La dernière crise de broncho-marxite du Mammouth est porteuse de signaux multiples. D'abord, le dogme central des IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres), la fameuse " centration sur l'apprenant " (sic), fonctionne à front renversé : le prof au centre avec son glacis corporatiste et son bouclier tous azimuts de défense des avantages acquis.

.. et les élèves dans la centrifugeuse ! Le discours maximaliste des héritiers de la révolution la plus égoïste de l'histoire séduit une frange de plus en plus importante des déçus du socialisme prêts à toutes les surenchères nihilistes : pour eux, l'irresponsabilité éducative doit aller au bout de sa logique délétère au grand dam de tous ceux qui, dans l'institution, cherchent à sauver ce qui peut encore l'être. En tout cas, le désarroi est profond et signe un échec éducatif où l'éducation nationale n'est pas seule en cause.

Les parents ne s'y sont pas trompés : le spectacle des intermittents du grand service public d'éducation déroule un tapis rouge pour l'enseignement privé. L'enquête CSA pour Valeurs Actuelles (n. 3487) révèle que 51% des familles du public sont prêtes à confier leurs enfants à l'enseignement privé. Cette tendance est d'autant plus marquante qu'elle s'affirme dans des catégories socio-professionnelles qui évoquent plus la France d'en-bas — employés, ouvriers et professions intermédiaires — que Saint-Germain-des-Prés.

Philippe Meirieu avait proposé, pour pondérer les résultats bruts du classement des lycées, d'y introduire un indice de mortalité scolaire : quel établissement remplit en effet le mieux sa mission éducative ? Celui qui a trois classes de seconde et une classe de terminale, avec 100 % de réussite au bac ? Ou celui qui mène tous ses élèves au bac avec peut-être des résultats moindres mais un véritable souci éducatif pour chacun ? " Le privé, dit Gabriel Langouêt, a continué de réduire plus vite que le secteur public les inégalités sociales de réussite scolaire entre enfants d'ouvriers et enfants de cadres supérieurs. " La méritocratie républicaine, qui a abandonné l'école de Jules Ferry, la vox populi la retrouve dans cette école qui conjugue pourtant, aux yeux de l'homo laïcicus, la double tare de l'obscurantisme et du pouvoir de l'argent.

Cela prouve, outre l'enlisement définitif du Mammouth dans sa taïga soviétiforme, la très forte attente éducative des familles. Certes, elles sont fragilisées par vingt-cinq ans de libéralisme avancé et de socialisme soixante-huitardif qui comptent à leur passif un consumérisme scolaire générateur d'inégalités, et destructeur du lien social par volonté anti-familiale. La sociologue France Rollin constate la pression de plus on plus forte sur les enseignants " de parents qui n'hésitent plus à contester un prof, une méthode de travail ou une note ", quand il ne s'agit pas de procédure judiciaire pour une orientation ou un dossier scolaire.

Mais la demande des familles est polymorphe. Elles cherchent pour leurs enfants aussi bien la qualité de l'enseignement que des garanties éducatives ou sécuritaires. L'enseignement privé — notamment catholique — propose une offre éducative à la mesure de ces enjeux : " Le privé est devenu le meilleur secours des élèves en échec scolaire, le havre de paix des classes moyennes qui craignent à la fois la violence et l'incapacité des enseignants à y faire face " écrit Jacques Marseille, auteur d'un tout récent Guide des lycées (Seuil). " Nous avons gagné l'image d'un enseignement qui sait innover d'un point de vue pédagogique "explique Emmanuel Segretain, directeur diocésain de Lyon (La Croix, 1er sept. 2003).

S'il faut se réjouir de ce succès d'estime, certains comme Paul Malartre, secrétaire général de l'enseignement catholique, tempèrent cet enthousiasme devant l'afflux des candidatures, craignant qu'un choix de confort pour les familles n'efface l'identité chrétienne des établissements. Même écho chez Marc Fullachier, directeur diocésain de Privas, qui observe que " sur le plateau ardéchois, certains villages n'ont pour seule école qu'un établissement catholique... Il faut résister au risque de l'indifférenciation : nous devons rester une école catholique, mais ouverte à tous ". Dans ce domaine, le développement d'écoles catholiques hors-contrat confessionnelles — alors que l'école catholique se veut non-confessionnelle — montre l'attente religieuse de nombreuses familles qui ne trouvent pas leur compte dans l'enseignement sous contrat tenu au principe de laïcité. L'Église serait bien inspirée de prendre on compte cette demande de formation chrétienne dont la carence se fait sentir jusque dans la sphère laïque (Cf. Régis Debray, l'Enseignement du fait religieux dans l'école laïque, O. Jacob, 2002).

