[Source : Roland Hureaux]
Un résultat de la primaire de la droite passé inaperçu : les deux candidats qui s'étaient abstenus lors du vote de la loi Taubira, Nathalie Kosciusko-Morizet et Bruno Le Maire, ont obtenu respectivement 2,4 et 2,4 % des suffrages, soit 5% au total, ce qui n'est pas beaucoup.
Et encore, combien parmi les 15 % de gens de gauche qui ont voté à la primaire ont choisi NKM, qui serait sans doute tombée encore plus bas sans eux ?
Indépendamment de leurs convictions dont nous ne nous mêlerons pas, ils avaient cru que c'était là un choix habile : un vote moderne seul à même de préserver leur avenir, un vote qui plairait aux médias.
Effectivement, ces deux là ont eu leur heure de gloire: l'univers médiatique les a chouchoutés, multipliant les invitations sur les plateaux. Les médias favorisent ceux qui vont dans leur sens : ils avaient fait en son temps la fortune de Roselyne Bachelot, seul député de droite favorable au Pacs devenue grâce à cela ministre puis animatrice de télévision.
Mais dans le cas de la primaire, ça n’a pas suffi pour attirer les électeurs.
Une fois de plus, ce vote montre que l'espoir de certains hommes de droite de réussir mieux en se mettant du côté de la gauche dans les questions sociétales ne paye pas. Il y avait eu aux municipales Fabienne Keller à Strasbourg, qui, elle, avait voté carrément pour la loi, et déjà NKM à Paris (qui aurait du gagner), aux régionales, Dominique Reynié (qui aujourd'hui tente de corriger le tir). Nicolas Sarkozy savait-il qu'il signait son arrêt de mort en revenant sur ses promesses d'abroger la loi ?
A l’inverse, le succès de François Fillon n'est pas étranger au fait que "Sens commun", l'aile politique de La manif pour tous ait choisi de le soutenir alors même que ce choix avait été vivement contesté dans ce milieu.
Un problème de légitimité
Cela veut-il dire que la masse des électeurs de droite se détermine sur les choix sociétaux ? Non, évidemment, c'est plus subtil cela et nous ne prétendons pas comprendre entièrement le mécanisme à l'œuvre. Seules de petites minorités se sentent concernées par ces questions, mais ces minorités sont très motivées pour soutenir leur candidat et surtout pour "savonner la planche " à ceux qui ne partagent pas leur point de vue ; elles sont en outre insérées dans des réseaux associatifs où, comme on dit, "ça cause": au fur et à mesure que la gauche, découragée, délaisse le militantisme associatif, ce qui reste de catholiques (et pas seulement eux) s'y investit. Mais il y a autre chose : un effet de légitimation pour ceux qui collent aux fondamentaux de leur camp, y compris sur les points les plus difficiles, une délégitimation au contraire pour ceux qui s'en s’éloignent. Mitterrand qui savait tout cela n'avait pour cette raison jamais voulu lâcher sur les nationalisations dont les communistes avaient fait un marqueur fort. Cette posture est aussi un témoignage de caractère. Quand un homme de droite se dit, dans le contexte actuel, favorable à la loi Taubira, personne ne pensera qu'il est quelqu'un de courageux qui n'hésite pas à "briser les tabous", tout le monde y verra au contraire une lâcheté, un acte d'allégeance au courant dominant, en particulier dans les médias. Comment persuaderait-il alors qu'il pourra effectuer, dans quelque domaine que ce soit, des réformes difficiles, généralement les plus nécessaires.
C'est dire que dans les bagarres qui s'annoncent, les candidats de droite ont intérêt, contrairement à ce que leur diront leurs conseillers en communication, à ne pas tourner le dos aux revendications de la Manif pour tous (la plus importante manifestation recensée qu'il y ait jamais eu, rappelons-le). Pour cela, ils devront, face aux puissantes sirènes du conformisme, faire preuve de détermination. François Fillon n'a promis que peu : une réécriture de la loi Taubira, mais il devra donner un contenu précis et significatif à cette réécriture, en sus de l'évidente nécessité d'interdire la GPA et la PMA pour les couples homosexuels.
Au Front national, la tension est forte ; la ligne Philippot est de ne toucher à rien pour ce qui est du sociétal, c'est à dire de laisser historiquement le dernier mot à la gauche. En matière d'avortement, on connaît les aberrations du gouvernement Hollande, récusées par Simone Veil elle-même : suppression du délai de réflexion et pénalisation des bénévoles qui font de l'écoute téléphonique, proposant des solutions alternatives aux femmes en détresse. Abroger cette pénalisation aussi inhumaine qu'attentatoire à la liberté d'expression, tout récemment votée y compris par le Sénat de droite, ce n'est pas remettre en cause la loi de 1975, mais qui osera le dire ? Marine Le Pen est influencée par des conseillers qui lui recommandent d'éviter les sujets "clivants" sans voir que si elle se contente des sujets qui ne clivent pas, elle perd sa raison d’être. Là aussi, quelles que soient les convictions des uns et des autres, cela sera ressenti comme un renoncement et donc entraînera une perte de légitimité.
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