7 milliards d’humains aujourd’hui, 9 milliards en 2050. Sera-t-il possible de les nourrir ? Deux scénarios et un préalable… éthique et politique.
Le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et l’INRA, les deux grands instituts de recherche français, ont travaillé depuis 2006 sur le sujet et ont présenté début 2011 le résultat de leur recherche sous forme de deux scénarios : Agrimonde GO et Agrimonde 1[1].
Agrimonde GO s’appuie sur le scénario « Global Orchestration » établi en 2005 par « the Millenium Ecosystem Assessment », organisme de recherche nord américain, qui privilégie la croissance économique mondiale, tandis qu’ Agrimonde 1 se place dans la perspective de préservation des écosystèmes.
Les deux scénarios apportent une réponse positive à la question mais, bien évidemment, leurs exigences sont différentes.
Agrimonde GO : un modèle à basse densité écologique
Ce scénario est avant tout préoccupé par l’emploi et l’alimentation d’une population croissante. C’est un scénario tendanciel. Il suppose :
- Des investissements importants dans la recherche et dans les infrastructures, notamment dans les pays en développement,
- Des échanges intercontinentaux toujours très actifs,
- Une croissance économique forte en Afrique, Asie et Russie,
- Une diffusion rapide des nouvelles technologies,
- Des investissements croissants dans l’éducation et la santé.
La croissance attendue s’appuie sur une forte demande énergétique, notamment à partir des combustibles fossiles, accompagnée de progrès marquants dans l’efficacité énergétique. L’électricité est partiellement produite à partir des énergies renouvelables et de la biomasse : les surfaces en agro carburants s’étendent, poussées par la monté du prix des carburants fossiles.
Les problèmes environnementaux ne sont pas négligés mais ils sont pris en compte lorsqu’ils deviennent incontournables.
Les disponibilités alimentaires s’améliorent particulièrement en Afrique, Asie et Amérique latine. Elles permettent de réduire de plus de moitié le nombre des enfants souffrant de malnutrition. Le contenu de l’alimentation s’y enrichit en protéines d’origine animale (viande et poisson).
La production est majoritairement le fait de grandes exploitations mécanisées utilisant des méthodes industrielles : « la prédominance des firmes multinationales est prégnante dans ce scénario ; elles ont accru leur contrôle sur la production végétale et animale notamment à travers le développement de nouvelles souches génétiques ».
Le modèle actuellement dominant
C’est effectivement le mouvement que l’on peut actuellement observer :
- Les pays émergents et les pays riches mais pauvres en terres cultivables procèdent à des acquisitions de terre (le plus souvent sous forme de baux emphytéotiques), en Afrique et en Amérique latine. Entre 2000 et 2010 ces transactions foncières couvrent 200 millions d’hectares[2].
- Les cultures OGM couvrent 148 millions d’hectares dans 29 pays, représentant 59% de la population mondiale. Elles s’étendent particulièrement en Asie et en Amérique latine. Des recherches sont menées aux États-Unis et au Canada sur des animaux destinés à la consommation humaine[3].
- Les grandes entreprises étendent leur contrôle sur la production à travers des systèmes contractuels ; c’est tout particulièrement le cas en ce qui concerne les produits de l’élevage (volailles, porc) mais cela commence à se faire aussi pour les productions végétales.
- La production mondiale d’agro carburants augmente d’environ 10% chaque année ; elle est le plus souvent le fait des géants de l’agro business. Actuellement, elle entre en concurrence avec la production pour l’alimentation mais ce ne devrait plus être le cas avec les produits de la seconde génération utilisant non plus la graine mais les fibres de la plante.
Agrimonde 1 : nourrir la planète en préservant les écosystèmes
Ce scénario exige des politiques volontaristes d’aménagement du territoire et d’importants moyens financiers en provenance des budgets publics et de l’aide internationale. Il repose sur plusieurs éléments essentiels :
- La mise au point et la diffusion de pratiques d’intensification écologique,
- La réalisation d’infrastructures de transport et de stockage,
- Le développement des capacités de transformation industrielle,
- La généralisation des services de santé et d’éducation,
- La création d’une « Organisation des Nations Unies pour la sécurité alimentaire » qui vise à éviter les distorsions de concurrence, assure la gestion des stocks et des échanges et la régulation des marchés, sachant que certaines régions du monde seront toujours importatrices nettes (Maghreb, par exemple),
- La mise au point et la diffusion des innovations au service de l’intensification écologique,
- La maîtrise énergétique, le développement des énergies renouvelables et de la pile à combustible,
- Une modification des régimes alimentaires, particulièrement dans les pays riches (passage de 4 000 à 3 000 kcal/hab/jour),
- Le développement des circuits courts d’approvisionnement.