Liberté, mixité

Toujours est-il que l'enseignement catholique retrouve une liberté de parole qu'on ne lui connaissait plus sur des sujets aussi tabous que la mixité. La réflexion du sociologue Michel Fize sur le sujet (Les Pièges de la mixité scolaire, Presses de la Renaissance) semble intéresser davantage l'enseignement privé que le public poux qui le ministre s'est empressé de fixer les limites à ne pas dépasser.

Michel Fize indique que la mixité ne peut en aucun cas être considérée comme un principe fondateur de l'école de la République : seulement un outil dont la légitimité dépend de l'efficacité pédagogique. Or les études menées ces derniers temps révèlent que la mixité généralisée, notamment au niveau du collège, accentue le différentiel de réussite entre les garçons et les filles au profit de ces dernières - fait connu au moins depuis Charlemagne - et expliquerait en partie les violences sexistes on milieu scolaire.

Voilà un vrai sujet à proposer aux étudiants des IUFM, au même titre que le débat sur les méthodes de lecture sur lesquelles les étudiants desdits instituts auraient profit à faire une petite " centration ". Rachel Boutonnet, élève institutrice dans l'une de ces modernes abbayes de Thélème, nous apprend sans nous surprendre qu'un volume de six heures sur une année d'étude est consacré à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, portion congrue pour cette activité pédagogique somme toute marginale dans une école primaire (Journal d'une institutrice clandestine, Ramsay). On veut espérer que le grand débat national sur l'école qui doit déboucher en décembre 2004 sur une loi d'orientation fixant

les missions de l'école sera autre chose qu'un enfilage de perles idéologiques destinées à enrichir le bêtisier du Mammouth.

Le souhait de beaucoup de ceux qui aspirent au renouveau de l'institution scolaire est qu'on y parle de ses blocages et de la façon de les déverrouiller. On pourra très utilement se référer aux travaux du dernier colloque organisé à Lyon les 13 et 14 juin dernier par le Collège Supérieur (Lyon) et l'OIDEL (Organisation internationale pour le développement de la liberté d'enseignement-Genève) qui avait pour thème " Intégration sociale et autonomie des établissements scolaires ".

Cet axe de réflexion devrait réunir tous les hommes de bonne volonté qui pensent que ce n'est pas aux élèves de s'adapter à un système éducatif monopolistique mais qu'il faut une pluralité d'offres éducatives pour s'adapter à la diversité des élèves dans une société pluriculturelle. Le philosophe Jean-Noël Dumont, organisateur du colloque, propose les cinq pistes suivantes :

- Une société de tolérance se construit sur la reconnaissance des croyances et convictions ; la reconnaissance de la valeur éducative des traditions permet la mise en dialogue des cultures.

- La multiplicité des écoles est une chance pour la liberté des peuples et la rencontre des cultures.

- L'instruction est inséparable de l'éducation. Celle-ci suppose une équipe éducative cohérente, stable et accueillante, rendue possible par l'autonomie des établissements scolaires.

- Pour favoriser la mixité sociale, suppression de la carte scolaire, source de ghettoïsation, système opaque qui laisse jouer les injustices et les passe-droits.

- Pour favoriser la mixité sociale, pour que la liberté de choix de l'école soit réelle, nous préconisons une aide directement apportée aux familles afin qu'elles puissent exercer cette liberté.

Libérer l'école, c'est faire appel aux " créateurs d'école "; ils existent aussi bien dans l'enseignement privé sous contrat et hors contrat que dans l'enseignement public. Pour le bien de nos enfants, donnons-leur les moyens d'action qui leur manquent. Pluralisme ou monopole scolaire, le grand débat national sur l'école ne peut éluder la question. Aux citoyens de la porter sur le forum.

Emmanuel Tranchant est chef d'établissement scolaire. Il a publié Libérez le Mammouth, nos enfants étouffent (Mallard, 2002).

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