L'abbé Grosjean, le prêtre qui veut réveiller les catholiques

[Source: Le Figaro]

Jeune, pugnace et très médiatisé, ce curé agace parfois par son style ou sa pensée, mais ne laisse personne indifférent. Il sort un livre dans lequel il exhorte les catholiques à porter le message de l'Église au cœur du débat public.

L'Église catholique a des défauts mais elle a aussi le génie d'attirer des personnalités hors normes. Si elle compte peu de jeunes prêtres aujourd'hui, ils sont plus engagés que jamais. Apparaît ainsi dans les paroisses de France une nouvelle génération d'hommes de Dieu, souvent en col romain, parfois en soutane, mais sans aucun complexe par rapport aux vieux schémas du passé. Ils apportent un indéniable sang neuf.

L'un des plus emblématiques de sa génération est l'abbé Pierre-Hervé Grosjean. Curé de Saint-Cyr-L'École, dans les Yvelines, au cœur d'un quartier socialement très mélangé avec 40 % de logements sociaux, il fut ordonné prêtre il y a un peu plus de dix ans. Léger collier de barbe très tendance, ce prêtre à la fois classique et charismatique détonne parce qu'il est animé par une forte conviction, exprimé dans un livre, publié le 2 avril chez Artège et au titre évocateur: Catholiques, engageons-nous!

Il y pousse ce cri: «Les gens n'en peuvent plus de l'eau tiède qu'on leur sert, de ce consensus mou qui ne fait grandir personne! La parole d'Église peut interpeller les consciences les plus endurcies, toucher les cœurs les plus fermés. L'Église doit reprendre toute sa place dans le débat public. Il faut prendre les moyens pour que sa parole ne soit pas seulement entendue mais qu'elle ait du poids! Le message que nous portons nous dépasse, nous sommes bien plus attendus que nous ne le pensons. Alors pourquoi avoir peur? Pourquoi négliger les tribunes médiatiques?»

La colère de l'abbé Grosjean

En l'occurrence, il n'a pas eu peur d'accepter, en pleine affaire Barbarin, une invitation au mythique «Grand Journal» de Canal +, le 15 mars dernier. Et a laissé exploser une colère, très remarquée, saluée de tous bords et largement relayée depuis sur les réseaux sociaux. Elle restera comme un grand moment de télévision.Alors que le feu médiatique fondait sur l'archevêque de Lyon et que les évêques de France, réunis en assemblée plénière à Lourdes, improvisaient le matin même du 15 mars une conférence de presse mal préparée, ce jeune prêtre - sous des spotlights peu suspects de complaisance à l'égard de l'Église - a su trouver le ton juste pour parler de cette crise majeure, laissant bouche bée ses interlocuteurs.

Interrogé par Maïtena Biraben, il répond: «J'ai accepté de venir mais je viens avec la rage au ventre, je viens avec une colère sourde et douloureuse parce que je pense d'abord à ces enfants (…), parce que ces enfants, on leur avait appris qu'un prêtre, on peut lui faire confiance, parce qu'un prêtre est quelqu'un de bien, qui fait le bien, qui a donné sa vie pour servir et ces enfants ont été trompés, ils ont été blessés (…). Mais c'est encore pire quand ça vient d'un prêtre (…). La pédophilie est un crime insupportable. L'Église devra toujours être du côté des victimes et au côté de la justice pour rendre justice aux victimes et pour faire la vérité, quel que soit le prix à payer! (…) Je ne viens pas défendre une institution. Je viens défendre ces gamins. Avec tous mes frères prêtres, avec tous les évêques, l'Église est du côté des victimes (…). Il n'y a pas de deuxième chance possible parce qu'il n'y a pas de prescription pour la souffrance. Ces gamins continuent de souffrir, même adultes, on leur doit la vérité.»

Le lendemain matin, Laurence Rossignol, ministre du gouvernement Valls, salue ce cri. Ce qui vaut immédiatement à cette femme politique une rossée de critiques venue de sa propre sphère qui lui rappelle que le fameux abbé lutta contre le mariage pour tous.

Il est vrai que ce curé de paroisse n'y va pas par quatre chemins, lui qui est chargé par le diocèse de Versailles d'une mission de secrétaire général de la commission «Éthique et politique». Il explique dans son livre combien la situation actuelle du christianisme dans l'Hexagone «nous force à quitter toute tiédeur», non pour «vouloir conquérir un pouvoir temporel» mais parce que «la France est devenue un désert spirituel» et qu'elle est désormais «un pays de mission». Les catholiques doivent donc «s'engager et descendre dans l'arène». Le prêtre critique alors vertement la tentation du «repli sur soi» catholique ou du «réflexe identitaire», une «mentalité de perdant». Et tout autant «la tentation de la dilution», car un «christianisme “adapté” et “consensuel” ne sauvera personne».

