La presse française et internationale a très généreusement couvert l'événement de la béatification du pape Jean-Paul II, qui a été célébrée ce dimanche 1er mai à Rome, devant un public extrêmement nombreux. Revue des relations et commentaires d'un événement historique.

Dans La Croix, les envoyés spéciaux détaillent cette journée exceptionnelle, même pour la cité de Rome habituée aux larges affluences, qui aura vu, selon les estimations de la police italienne, plus d'un million de personnes converger autour de la place Saint Pierre et de la Via della Conciliazione, ainsi que dans toutes les rues, ponts et quais adjacents. 87 délégations officielles étaient présentes pour la célébration, parmi lesquelles le Premier ministre français François Fillon, une présence dont certaines voix voudraient faire polémique, ce que balaie son entourage :  La laïcité qu'on nous oppose est d'arrière-garde. François Fillon a toujours entretenu des relations suivies et cordiales avec toutes les religions. À Rome, la France vient honorer la présence de Jean-Paul II dans l'histoire du monde, qui dépasse largement les limites de la chrétienté. 

La célébration commence par le rituel de la proclamation :  le cardinal Agostino Vallini, vicaire général du pape pour le diocèse de Rome (...) demande formellement à Benoît XVI de procéder à la béatification. Il retrace d'abord la biographie de Karol Wojtyla et dépeint ses vertus chrétiennes , après quoi  le pape prononce en latin la formule de béatification. La foule exulte alors dans un gigantesque Amen. Les applaudissements durent plusieurs minutes. Le portrait de Jean-Paul II est déroulé à la loggia centrale de la basilique. C'est une photo, où il apparaît souriant et amical. 

Au cours de son homélie, qui  restera comme un grand texte de son pontificat , le pape Benoît XVI  se situe pleinement, non seulement dans la continuité de son prédécesseur, mais aussi à la suite de Vatican II . Il rend hommage à l'héritage de Jean-Paul II, qui  à travers le long chemin de préparation au Grand Jubilé, (...) a donné au christianisme une orientation renouvelée vers l'avenir (...). Cette charge d'espérance qui avait été cédée en quelque sorte au marxisme et à l'idéologie du progrès, il l'a légitimement revendiquée pour le christianisme, en lui restituant la physionomie authentique de l'espérance, à vivre dans l'histoire avec un esprit d' avent , dans une existence personnelle et communautaire orientée vers le Christ, plénitude de l'homme et accomplissement de ses attentes de justice et de paix.  Il reprend aussi à son compte les mots mêmes de son prédécesseur au sujet de Vatican II, déclarant,  en tant qu'évêque qui a participé à l'événement conciliaire du premier au dernier jour  qu'il  désire confier ce grand patrimoine à tous ceux qui sont et qui seront appelés à le réaliser à l'avenir. 

Du jamais vu

Dans France Catholique, on trouve l'analyse publiée par l'Américain Robert Royal, et traduite du site The Catholic thing, qui confesse n'avoir  encore jamais été témoin de quelque chose de comparable à la béatification de Jean-Paul II à Rome , et notamment de  l'extraordinaire atmosphère qui s'était emparée de la place Saint-Pierre. En dépit du nombre, il y avait quelque chose de recueilli et de contemplatif. La journée coïncidait en Italie avec la fête du Travail et celle de la St-Joseph. Une manifestation de travailleurs Piazza del Popolo est apparue, par contraste, plutôt amère et moche. Sur la place Saint-Pierre, ainsi que le dit un commentateur, vous auriez pu entendre une mouche voler. La foule — certains avaient dormi toute la nuit dans les rues pour parvenir à apercevoir quelque chose de la messe — n'était pas là pour un simple homme politique. Ce qui revenait le plus souvent dans les témoignages était la bonté et l'esprit qui  transparaissaient  d'un homme unique en son genre , dont le  plus grand et plus significatif  enseignement portait  sur la valeur rédemptrice de la souffrance – une leçon donnée non seulement par la parole mais par la manière dont il a supporté la souffrance dans sa propre vie. 

Le meilleur livre récent paru sur Jean-Paul II

Mais n'a-t-on pas déjà tout dit et tout lu sur Jean-Paul II ? Dans Le Figaro, Jean-Marie Guénois revient sur la figure méconnue du pape que révèle le père Slawomir Oder, postulateur de la cause de béatification, dans son livre Le Vrai Jean-Paul II (Presse de la Renaissance), selon lui  meilleur ouvrage publié à l'occasion de la béatification . On y découvre une synthèse des milliers de documents et témoignages inédits qui ont servi au cours du procès de béatification. Et en plus des révélations nouvelles sur la profondeur du mysticisme personnel du pape polonais, qui se livrait à l'autoflagellation, ou encore à des heures de prière parfois allongé à même le sol, le livre multiplie les anecdotes illustrant le caractère et la personnalité du nouveau béatifié.

