COMECE

La Commission des Épiscopats de la Communauté européenne (COMECE) vient de publier un texte de vingt-cinq pages intitulé « Une communauté européenne de solidarité et de responsabilité ». Rendu public le 12 janvier, il se présente comme une « déclaration  des évêques de la Commission sur l’objectif d’une économie sociale de marché ». Une contribution qui s’inscrit dans la mission de la COMECE : accompagner et analyser le processus politique de l'Union européenne, maintenir un dialogue régulier avec les institutions européennes, encourager la réflexion sur les problèmes ou les difficultés de la construction européenne, particulièrement dans les temps de crises que l’Union Européenne et ses états membres traversent, en s’inspirant de l'enseignement social de l'Église.

Rappelons que la COMECE est composée d’évêques délégués par les vingt-six conférences épiscopales des États membres de l'Union européenne (Mgr. Christian Kratz, Évêque auxiliaire de Strasbourg, représente la France). Il dispose d’un secrétariat permanent à Bruxelles composé de onze conseillers. Autant dire que la COMECE est un organisme relativement important qui soutient  l’European Sunday Alliance dont nous nous faisons bien volontiers en France le relais.

Si la COMECE parle au nom des différentes conférences épiscopales européennes, ce qui lui donne une certaine surface, son texte conserve une valeur magistérielle limitée. Il se veut selon ses propres auteurs « une contribution » destinée à donner de « la substance » au concept « d’économie sociale de marché ». En aucun cas il ne peut être considéré comme un texte de référence. Comme le remarque Bruno Bouvet dans La Croix « Dans le langage des évêques européens, cela s’appelle une « proposition ».Le document qui se réfère à la doctrine sociale de l’Église fait un ensemble de propositions concrètes à discuter et qui ne font pas, bien entendu, partie de son corpus.

À noter qu’il préfère la notion de « communauté européenne », au terme d’Union choisi par le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007 entre les vingt-sept états de l’Union Européenne et développe largement le concept « d’économie sociale de marché » présent dans le traité. La notion d’économie sociale de marché nous vient de l’ordo-libéralisme né outre-Rhin dans les années trente et des démocrates chrétiens qui ont relevé l’Allemagne en 45. Manifestement, les évêques de la COMECE souhaitent que ce concept déjà ancien revienne en ces temps de crise au goût du jour et qu’il soit mieux connu en Europe, notamment en France.

Des mesures concrètes

Si l’on passe des « fondements culturels » (N°1-3) et aux rappels des grands principes de la doctrine sociale de l’Église, en particulier dans le domaine de la solidarité, aux mesures concrètes que propose la COMECE, les propositions sont à apprécier dans leur contexte économique et sont susceptibles d’évaluations sur lesquelles des économistes et des techniciens qui s’inspirent eux aussi de ces principes peuvent diverger d’avis. La COMECE ouvre ainsi un débat profitable entre experts attentifs à l’enseignement de l’Église. Pêle-mêle, évoquons celles qui relèvent des compétences européennes :

  • La baisse des charges salariales dans l’objectif d’augmenter le nombre d’actifs dans l’UE
  • Les taxes sur les transactions financières
  • Le renforcement des liens entre gouvernants et syndicats ainsi qu’avec les associations caritatives dans le but favoriser les initiatives privées. Ces associations offrent un espace de gratuité, et créent un capital de confiance auprès des gens qu’elles « servent »
  • Le maintien des jours « hors marché » pour des raisons culturelles
  • L’ajustement des protections sociales : ni trop ni trop peu
  • Le soutien aux familles et à l’investissement dans l’éducation pour prévenir la pauvreté et l’exclusion dès l’enfance
  • Le respect de la dignité des immigrants et des personnes inactives, quelle que soit la raison de leur inactivité

À ces propositions, il faut ajouter des mesures relevant plus spécifiquement de la compétence des états membres :

