Un scrutin qui réunit 38,88 % des inscrits est délicat à analyser. Non seulement on peut difficilement en tirer des leçons au regard de l'objet de l'élection elle-même, mais il est périlleux d'y voir une photographie de l'état réel de l'opinion. L'exercice est cependant toujours instructif : lire les résultats d'un scrutin en pourcentage des inscrits (et non des exprimés) indique la mobilisation d'un électorat.

Ainsi, d'après les chiffres du ministère de l'Intérieur (cf. tableau complet en fin d'article), l'UMP et le Nouveau centre ont attiré 10,84 % des inscrits (27,877 % des suffrages exprimés), le PS 6,44 % (16,48), les Verts 6,33 % (16,28) et le MoDem 3,29 % (8,45).

La grande leçon de ces élections est que les candidats qui n'ont pas parlé de l'Europe ont été sanctionnés. L'activisme d'un Président omniprésent a scotché l'opposition sur sa personne, comme si les partis divisés et leur faiblesse idéologique ne pouvaient construire leur unité et leur doctrine que sur le dos de Nicolas Sarkozy. Résultat, une sévère correction pour le PS et le MoDem, une punition finalement assez saine.

1/ L'UMP (27,87 %), une victoire en creux. En tête du résultat, les partis de la majorité présidentielle ont l'avantage de disposer d'un chef incontesté. Pour une fois, et dans un climat de crise particulièrement difficile, l'autorité de ceux qui sont aux affaires a déconsidéré la critique systématique des opposants discrédités par leurs querelles ou la vacuité de leurs propositions. Nicolas Sarkozy a réussi à cannibaliser les thématiques souverainistes (la préférence communautaire, le non à la Turquie) et à tirer avantage de la présidence française de l'UE pour parler en militant de l'Europe intergouvernementale. Certes, cela n'engage à rien pour l'avenir, mais le résultat est là, même en creux.

Le bémol est que l'UMP n'a pas de réserve électorale, ou pas plus de 10 %. Le Président est condamné à accélérer ses réformes, selon des orientations toujours aussi floues, mais menées avec volontarisme, et de gagner par défaut en divisant ses adversaires (l'ouverture).

2/ La débâcle du Parti socialiste (16,48 %) a deux causes essentielles : l'effet négatif de ses divisions et son impuissance à se présenter comme une alternative quand les socialistes apparaissent comme les complices d'une Europe libérale dont les Français ne veulent pas. Entre l'archaïsme de Martine Aubry et le messianisme de Ségolène Royal, leur discours ne parvient pas à se moderniser ni à choisir son camp. Cela l'empêche de rassembler.

3/ La vague écologiste (16,28 %) est la véritable surprise du scrutin. Dans une élection sans enjeu véritable et sans portée locale, les Verts ont surfé sur l'indigence socialiste. La modernité soixante-huitarde, c'est eux. Et ils ont bien joué : un vrai discours européen (fédéraliste et critique), un bon casting : le libertaire (Cohn-Bendit), la justicière (Joly) et le berger (Bové). Mais cette vague n'a pas d'autre épaisseur qu'un rouleau de printemps : un parti de gouvernement ne se bâtit pas sur une valeur unique à la mode, soutenu par des stars qui ne sont d'accord sur rien ou presque.

4/ Le capotage du MoDem (8,45 %). Envahi par la certitude de son destin présidentiel — et par le mythe de l'idéal centriste — François Bayrou a commis une erreur d'analyse sur ses succès de 2007 et 2008 : la moitié des électeurs ayant voté pour lui étaient des nomades, des déçus de la gauche qui n'avaient pas trouvé de réponses à leurs attentes (tout comme ceux des Verts aujourd'hui). Loin d'être stabilisés dans le giron du MoDem, ils se sont défoulés ailleurs. Quant à l'autre versant de son électorat, plus modéré, il n'a pas digéré son agressivité. Surtout, le Béarnais a confondu les élections, en ne parlant pas de l'Europe à son cœur de cible alors que celui-ci est probablement le plus européiste de tous.

5/ Le déclin du souverainisme (Libertas 4,80 % ; DLR 1,94 %). L'incapacité des eurosceptiques à proposer dans le temps une idée européenne autre que celle d'une contestation systématique a laissé le champ libre aux modérés qui, bon gré mal gré, ont pris conscience de la réalité des limites du constructivisme européen lui-même, et des mérites de l'Europe intergouvernementale. Désormais, le plan B appartient aux partis de gouvernement rattrapés par la réalité, comme si les souverainistes avaient eu raison contre eux-mêmes.

Le souverainisme apparaît désormais comme une sagesse politique ayant dérivé en contre-idéologie. Cette involution explique aussi sans doute la raison de l'inaptitude chronique des souverainistes à s'unir, le prix des rares places à leur portée ayant exacerbé les ambitions. Même si les listes de Philippe de Villiers et de Nicolas Dupont-Aignan dépassent ensemble le Front national, cette addition est purement théorique et l'échec de Libertas signe peut-être la fin de la dynamique du "non" à Maastricht et au traité constitutionnel. À l'expérience, cette dynamique n'a fonctionné que sur les idées institutionnelles elles-mêmes, quand les électeurs mesurent réellement les enjeux. Le Vendéen aurait sans doute gagné à persévérer sur le cœur de sa différence (les valeurs, sapées à Bruxelles), plutôt qu'à spéculer sur les mécontentements populaires et sur des alliances sans lendemain (Goldschmidt, Pasqua... hier, Ganley, CPNT aujourd'hui), des coups tactiques qui ont brouillé son image et son message.

6/ Le Front national sans Le Pen (6,3 %). Siphoné par la rhétorique sarkozyste, le FN a néanmoins stabilisé sa chute au-dessus de 5 %, mais uniquement grâce aux trois leaders têtes de liste dont l'ancrage politique est assuré (Jean-Marie Le Pen, sa fille Marine et Bruno Gollnisch). L'âge du capitaine a usé l'image du parti, et les rivalités entre ses barons (ceux qui n'ont pas quitté le navire) ne renforcent pas la crédibilité d'un mouvement qui a voulu se moderniser en conjuguant sa démagogie avec certaines valeurs du temps (l'euthanasie, l'avortement, l'homosexualité). En réalisant le meilleur score du parti, Marine Le Pen renforce sa position, mais pour quel avenir ?

7/ Le patinage de la gauche extrême (PCF-PG 6,05 % et NPA 6,01 %). Le verbe de Jean-Luc Mélenchon a sauvé le PCF d'une nouvelle débâcle, et il a empêché Olivier Besancenot d'émerger, offrant une alternative aux électeurs d'extrême-gauche. Les communistes sont désormais devant un dilemme stratégique : la démonstration est faite que l'enfermement dans la citadelle dont rêvent les vieux staliniens n'est pas la seule solution ; a contrario, elle complique la tâche du PS si les socialistes veulent croire encore à l'union de la gauche.

Quant à Olivier Besancenot, il est aussi victime du hors sujet . En quittant les avant-postes de la campagne (recadré par les trotskistes qui veulent l'empêcher de lui échapper ?), il a cassé lui-même sa dynamique et montré ses limites.

 

 

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