A. Feertchak : « Europe : de la stratégie du cabri à celle du castor »

Source [Geopragma] Il fut une époque pas si lointaine où, pour paraphraser de Gaulle, l’on sautait sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe, l’Europe, l’Europe ! Du temps de sa superbe, Emmanuel Macron s’est lui-même frotté à l’exercice. Il cabriola ainsi à la Sorbonne, puis à Athènes et enfin à Aix-la-Chapelle lors de ses trois discours sur l’Europe. Mais, « en même temps » oblige, il ajouta à ses appels le mot de « souveraineté ». Trouvaille rhétorique habile qui consistait à piquer le mot de ses adversaires pour le retourner contre eux. Certes, la formule n’était pas définie, mais elle était du plus bel effet. La Chine et les Etats-Unis pouvaient trembler devant tant d’audace. Les Européens allaient retrouver le chemin du « rêve carolingien » – à vous de deviner qui devait jouer le rôle de Charlemagne… – pour tourner la page de la « division lotharingienne ».

Là encore, belle trouvaille stylistique. Que notre Constitution considérât que la souveraineté appartient en bloc à la nation et que l’on retrouvât une telle idée dans chaque Etat-nation qui compose l’Union européenne n’était qu’un argument de souverainiste grognon, tout recroquevillé sur lui-même. Autant laisser de telles pensées constitutionnelles mais nauséabondes aux héritiers de l’arrière-petit-fils de Charlemagne, Lothaire 1er.

Et pourtant, la jolie description que De Gaulle fit des défenseurs béats de « l’Europe, l’Europe, l’Europe » a vieilli. Ceux qui sautent réellement sur leur chaise comme un cabri se font rares depuis le soir du 29 mai 2005. Ce jour-là, le référendum imperdable fut perdu. Il fallait de toute urgence trouver une nouvelle stratégie. Ce fut celle du castor. Dire « l’Europe, l’Europe, l’Europe » n’avait visiblement pas suffi à créer un « peuple européen ». Au contraire, désormais, ceux qui crient « l’Europe, l’Europe, l’Europe » le font avec un brin d’agressivité dans la voix. Ils appartiennent à la catégorie des « europhobes », exprimant dans la répétition du mot magique leur rejet radical de la « commission européenne » qui décide de la taille, de la couleur, et de la texture de nos fruits et légumes, mais qui n’empêche pas les plus fortunés des citoyens européens de jouer à fond la carte de la concurrence fiscale pour payer moins d’impôts. Il fallait donc se faire plus discret, construire de hauts barrages pour empêcher la vague souverainiste de tout emporter et attendre discrètement que la tempête passe. 

Le castor européen ne rêve pas. Il n’est plus question de promouvoir l’idéal européen, en tout cas en direction de l’avenir. En direction du passé en revanche – avec le fameux « L’Europe, c’est la paix » – le cabri fait de la résistance. C’est l’argument ultime quand la digue du castor menace de tomber. Mais, hormis cette arme de dernier recours, ne parlons pas trop d’Europe. C’est tabou. Ce fut globalement, déjà, la stratégie de François Hollande qui n’a pas brillé par sa stratégie européenne, même s’il eut l’audace, candidat, d’annoncer qu’il renégocierait le Pacte budgétaire européen. Mais il ne le fit pas. Une stratégie qui convint à la chancelière allemande, Angela Merkel, qui préfère laisser les sauts de cabri aux Français pendant qu’elle gouverne avec la prudence d’un castor.      

Justement, Angela Merkel vit venir Emmanuel Macron avec inquiétude. Il suffisait de l’entendre s’époumoner en criant « C’est notre projet » pour comprendre que le président français n’allait pas tarder à cabrioler. Ce qui ne manqua pas. Emmanuel Macron partit au combat pour la refondation de l’Europe. Un, deux, trois discours et puis ce fut tout. Les dirigeants européens virent le président français se prendre les pieds dans le tapis face à « Jojo le gilet jaune ». La France est ingouvernable et il voudrait s’occuper de l’Europe ?, maugréent aujourd’hui ses acolytes du Conseil européen. Plus encore, il fallait d’urgence passer la stratégie du castor à son niveau maximal en raison de ces félons d’Anglais. Un Etat membre avait franchi le pas de trop en juin 2016 en ouvrant la longue liste des mots en «exit». Le meilleur des castors, Michel Barnier, fut envoyé monter la digue. Durant la Guerre froide, on aurait parlé de politique de « containment » pour éviter un effet domino. Theresa May s’y casse encore les dents.

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