Les catholiques pratiquants, dans une proportion très fortement majoritaire, votent en faveur de la droite de gouvernement : ceux qui, souvent par exaspération, s’affichent à l’extrême-droite, demeurent marginaux dans l’Église de France sinon chez les intégristes ; tandis que ceux qui s’affichent à gauche, davantage marqués par leur militantisme et leur appartenance à des mouvements d’action catholique anciens, voient leur nombre se réduire rapidement au fil de leur vieillissement, et ne se renouvellent pas.

Ces derniers détiennent encore des positions d’influence importantes dans l’appareil épiscopal, comme ils constituent l’essentiel de la structure des permanents diocésains ; mais plusieurs évêques nommés il y a peu ont constaté à l’occasion d’évènements récents comme la sortie du film de Mel Gibson, la Passion du Christ, que cette "vieille garde" se trouvaient en décalage croissant avec la génération montante des catholiques pratiquants, la génération dite "Jean-Paul II", que l’on peut caractériser par trois exigences nouvelles et nettement affirmées :

1/ priorité à la vie spirituelle et sacramentelle sur le militantisme,

2/ visibilité d’une pratique publique décomplexée et non plus reléguée dans la sphère privée,

3/ cohérence entre la vie religieuse et la vie quotidienne, au travail comme en politique.

Cette génération montante, même si elle n’est pas (encore) aux commandes dans l’Église de France, en constitue désormais la majorité de ses pratiquants et s’installe progressivement au cœur des activités paroissiales, caritatives et apostoliques de base. De plus, en raison de ses caractéristiques sociales, économiques et culturelles, elle commence à exercer une influence qui dépasse très largement son poids numérique. C’est à elle que s’adresse en priorité la récente Note doctrinale du cardinal Ratzinger sur l’engagement politique des chrétiens, publiée il y a un an à la demande du pape (et qui a fait l’objet d’un colloque au Sénat) : elle l’a reçue dans cet esprit qui correspond à la réalité de ses aspirations et de ses engagements. De fait, c’est elle qui, au sein des catholiques français, est la plus critique envers l’action gouvernementale dont elle perçoit la réalité au delà des discours convenus.

Sur certains points majeurs, elle a le sentiment de se trouver en phase avec la majorité sinon de la population, du moins de l’électorat de droite. C’est notamment le cas sur :

1/ l’inscription de " l’héritage chrétien " dans le projet de traité constitutionnel européen : un sondage BVA/Fondation de service politique (juin 2004) a montré qu’elle emportait l’adhésion de 64 % des électeurs de droite parlementaire tandis que la position française, décisive dans la négociation, leur a paru résulter d’un blocage idéologique dépassé ;

2/ l’affaire du " lundi de Pentecôte " : sans constituer à proprement parler la remise en cause d’une fête religieuse, elle leur est apparue comme un pas supplémentaire vers la sécularisation de la vie sociale ;

3/ la vulgarisation du recours à l’avortement dans une approche contraceptive et de confort (l’IVG à domicile) qui va bien au-delà des cas d’urgence pour lequel il avait été légalisé (le nombre annuel de plus de 220.000 parle de lui-même) ;

4/ les notions ambiguës d’homophobie et de " mariage homosexuel " : les positions prises par la droite lors du vote de la loi sur le PACS ne sont pas encore oubliées et rendent incompréhensibles d’une part la réaction timorée du gouvernement face à la provocation du maire de Bègles, d’autre part les déclarations récentes sur " l’amélioration nécessaire " de celui-ci ou l’annonce d’un projet de loi réprimant l’homophobie ; plus que sur l’immigration, c’est sans doute sur ce sujet hautement symbolique du mariage, si la loi venait à en dénaturer le sens à leurs yeux, que pourrait se prendre un tournant décisif d’acceptation ou de rejet de la loi républicaine et l’amorce d’un mouvement de désobéissance civile.

Tentation d’autant plus forte que par ailleurs, cette génération a le sentiment maintenant bien ancré d’être systématiquement perdante dans les arbitrages gouvernementaux sur les questions de société ; qu’il s’agisse par exemple :

1/ de la politique familiale qui, par le jeu combiné de la généralisation des conditions de ressources et du privilège donné aux femmes qui travaillent au détriment de celles qui se consacrent à leur famille, les marginalise tandis que ce groupe compte une majorité de familles nombreuses avec de jeunes enfants ;

2/ de la loi de bioéthique dont les habillages et distinctions formelles ne les laissent pas dupes, sachant la pression des laboratoires ;

3/ de la laïcité puisque, fournissant une bonne part des élèves de l’enseignement privé où l’accueil des jeunes filles musulmanes voilées se faisait de façon plus souple et moins conflictuelle, elle a tiré du vote de la loi récente le sentiment d’un gage donné à un certain militantisme anti-religieux dont elle redoute la résurgence et l’extension à d’autres domaines.

L’accumulation des sujets d’insatisfaction combinée avec une approche de la vie politique moins marquée par la sociologie et davantage par les exigences de leur pratique rend la "génération Jean-Paul II" plus mobile électoralement : elle est sensible aux tentatives de démarches alternatives qui, même si elles n’ont pas encore débouché de façon décisive sur la scène politique et relèvent souvent de l’utopie ou de la naïveté, témoignent d’une évolution qui pourrait se faire au détriment de la droite gouvernementale. Elle ne réagit plus aux discours dont le renouvellement trop rapide au gré des circonstances et des auditoires la laisse indifférente. En revanche, elle est capable de sanctionner sans complexe ceux qui lui font par trop violence.

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