Un modèle volontariste
Il est évident qu’il s’agit d’un modèle très volontariste, faisant une place importante aux décisions des États et à leurs politiques. Cependant, des prémices de réalisations sont observables : développement des énergies renouvelables, recherches concernant l’intensification écologique, multiplication de circuits courts. Mais tout cela reste encore bien marginal.
Le problème n’est pas de savoir si l’on peut nourrir 9 milliards d’homme en 2050 : nous le pourrions aujourd’hui si l’on arrivait à réduire massivement le gaspillage dans les sociétés riches et les pertes après récolte dans les pays pauvres. Le problème est celui de l’attention portée par les gouvernements à la situation des populations pauvres où qu’elles soient et à prendre les mesures permettant d’éviter les crises alimentaires. Sylvie Brunel a très bien montré que les famines sont d’origine politique[4].
Laissons à Benoît XVI le mot de la fin en rappelant ce qu’il a écrit dans l’encyclique « Caritas in Veritate » : « La faim ne dépend pas tant d’une carence de ressources matérielles, que d’une carence de ressources sociales, la plus importante d’entre elles étant de nature institutionnelle. …. Le problème de l’insécurité alimentaire doit être affronté dans une perspective à long terme, en éliminant les causes structurelles qui en sont à l’origine…. Tout cela doit être réalisé en impliquant les communautés locales dans les choix et les décisions relatives à l’usage des terres cultivables…. Le droit à l’alimentation, de même que le droit à l’eau, revêtent un rôle important pour l’acquisition d’autres droits, en commençant avant tout par le droit fondamental à la vie».
Retrouvez tous les articles de la présidentielle sur le thème de l'environnement dans le dossier :
[1] Agrimonde. Agriculture et alimentation du monde en 2050 : scénarios et défis pour un développement durable. Note de synthèse. Décembre 2009. CIRAD. INRA.
[2] Les droits fonciers et la ruée sur les terres. Iied. CIRAD.ILC. 2011.
[3] Actu-environnement. 02.2012.
[4] Brunel Sylvie. Famines et politique. Presses de science Po. 2002.
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Pardon, je me pose une grande question (qui contient la réponse...) :
Faut-il vraiment choisir entre ces deux scénarios, sachant que le premier (qui n'est que l'accélération de ce qui se fait (mal, très mal) depuis plusieurs décennies et qui nous mène au drame imminent) est physiquement condamné à court terme (et moralement condamnable en lui-même) ?
Excellente analyse ! J'ajoute ceci : l'étude agrimonde précise effectivement qu'il est possible de nourrir 9 milliards d'habitants en 2050, y compris en prenant en compte les contraintes environnementales. Mais elle ajoute qu'il faudra, à cette fin, résoudre des graves problèmes liés au commerce international.
Voir le commentaire en entierDe ce point de vue, il faut lire l'analyse de Joseph Stiglitz, prix Nobel d'Economie qui explique qu'il faudra bien un jour remettre en cause le dogme de la suppression des frais de douanes en matière agricole. Ce dogme contribue à mettre en concurrence les moissonneuses batteuses du Nord avec les charrues mono-soc du Sud. C'est inique et injuste. Comme le dit Ibrahim Coulibaly, Président de la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali. Concernant la situation agricole de son pays, il déclare : « On sait comment il faut faire : (…) des tarifs douaniers adaptés, des stocks stratégiques à différents niveaux… au nom de quel droit l’OMC nous interdit-il de le faire ? » Il s’insurge contre la concurrence entre zones non compétitives : « Il faut arrêter toutes les formes de compétition entre des agricultures et des modes de productions ayant de très grands écarts de productivité (la houe contre le tracteur plus la subvention cela passe difficilement). On n’a pas le droit de nous dire qu’on mangera quand on sera compétitif ».
Ces arguments sont largement chiffrés dans "les contrevérités de l’écologisme" (pages 112 à 121), ouvrage de Stanislas de Larminat (éditions Salvator).