  • L’intégration fiscale et sociale plus poussée (transférabilité des droits à la retraite, convergence des politiques fiscales)
  • L’adoption d’un cadre réglementaire qui lie les salaires des dirigeants davantage à la profitabilité à long terme de leurs décisions d’investissements et de crédits, et plafonnement de ceux-ci.
  • La facilitation réglementaire de la mobilité des travailleurs au sein de l’UE
  • L’accueil des immigrés hors UE
  • La baisse de la dette pour continuer d’aider les pays en difficulté, en particulier, honorer la parole de l’Europe auprès de l’Afrique
  • La création de fonds d’assainissement alimentés régulièrement par les contributions des banques pour faire face aux éventuelles faillites sans recourir à l’argent des contribuables

Autant de mesures qui s’accompagnent d’une invitation à changer les comportements individuels, en particulier :

  • La modération de la consommation
  • L’invitation à une consommation contrôlée et responsable (prise de conscience que toute décision économique a une portée morale)
  • Le respect de l’environnement

La taxe Tobin une fois de plus

L’ensemble procède d’une volonté éthique affirmée et on ne peut que noter l’expression de solidarité et de responsabilité de la COMECE à l’égard de l’Union Européenne. Mais les réformes ou les solutions proposées sont-elles adaptées au regard de l’objectif ? C’est ici que la discussion peut s’ouvrir. Les unes sont assez classiques comme celles concernant la famille. D’autres sont plus étonnantes comme celles qui envisagent l’exode des cerveaux (Brain Drain) des pays pauvres vers l’Europe comme une solution inévitable pour lutter contre la baisse démographique européenne. L’exemple le plus polémique concerne une nouvelle fois la taxe Tobin. En limiter l’application à la zone euro paraît inefficace à beaucoup d’experts. Cette limitation leur semble le plus sûr moyen de faire fuir les transactions à Londres et de transférer aux Britanniques non seulement ces transactions mais la seule responsabilité du contrôle des marchés correspondants. Or chacun sait que Londres fonctionne en réalité comme une place « off shore ». Les grands fauves de la finance ne sont pas aux îles Caïmans mais à Londres. À supposer que l’Angleterre accepte une règle de cette nature, la fuite se ferait alors au profit d’autres zones. La taxe Tobin, très vertueuse dans son principe, est difficilement applicable à l’heure de la mondialisation.

Suffit-il de surcroît d’invoquer la solidarité pour justifier une taxe ? Ceux qui soutiennent la taxe Tobin raisonnent comme si les revenus financiers étaient actuellement exonérés. Ils ne le sont peut-être pas assez ou mal, mais ils le sont déjà. Il faudrait donc au minimum introduire deux autres séries de considérations.

Premièrement, si le but est de faire contribuer le marché financier, est-ce que la taxe proposée a une bonne assiette ? Il n’est déjà pas certain que la taxation des transactions à l’unité, par construction de façon cumulative, soit économiquement et moralement justifiée : c’est bien pour éviter cette situation qu’a été inventée la TVA. (cf article de Jacques Bichot – lien) L’illusion consiste à croire qu’une taxe sur les transactions est indolore. Mais si on veut prélever cinquante-sept milliards comme le veut la Commission, c’est une somme colossale ; elle ne peut être indolore. Pourquoi ne pas essayer de taxer de façon différenciée certaines activités jugées très utiles (les actions) et d’autres moins (les CDS) ? Pourquoi ne pas regarder plutôt les profits ? Deuxièmement, une taxe est rarement un moyen de régulation adéquat. Pourquoi ne pas se poser plutôt la question de la régulation des marchés, autrement plus importante et urgente ? Mais naturellement cette régulation est plus compliquée à mettre en place et moins populaire. Que dire également de l’aide publique au développement (N°25). L’aide publique est gaspillée dans une proportion bien plus importante que les dons privés. Les aides publiques souvent beaucoup moins bien employées que les aides privées. Ne faudrait-il pas mieux favoriser la générosité privée y compris par des incitations fiscales et demander aux européens d’ouvrir leur porte-monnaie plutôt qu’aux États de les prélever par la fiscalité ? La déclaration de la COMECE invite donc à examiner en détail ces questions. On ne peut que se réjouir que les évêques européens en ces temps de crises versent au débat leurs propositions non comme des idées à la mode mais comme une invitation faite aux chrétiens et aux Européens de remettre dans une perspective éthique la construction européenne et son modèle économique et financier.