Nos coups de coeur
L'œuvre de Philippe Muray (1945-2006) est de celles dont on ne se remet pas. Méchante pour certains, quasi prophétique pour d'autres, elle jette sur le monde une lumière si vive que la rétine s'en trouve brûlée, et superpose aux choses une indélébile tache d'ironie. Car ce qui caractérise notre époque est pour Philippe Muray son sérieux terrible, sa certitude agressive et béate d'être meilleure qu'un avant dont elle ne veut rien savoir, et de se diriger vers un avenir aussi paradisiaque et inéluctable que désincarné.
Cette dévotion à un Bien qu'on ne peut remettre en question est la source d'innombrables sottises, comme le chemin le plus court vers des formes nouvelles de barbarie.
Parce que les cibles véritables de cette plume acérée sont toutes les formes de bien-pensances, dont le héros est l'homo festivus, son extraordinaire liberté de ton, outre l'hilarité qu'elle provoque, procurera à certains un véritable enthousiasme en ces temps souvent sombres.
Enfant de Bloy par la colère, de Céline par la fièvre, de Rabelais par l'imagination, il se fait un devoir de pulvériser les vanités de son temps, de les transformer façon puzzle .
Pour la première fois, se trouvent rassemblé en un seul volume, sept textes de l'auteur (L'Empire du bien, les deux tomes d'Après l'histoire et les quatre Exorcismes spirituels), ce qui permet au lecteur de saisir toute la puissance de sa vision, mais aussi de goûter au brio de son style. Car si Philippe Muray porte un regard désespéré sur le monde, son désespoir n'est ni triste ni ennuyeux. On s'amuse beaucoup en compagnie d'une vaste galerie de personnages digne des Caractères de La Bruyère. Un index permet de se promener à loisir. Une annotation soignée éclaire également les allusions plus factuelles.
Luc Pinson
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