L'histoire des peuples victimes de leurs dirigeants et l'histoire de la piraterie d'État ne date pas d'aujourd'hui. La corruption des élites n'est pas un phénomène nouveau. Platon et Aristote, quatre siècles avant notre ère, en avaient déjà analysé les mécanismes : ils conduisent toujours à des révolutions. Les révoltes arabes viennent de nous en administrer une fois de plus la preuve.

En revanche le phénomène de corruption a atteint des dimensions sans précédent depuis trente ans. La chute de l'empire soviétique, la mondialisation, les progrès technologiques, l'accroissement des échanges, la dérégulation des marchés et ses conséquences dont récemment la crise du crédit bancaire de 2088-2009, ont été une formidable opportunité pour les mafias de tous genres, les réseaux du crime organisé et les gouvernements véreux.

L'économie criminelle, difficile à évaluer par définition, pèserait selon le FMI et la banque mondiale de 600 à 1 800 milliards de dollars. Le pillage des ressources naturelles de l'Afrique par ses dirigeants représenterait neuf fois l'aide au développement, le blanchiment de capitaux 2 à 5 % du PIB mondial. Pour ne citer qu'un exemple, les pertes subies par l'Égypte en raisons des activités illicites de son gouvernement se serait élevées sous le règne d'Hosni Moubarak à six milliards de dollars par an !

La Suisse vient de vertueusement bloquer les avoirs de Mouammar Kadhafi. L'Union européenne, ceux de Zine El-Abidine Ben Ali et de son épouse. Une goutte d'eau dans l'argent sale qui pollue le système financier mondial et se réinvestit dans de nombreux secteurs de l'économie réelle dont elle prend le contrôle.

Les gouvernements des pays développés semblent s'alarmer périodiquement de cette situation.

Ainsi le GAFI fondé en 1989 au sommet du G 7 à Paris est un organisme intergouvernemental qui a comme mission d'établir des normes, de développer et d'assurer la promotion de politiques de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Trente-et-un pays en sont membres ainsi qu'une quinzaine d'organismes internationaux ou régionaux Ses recommandations, révisées en juin 2003, sont au nombre d'une quarantaine et forment la norme internationale de référence dans ce domaine.

Il vient de rendre public lundi 28 février un rapport évaluant l'application de ses recommandations. En ce qui concerne la France il reproche au ministère des Finances de ne pas donner suffisamment de suites judiciaires aux opérations déclarées au service spécialisé Tracfin par les professionnels de la finance : 17 310 déclarations de soupçons ont été faites en 2009 et seulement 384 transmises à la justice. Il est possible aussi que le G20 s'empare du sujet. Mais jusqu'ici les mesures proposées ou les actions des grands organismes internationaux ont été plus cosmétiques que réellement efficaces. Pour différentes raisons.

Cosmétiques

D'abord, dans la circulation des flux financiers internationaux, il est très difficile de distinguer l'ivraie du bon grain. Un transfert illicite ressemble comme deux gouttes d'eau à un transfert régulier. Une déclaration de soupçon à Tracfin ne fait pas une réalité et les preuves (au sens judiciaire) rarement accessibles. Les blanchisseurs d'argent sale l'ont parfaitement compris. Les habillages sont suffisamment bien faits pour passer au travers des mailles des contrôles existants.

Ensuite il faut distinguer l'argent sale proprement dit, issu des trafics divers et du crime, de l'argent détourné par les despotes qui gouvernent un certain nombre de pays : royalties du pétrole, détournement de l'aide publique, commissions sur grands contrats d'armes ou autres. Même si en aval, les flux finissent par se confondre, la nature de ces détournements est différente, ne serait-ce qu'en raison de la régularité (au moins apparente) de ces pratiques dans les pays où elles ont lieu et de la couverture politique dont elles bénéficient.

En ce qui concerne l'argent détourné, la cause principale de l'explosion de son volume a été le pétrole dont les principales ressources se sont initialement trouvées dans les sables désertiques du Proche Orient. Ce qui n'était, après la Seconde Guerre mondiale, qu'une aumône ou un moyen d'acheter quelques princes bédouins, est devenu dans les années soixante-dix la matrice de pans entiers de l'économie mondiale avec son cortège de commissions, et de rétro-commissions.

Ce n'est pas Tracfin qui permet de les pister et de les sanctionner.

Complaisance

En revanche les auteurs de ces détournements et leurs complices, tout comme les blanchisseurs d'argent sale, ont besoin de  places de complaisance  sur le plan juridique et sur le plan fiscal.

Ces  places de complaisance , sont des pays où, sous couvert de liberté et du respect de la vie privée, l'on ne demande pas l'identité du  client , où les formalités sont réduites au minimum, où il est possible d'agir au travers d'avocats sans jamais apparaître, où le secret bancaire est garanti, etc. Des places souvent situées non loin de nous, comme la Suisse, Londres ou le Luxembourg, sans parler des Îles anglo-normandes.

Quant aux paradis fiscaux, ou plus précisément les pays à  basse intensité fiscale , qui en sont le complément quasi consubstantiel, ils fonctionnent en général au moyen de prélèvements forfaitaires modestes qui sont opérés à la source, ce qui dispense de procédures déclaratives et qui ne permet pas ni ne justifie de la part des administrations concernées des contrôles approfondis. Moyennant quoi, lesdits pays, comme les contribuables concernés, peuvent se draper dans leur dignité en déclarant que l'impôt a été régulièrement payé.

Si on voulait réellement s'attaquer à l'argent sale et aux grands détournements, il faudrait à la fois tarir les sources et s'attaquer aux mécanismes du blanchiment. Mais ce serait aussi saper les fondements de certaines places financières situées au cœur de la machine