Le libéralisme, bon ou méchant?

[Source: Magistro]

Blog Henri Hude

Est-il bon ? Est-il méchant ? Le libéralisme
 
Ce bref article a pour objet de clarifier l’usage du mot ‘libéralisme’. Certains n'aiment pas que l'on prenne ce mot dans un sens systématiquement péjoratif, alors qu’il peut aussi, disent-ils, avoir un sens neutre et désignatif, voire un sens positif. On suggère donc d’user de qualificatifs. Par exemple, il faudrait parler dans un cas de ‘libéralisme dévoyé’ et dans l’autre de ‘libéralisme dévoyé’.
 
Peut-on fixer le sens des mots ? 
Le sens des mots est, dans une certaine mesure, fixé par chacun de ceux qui les emploient.Si une personne a décidé d’employer le terme ‘libéralisme’ pour désigner son opposition à l’économie soviétique, ou son amour de la noble liberté humaine, personne ne peut l’en empêcher, mais il risque de créer des confusions, notamment chez ceux qui n’ont pas vécu la guerre froide. Car le sens des mots est surtout fixé par un certain usage, qu’on peut regretter, mais dont il faut tenir compte. Si donc on a une idée à exprimer qu'un mot usuel n'évoque pas du tout, il faut trouver un autre mot. 
 
Parce que les mots ont une histoire ...
Bien sûr, le sens des mots varie ainsi à travers le temps. Voici peu d’années, j’ai écrit un bref article sur le sens étymologique et classique du mot ‘libéral’, sur la vertu de ‘libéralité’, les ‘arts libéraux’ et la ‘culture libérale’, etc. Ce papier m’a valu quelques reproches de la part d’antilibéraux, bien qu’il ne parle pratiquement pas du libéralisme, sauf pour dire que ce dernier terme n’avait à peu près plus rien à voir avec l’étymologie du mot ‘libéral’. 
 
Dans l’usage courant, le mot ‘libéralisme’ a d’abord désigné, à partir du XIXème siècle une vision et un projet enracinés dans la recherche d’une autonomie radicale de l’Homme par rapport à Dieu et à la Nature. Il désigne particulièrement la forme que prend l’économie politique, et toute la société et sa culture, animées par une volonté d’autonomie individuelle radicale. Il ne désigne plus guère l’opposition au communisme, qui n’existe plus. Et il ne désigne plus du tout (si ce fut jamais le cas) la simple existence des marchés, des contrats, de la propriété privée, de l’initiative individuelle, etc. – tout ce qu'on appelle le capitalisme.
Enfin, dans les temps déjà éloignés de la grande modernité, l’individu libéral se rattachait à la Raison entendue chez Hegel comme l’Absolu des Lumières, ou à la Raison transcendantale au sens kantien du mot. Cette référence philosophique substantielle et sérieuse a pratiquement disparu du paysage culturel. Aujourd’hui, dans ces temps postmodernes, l’individu libéral est plutôt un nihiliste sans aucune norme solide, qu’il s’agisse de Dieu, de la Nature, ou de la Raison. Incapable de distinguer la liberté de son abus, il tendrait même à définir la liberté par la transgression de tout ce où l'on pourrait concevoir comme normes.
 
Parfois les mots vont en Enfer
Le bon sens populaire s’en rend bien compte et c’est pourquoi (même s'il a ses propres défauts) il ne voit plus dans le ‘libéralisme’ en économie que la rhétorique d’une classe de privilégiés qui viseraient non pas le développement économique, mais l’appropriation des richesses et du pouvoir politique par une minorité de privilégiés. Sous prétexte de ‘liberté’, leur action aurait pour conséquence la destruction des classes moyennes, fondement sociologique des démocraties, et l’apparition de formes modernes du servage, dans une économie ou le travail acharné du plus grand nombre garantit à peine la survie.
Il y a des mots que l’usage a définitivement (?) damnés, c’est ainsi, et libéralisme est du nombre. Ne pas en prendre acte me semble source de malentendu. Les expressions de bon libéralisme, ou de libéralisme humaniste me semblent des oxymores, comme si l’on parlait d’esclavagisme généreux ou de prostitution heureuse. Sur le fait que le libéralisme tel qu’on l’entend n’est qu’une idéologie (l’inverse du communisme) et que l’économie libre ou le capitalisme n'ont strictement rien à voir avec le libéralisme, j’ai écrit un autre texte auquel je me permets de renvoyer.