Nourrir les hommes mérite un digne revenu , déclare à Ouest-France Bernard Lannes, nouveau président de la Coordination rurale alors que le ministre de l'Agriculture réunit producteurs agricoles, industriels et distributeurs pour envisager la nécessaire  répercussion de l'augmentation des prix agricoles sur les prix alimentaires . Dans les pays pauvres, la donne est différente, mais encourageante.

 

En France, nous allons payer, en moyenne, 2 % plus cher notre alimentation. Pour nous Français, cette augmentation ne devrait pas avoir de grande conséquence sur notre train de vie : l'alimentation ne représente que 15 % de nos dépenses de consommation. On peut d'ailleurs s'interroger sur la relativement faible place dans nos dépenses d'un élément essentiel à notre vie.

La question de l'augmentation des prix des matières premières agricoles se pose de façon bien différente pour les populations des pays pauvres où l'alimentation peut représenter jusqu'à 80 % des dépenses de consommation.

Le retour de l'agriculture

On craint de nouveau, comme en 2008, des émeutes de la faim ; depuis quelques semaines, les pays du Maghreb achètent des céréales par centaines de milliers de tonnes. Ces émeutes sont aussi à mettre en relation avec la croissance de l'urbanisation : en ville, il faut payer ce que l'on mange et, dans des sociétés ou chômage et sous-emploi touchent près de 40 % de la population active, toute augmentation des prix alimentaires a des répercussions immédiates sur le niveau de vie.

Dans nos pays, l'augmentation du prix des matières premières agricoles apporte un  digne revenu , lié au travail de l'agriculteur et non plus seulement aux primes de la PAC. Cependant, toutes les catégories de producteurs n'en bénéficient pas : les éleveurs sont à la peine.

Mais, dans les pays pauvres, ces augmentations de prix font aussi des heureux et provoquent des changements bénéfiques. Une étude de la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde (FARM) [1] concernant l'Afrique de l'Ouest constate  l'importance de la production agricole de la région  :

 En dépit des réserves qu'on peut avoir vis-à-vis de la fiabilité des statistiques de la FAO du fait de la faible qualité des systèmes de collecte des informations, les données montrent que la région CEDEAO exploite de mieux en mieux ses capacités de production. Cette situation se traduit par une augmentation de la production globalement supérieure au taux de croissance de la population régionale .

De plus, la situation vis-à-vis de l'extérieur ne se dégrade pas :

 Le poids de l'offre alimentaire, en provenance du reste du monde, est en réalité assez faible. Les importations alimentaires représentent moins de 5 % du volume des productions domestiques, et 10 % de la valeur de l'ensemble des importations. Malgré l'augmentation très sensible de leur population, les pays sahéliens enclavés n'ont pas vu se dégrader leur taux d'auto-approvisionnement céréalier. 

Il n'y a pas que les céréales dont les prix montent : cacao, sucre et surtout coton apportent des revenus croissants à leurs producteurs. En cela ils sont plus heureux que les habitants des pays dont la croissance économique est basée sur le pétrole et les produits miniers : dans ces pays les revenus de ces productions sont confisqués par la  kleptocratie  au pouvoir tandis que si l'on veut une croissance des productions agricoles, il faut bien que les producteurs en retirent un avantage.

Nourrir la planète est possible

La faim touche pourtant près de 1 milliard d'êtres humains. Six pays sont particulièrement marqués : le Bangladesh, la Chine, la République démocratique du Congo, l'Éthiopie, l'Inde, l'Indonésie et le Pakistan. La FAO estime que le nombre des mal-nourris a baissé de 10 % en 2008-2009. L'Asie-Pacifique est le continent qui profite le plus de la baisse. Avec 12 % de personnes sous-alimentées en moins, elle compte désormais 578 millions d'individus souffrant de la faim.

C'est l'Afrique qui conserve la proportion la plus forte de personnes affamées avec 30 % de la population qui ne mange pas à leur faim. On notera dans la liste précédente que la croissance économique de l'Inde ou de la Chine n'entraîne pas automatiquement une résorption du nombre des victimes de la faim.

7 milliards aujourd'hui, 9 milliards en 2050 : pourra-t-on nourrir le monde ?

L'INRA et le CIRAD, organismes publics de recherche agronomique pour la France et les pays tropicaux, ont présenté le 12 janvier dernier l'ouvrage Agrimonde, résultat du travail sur les enjeux alimentaires et agricoles mondiaux à l'horizon 2050. Deux scénarios ont été considérés, l'un tendanciel, l'autre orienté vers le développement durable.

Dans les deux cas, nourrir les habitants de la planète est possible. