Nominations européennes : le compromis franco-allemand remis en cause

Source [Atlantico] La Présidente désignée de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen doit recevoir aujourd’hui la majorité absolue au Parlement européen pour être confirmée dans son poste, mais cela ne sera pas aussi facile que prévu.

Atlantico : Un article publié le 12 juillet par Jean Quatremer dans Libération fait état d’un conflit qui existerait entre la ministre de la Défense allemande et le secrétaire général de la Commission Européenne, Martin Selmayr, et qui rendrait ce vote plus incertain que prévu. De manière générale, comment expliquez-vous que cette candidature ne soit pas facilement acceptée par les députés européens ? En quoi est-ce dû à un conflit germano-allemand ou du moins, à la situation politique en Allemagne ?

Christophe Bouillaud : D’une part, il faut bien rappeler encore une fois qu’Ursula von der Leyen, si elle est bien membre du Parti populaire européen (PPE), via le fait d’être membre de la CDU allemande, n’était pas la candidate désignée par le PPE lors de son Congrès pour présider la Commission européenne, si le PPE arrivait en tête en nombre d’élus européens au soir du 26 mai 2019. C’est l’allemand Manfred Weber, qui était le candidat du PPE après avoir fait toute sa carrière au sein du PPE au Parlement européen. La Présidente désignée constitue donc en soi un affront pour ceux qui pensent que l’élection européenne doit proposer directement aux yeux de tous les électeurs les candidatures à la tête de la Commission. Elle manque à leurs yeux de légitimité démocratique, et surtout elle semble enterrer de fait le système dit des « Spitzkandidaten ».

D’autre part, cette Ministre d’Angela Merkel ne s’est pas distinguée dans le cadre des différents gouvernements de cette dernière par un génie particulier. Elle a su certes durer, en enchaînant les postes, mais il ne semble pas qu’elle apparaisse aux yeux de l’opinion publique allemande comme une étoile montante, mais plutôt comme une personnalité sur le déclin. Elle n’est pas non plus exemple de critiques plus ciblées sur sa gestion ministérielle : par exemple, une enquête parlementaire est en cours sur le recours à de coûteux consultants pour le Ministère de la défense qu’elle dirige depuis quelques années. De fait, elle apparait comme une « obligée » d’Angela Merkel sans grand relief. Cette personnalité réunit du coup tous les ingrédients pour exaspérer une partie des socio-démocrates et braquer les écologistes dans son propre pays. Il faut dire que, du point de vue social-démocrate, le néerlandais Timmermans, qui était le « Spitzkandidaten » des socialistes européens, parait 100 fois plus qualifié pour occuper le poste. Il a été en effet le Vice-Président de la Commission sortante, et il a gagné l’élection européenne comme tête de liste (PvdA) dans son propre pays. 

Il y a donc une forte composante allemande dans les réticences à l’égard de cette Présidente désignée. Les complications avec le rôle du secrétaire général de la Commission me paraissent plus anecdotiques. 

Edouard Husson : Jean Quatremer est bien informé sur ce qui se passe à Bruxelles. Ajoutons qu’il a le zèle des convertis. Après avoir fait partie de ceux qui ne voyaient aucun problèmes dans la manière dont l’Europe se construisait, il a découvert, soudain, une forte présence de représentants allemands à Bruxelles. Et il est passé, aujourd’hui, à l’extrême inverse: après avoir rabroué ceux qui jugeaient excessive la confiance que les Français mettaient dans la capacité allemande à assumer un leadership européen, il voit désormais une volonté de puissance allemande partout.

Avant de traiter de cette dernière question, il faut rappeler que c’est le président français qui a mis l’UE dans la situation de tension où elle se trouve. Le processus de désignation qui avait été accepté par tous les gouvernements étaient la sélection du futur président de la Commission européenne parmi les « Spitzenkandidate », les champions des partis politiques du Parlement européen. A tort ou à raison, les uns et les autres pensaient que c’était une façon de « démocratiser » la construction européenne. Macron a refusé Manfred Weber, candidat présenté par le parti arrivé en tête, le PPE. Il l’a fait dans des termes méprisants. Madame Merkel, affaiblie, a essayé, alors de faire passer un candidat pris dans le deuxième groupe du Parlement européen, social-démocrate, Franz Timmermans. Et c’est là, selon Quatremer, qu’a commencé une querelle allemande, le secrétaire général de la Commission, Martin Selmayr, faisant tout pour saboter la candidature de Timmermans, puis celle de la candidate finalement pressentgie, Ursula von der Leyen. 

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