«Une minorité créative»

Rappelant que «Jésus n'a jamais autorisé ses disciples à déserter», il convie les catholiques à devenir une «minorité créative», car «l'entre-soi est mortifère». Fustigeant dans ses rangs «l'amateurisme», le manque «d'ambition» et de «véritable stratégie d'influence», il lance ce mea culpa: «Nous avons trop souvent péché par excès de prudence ou par peur de cliver». Ce qui l'amène à encourager directement les jeunes catholiques, non pas vers des carrières «d'argent» où «leurs parents les poussent», mais vers la politique, les médias, l'enseignement. Et vers l'Église aussi…

Bref, un livre, tonique, à l'image de cet homme plutôt petit mais à l'énergie surabondante mais qui place «l'obéissance» à son évêque au premier plan. Jamais il n'intervient, d'ailleurs, dans les médias sans l'aval de son évêque, Mgr Éric Aumonier. Il explique: «Je tiens mon sacerdoce et ma mission de l'Église, je suis à son service, je ne roule pas pour moi. C'est elle qui doit faire le discernement et qui me dit comment je dois servir.»

Autre caractéristique de celui qui est appelé à devenir une figure médiatique de l'Église de France (près de 30.000 abonnés sur son compte Twitter ; 17.000 abonnés sur la page Facebook du site Padreblog fondé avec des amis prêtres), il sait s'entourer et travailler en équipe.

Derrière son visage public, il y a cinq prêtres qui sont des «vrais amis»: de «réconfort» si, en interne, les jalousies cléricales lui valent trop de piques, en externe quand les «coups» du pilori public sont «vraiment trop durs» ; de «conseil» aussi pour réfléchir aux prises de positions et surtout à la façon de les exprimer devant les micros ou les caméras. «Quand nous écrivons un texte pour le site Padreblog suite à l'actualité, raconte-t-il, nous ne publions jamais rien sans que les six prêtres soient d'accord. Fût-ce au prix d'une nuit de travail, d'allers et retours de mails.» Cet homme, également exposé aux félicitations louangeuses, ajoute: «Ces vrais amis me protègent de la grosse tête.»

Un curé français du XXI e siècle

Enfin, ce religieux au tempérament de «leader» avec des pointes «d'impatience» - son «principal défaut» - aime entreprendre. À côté de Padreblog, il a fondé trois initiatives qui apparaissent originales aujourd'hui, même si elles renouent avec la grande tradition du catholicisme social soucieux des plus petits mais tout autant de «l'élite», un mot tabou dans l'Église de France.

Depuis 2010, il organise chaque fin août, les universités d'été Acteurs d'Avenir. Elles rassemblent 200 étudiants catholiques autour de décideurs économiques et politiques de toutes tendances. Il a également cofondé, en 2008, un think-tank dénommé «Aletheia». Il regroupe de façon intergénérationnelle 300 catholiques, jeunes cadres ou seniors issus de tous les domaines de la société autour d'un invité. Récemment: Jean-Louis Bianco, Natacha Polony, François Fillon. Il a également fondé le Cercle Léon XIII pour des prêtres de la région parisienne. Ils rencontrent des hommes politiques, «off the record», en vue de «faire connaissance, d'échanger, de débattre». Derniers en date d'une longue liste: Macron, Sarkozy et Juppé.

 

Bref, ce curé français du XXIe siècle, qui peut agacer certains par son style ou sa pensée, ne laisse personne indifférent: «Je trouve que l'abbé Grosjean forme une excellente synthèse entre une forte identité catholique et l'ouverture, car il demeure fondamentalement engagé dans la société», commente Jean-Philippe Mallé, qui fut un moment député PS de sa circonscription et qui l'a vu à l'œuvre, «il promeut l'identité catholique auprès des jeunes, sans être identitaire.» Christine Pedotti, écrivain, cofondatrice de la Conférence des baptisé-e-s francophones, ne se situe pas sur la même zone de l'échiquier ecclésial - elle est directrice déléguée de Témoignage chrétien , un hebdomadaire de gauche -, mais elle reconnaît qu'il est «très doué» pour parler de l'Église dans les médias, «où l'on peut facilement se brûler». Elle observe: «Ce qui me dérange le plus n'est pas lui, mais le fait qu'il puisse devenir l'étendard d'une génération de jeunes cathos se revendiquant de lui pour justifier un catholicisme identitaire.»

Mais voilà l'impétrant, déboulant sur son scooter dans la cour de son presbytère, s'excusant d'avoir «six minutes de retard» mais il était «en confession»… Il place en effet ce ministère du pardon «au-dessus de tout engagement». Aider et accompagner ainsi les gens est une «priorité absolue». Dans cette église en béton, il anime un groupe de prière intergénérationnel. L'un des participants confie: «Il est parfois directif mais il sait vraiment parler à tous. C'est… un super curé!»