Nos coups de coeur
L'ami du Prince – Journal inédit d'Alfred de Gramont (1892-1915)
N'hésitons pas à l'écrire : voici une somme. Non pas une somme , un récit exhaustif sur ou à propos de la Belle Epoque, mais, dit exactement, la somme de la Belle Epoque, la narration, l'analyse et, par les soins redoublés de l'attentif, passionné, engagé dirait-on même, historien Eric Mension-Rigau, la synthèse de sa quintessence.
En compagnie du duc de Luynes, Alfred de Gramont a été jusqu'à sa mort l'ami le plus fidèle, le plus intime de Philippe VIII, duc d'Orléans, l'arrière-petit-fils de celui qui, introducteur en quelque sorte du meilleur et du pire de la modernité, ne s'est plus voulu roi de France, mais – uniquement devra-t-on ajouter en cet adverbe que d'aucuns ne manqueront pas de nous reprocher – roi des Français, Louis-Philippe Ier. A la suite d'Alfred, Mension-Rigau ne manque pas, tel Le Postulant à l'ANF a nous narrer par le menu tous les tiers, quartiers et cinquième de noblesse, nous voulons dire tous les états de service des ancêtres de l'ami du Prince . On s'y perd un peu, mais l'on retient qu'Alfred, bien souvent, se montre plus royaliste que certains de ses ascendants, tels ceux ayant servi Napoléon III. Mensoin-Rigau, à l'image de son héros, dissèque, explique et justifie. Le personnage et son auteur (pour ainsi dire) ont pour ambition et se font comme un devoir de fonder en droit, c'est-à-dire par l'Histoire (les faits d'armes, les alliances etc) le devoir d'amitié avec le chef de la Maison de France tout en s'attachant à toujours tenir devant lui et sa famille un voile de considération et de dignité. Les douze tomes du journal d'Alfred de Grammont associent donc la plus extrême délicatesse à l'assénement des quatre vérités d'une époque qui avait pourtant bien mérité de son épithète : 1/les échecs électoraux des royalistes et du catholicisme durant toute cette première partie de la IIIème République, à première vue incompréhensibles en raison de l'impopularité de son action anticléricale, s'explique d'abord par les divisions et, souvent, la médiocrité de cette opposition ; 2/ la mainmise de l'Action Française et de ses ultras sur le bureau politique du Prince à compter de 1911 s'est révélée contre-productive ; 3/ cela ne retire rien à la pertinence d'un certain misonéisme et au rejet par principe (monarchique) de la République ; 4/ les qualités de cœur, jointes à un idéalisme, voire un certain mysticisme de la patrie, réfractaires à la philosophie politique pragmatique (qu'illustre l'Angleterre), figurent au nombre des caractéristiques du vrai manant,- de celui qui veut maintenir, et qui sait se tenir, avant même de chercher à se maintenir. On a compris que seuls ceux qui, comme l'écrivait Marc Bloch, sont insensibles tout à la fois au souvenir du sacre des souverains français à Reims et à la fête de la Fédération de 1790, sauraient demeurer insensibles à l'ensemble des sentiments et des valeurs que transporte ce journal pourtant sans prétention stylistique. On a compris aussi que sa lecture, dans sa version annotée par Mension-Rigau, se situera dans la prolongation et la filiation affective et idéelle de celle du Boni de Castellane que notre jeune historien avait rédigé à l'époque, chez Perrin, sous la direction éditoriale d'Anthony Rowley. Le saviez-vous ? Il existe une suite au journal d'Alfred de Gramont, une suite politique jusqu'à la Seconde guerre mondiale : la volumineuse étude de la Fédération nationale catholique par Corinne Bonafoux-Verrax, A la droite de Dieu (Fayard). Quant à la somme tout ensemble philosophique et politique de notre époque, nul doute que Fayard, lui encore, saura la détecter.
Hubert de Champris
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