Le plus étonnant étant de trouver sous la plume d'un fonctionnaire communiste chargé de le surveiller en Pologne ce portrait que ne renierait pas un chroniqueur religieux, qui évoque Karol Wojtyla comme  l'un des évêques les plus intelligents, doté d'une rationalité et d'un jugement sûr. Dans sa vie privée, il est sociable, franc et modeste. Il ne fait pas peser sur autrui sa dignité ecclésiastique ni ses vastes connaissances. Il ne s'intéresse pas aux biens matériels. Il lit beaucoup. (....) Le cardinal prouve à l'égard du clergé qu'il est un administrateur diocésain énergique et plein d'inventivité, et en même temps souple et ouvert.

Jean-Paul II et la France

Jean Sévillia rappelle pour sa part dans une longue synthèse les raisons qui poussaient Jean-Paul II à  aimer la France , ce qui ne doit pas faire oublier qu'aux débuts de son pontificat, la France, elle, ne l'aimait pas unanimement. Signe éloquent : les 350.000 personnes au Bourget en juin 1980,  alors que les organisateurs en espéraient 1 million. Ce chiffre, même en tenant compte des 50.000 jeunes qui se réuniront le soir au Parc des Princes, traduit une faible mobilisation. Et pour cause: une partie de l'épiscopat et du clergé français a sciemment boudé la messe du Bourget, décourageant leurs ouailles de s'y rendre.  Car la période de l'après-Concile  a vu souffler un vent révolutionnaire sur l'Eglise de France , tandis que Jean-Paul II, lui, est  viscéralement anticommuniste , pour avoir vu son pays subir le joug soviétique. C'est de façon progressive, par des appels vigoureux et des visites régulières, au cours de sept voyages entre 1980 et 2004, que le pape contribuera à stimuler la France dans le sens d'une plus grande fidélité aux  promesses de son baptême  :  la contestation interne ne désarmera jamais (...), mais les foules catholiques, réveillées, suivront désormais Jean-Paul II. 

Il en faut toujours pour ne pas être contents

Libération évoque de son côté les aspects de l'événement qui prêtent flanc à une critique que ne saurait pas énoncer la  béate génération de Jean Paul II  : la rapidité du procès de béatification, dont la vitesse d'exécution est il est vrai très inhabituelle, reposerait sur un calcul de l'Eglise, qui souhaite  récréer un moment d'enthousiasme alors qu'elle se trouve en difficulté, notamment après les scandales de pédophilie  selon le vaticaniste du Corriere della Sera, Bruno Bartoloni. Les décisions contestées du pape polonais sont, de façon classique, son   soutien inconditionnel au fondateur des Légionnaires du Christ, Marcial Maciel Degollado, soupçonné d'abus sexuels , et son  son comportement vis-à-vis des théologiens sud-américains de la Libération, exactement à l'opposé de ce que devrait représenter un modèle chrétien , selon le théologien en rupture de ban Hans Kung.

Bernard Lecomte, auteur d'une biographie de référence sur le souverain pontife béatifié, relevait sur son blog personnel la malhonnêteté de certaines de ces mises en cause :  Faut-il rappeler aussi qu'à l'époque où Jean-Paul II était pape, dans les années 1978-82, le journal Libération menait un combat idéologique pour banaliser la pédophilie ?  Robert Royal, avec hauteur de vue, réglait la question :  En regard  de son legs au monde et aux croyants  les critiques de Jean-Paul II, en provenance de divers secteurs, font l'impression de chicaneries. Ne s'est-il pas passé de mauvaises choses durant son pontificat ? Oui. A-t-il porté remède à tout ce qui n'allait pas dans l'Église ? Non. Les gens qui se livrent à ce type de critiques confondent sainteté et perfection . Or c'est bien un homme dont on a fait mémoire dimanche à Rome. Imparfait donc, d'évidence.

Quant à être saint un jour, il lui faudra encore attendre, mais peut-être pas trop longtemps, souligne TF1, citant l'interview donnée par le cardinal Bertone à la chaîne Rai Uno.  Interrogé sur une éventuelle canonisation du pape polonais , il a répondu :  il suffira d'un miracle scientifiquement prouvé et jugé tel, (une guérison) jugée inexplicable du point de vue scientifique par la commission médicale, la commission théologique ainsi que les cardinaux et évêques membres de la Congrégation pour la Cause des Saints . Et, concluait le Secrétaire d'Etat du Vatican,  certainement d'ici quelques années .

 

 

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