Deux parlementaires viennent de rendre un rapport et une proposition de loi sur les « nouveaux droits des malades et personnes en fin de vie ». Tous deux bannissent de leur vocabulaire l’euthanasie et l’aide au suicide, mais prônent comme le président de la République un « nouveau droit à mourir ». Que savent-ils de la mort, ces partisans de « l’assistance aux malades demandant une sédation continue jusqu’à leur décès » ?
J’ai naguère entendu s’exprimer à la radio l’un des parlementaires favorables à la légalisation de l’euthanasie. Ce qui frappait, c’est son assurance.
Cet homme-là ne doutait de rien. Il était sûr d’être dans le juste. Il était sûr d’être dans le vrai. Peut-être avait-il raison ? Si c’était le cas, cet homme-là était un grand sage. Je m’explique.
Ceux qui ne doutent de rien
Euthanasie signifie « bonne mort ». Comment sait-il en quoi consiste la bonne mort ? Parce qu’il sait, je suppose, ce que signifie « bon » et ce que c’est que « la mort ». Cet homme-là sait donc, apparemment, ce qu’est le bien et la mort. Quelle chance pour lui ! Et quelle chance pour nous.
Il sait que la mort est la fin totale de l’être humain, la chute dans le néant. Il sait que la bonne mort est celle qui n’est pas douloureuse, pas longue (assurément, c’est cela que nous préférons tous, instinctivement). Quant à la dignité, qui fait partie du bien, elle consiste positivement à agir, à rester le maître des événements, et négativement à ne pas dépendre, à ne pas subir. Le « bien » consiste donc dans le plaisir et dans l’absence de douleur, dans la préférence instinctive, ainsi que dans la puissance active, qui est dignité.
Mon législateur sait-il que tout cela est vrai ? Ou veut-il le croire ? En fait, je pense qu’il n’en sait rien, mais qu’il veut le croire. Je ne lui reproche pas de vouloir le croire, après tout, c’est son affaire.
Le pessimisme n’a rien de certain
La mort totale, la chute dans le néant, ce serait la fin de tout espoir. En ce sens la mort serait toujours absolument triste et sa simple anticipation projetterait une ombre en arrière, sur toute la vie. La mort totale rend la vie mauvaise.
Si la mort est totale, la mort est toujours bonne, par définition, puisqu’elle met fin au désespoir rationnel d’une vie qui ne mène à rien, une grande passion inutile. La mort serait peut-être même la seule bonne chose, pourvu qu’on ne la sente pas passer. L’euthanasie serait la seule bonne chose de la vie. Tellement bonne, qu’on ne voit pas pourquoi on attendrait la fin.
Bref, si la mort est totale, la mort est bonne par définition, et la vie mauvaise par définition. Est-ce là une bonne base pour légiférer pour un peuple aspirant au bonheur ?
Si c’était la vérité rationnelle, il faudrait bien la reconnaître. Mais est-ce la vérité certaine ? Et si ce n’est pas la vérité certaine, pourquoi légiférer sur ces sujets comme si pesait l’évidence de plomb d’une chape de désespoir ?
Euthanasie et manque d’esprit critique
Mon sentiment sur une telle proposition de loi, c’est qu’elle se fonde sur un manque d’esprit critique. On avance comme si le pire était sûr, mais cela n’est pas sûr du tout. Il faut envisager toutes les hypothèses. Soulager la douleur, sans doute, et on y arrive assez bien. Mais donner la mort à l’être humain, c’est quand même tout autre chose.
Pour croire faire du bien à quelqu’un, en lui donnant la mort, il faut vraiment penser qu’on lui fait du bien en lui infligeant, ou en lui permettant de s’infliger, une mort violente, et en lui interdisant de subir une mort naturelle. Le naturel vaut-il mieux que l’artificiel, en matière de vie et de mort ? Tout le monde parle d’écologie, et on voudrait industrialiser tout, mécaniser tout, y compris la mort ?
En réalité, mon grave législateur n’est pas sûr. Vous direz que je n’en sais peut-être pas plus que lui. C’est bien possible. Admettons même que cela soit vrai. Sur la base d’un tel doute général, nous gardons donc un espoir que la vérité, après tout, puisse ne pas être triste et que le pire ne soit pas vrai. Donc, si nous doutons vraiment, nous espérons. Allons-nous donc agir comme par certitude de désespoir, alors que le désespoir est peut-être une sottise, un coup de cafard, et que les nuages vont s’entrouvrir – et qu’en tout cas, ce désespoir est un manque d’esprit critique ?
Admettons que nous soyons tous dans le doute, que ferions-nous ? Voilà la bonne question.
Dans le doute, nous nous dirions que la vie a peut-être un sens. Et il nous suffirait d’un léger doute pour nous y accrocher et nous réjouir de la possibilité du sens. Dans la joie du sens, allons-nous tuer par désespoir ? Pourquoi imposer une telle ambiance à ce peuple de bons vivants ? Pourquoi le doute profiterait-il toujours à la négation ? Cela, ce n’est pas le doute critique, mais c’est le préjugé du négatif que refuse l’esprit critique.
Il me semble que, dans le doute, dans l’espérance du sens, l’homme critique ne tue pas l’homme. Il le soigne, il lui tient la main, il soulage à la fois sa douleur, son angoisse et son chagrin, il l’aide à trouver le sens et la dignité que peut revêtir tout instant de l’existence, y compris les derniers.
Henri Hude est philosophe. Dernier livre paru : La Force de la liberté (Economica).
Prochain article :
Vivre la dignité de la mort
Sur ce sujet :
Le rapport et la PPL Claeys-Leonetti
A propos du rapport Claeys-Leonetti : le double discours
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