettre l'invitant à ne pas "tourner le dos au progrès". Pour certains, Georges Bush s'est inféodé à sa "base religieuse conservatrice". Mais d'autres, y compris parmi ses adversaires, le jugent tout simplement "fidèle à ses convictions". Difficile de ne voir qu'un simple calcul politicien dans une position passant outre une nette majorité des parlementaires américains, et deux sondés sur trois !

Le précédent "Baudouin"

On se souvient du geste hautement symbolique – quoique sans conséquence pratique – du roi des Belges, Baudouin, abdiquant provisoirement en 1990 pour ne pas avoir à signer une loi contraire au respect de la vie. Ici, Georges Bush exerce la même objection de conscience, mais en un geste qui s'assume comme pleinement politique. Et efficace : la majorité de deux tiers de parlementaires américains permettant d'annuler son veto est improbable.

Avec cette décision, le président américain projette le statut de l'embryon dans la sphère des thèmes majeurs du débat électoral américain où il rejoint logiquement la controverse sur l'avortement.

Étonnement vu de France, où l'on tente soigneusement de classer les "sujets de société" comme non-politiques, au risque d'expurger le débat public de toute prétention morale. Une évolution s'y confirme cependant à l'aube de l'année électorale : les questions liées à la bioéthique, à la sexualité et à la fin de vie sont omniprésentes. Ne sont-elles pas en passe de dessiner le véritable clivage entre deux choix de société antinomiques ? L'un privilégie la tyrannie du désir et l'autre les droits inaliénables de la personne humaine.

Le 26 juillet, le député UMP Pierre-Louis Fagniez rendra public son rapport intitulé Cellules souches et Choix éthique, prolongeant les lois bioéthiques de 2004 dont il fut rapporteur. L'élu du Val-de-Marne, lui-même médecin, est proche de ceux qui réclament qu'on libéralise le clonage à visée "thérapeutique", c'est-à-dire la création d'embryons à des seules fins de recherche.

La France navigue au milieu du gué en cette matière. En autorisant en 2004 l'expérimentation sur les embryons surnuméraires, elle n'a que partiellement échappé à la dérive utilitariste observée dans les pays anglo-saxons. Le cardinal Philippe Barbarin avait alors stigmatisé cette "transgression sans précédent". La porte n'est qu'entrouverte. Mais trouvera-t-on en 2007, un homme d'État hexagonal capable de résister aux sirènes scientistes en prenant la défense de citoyens sans défense et... sans voix ?

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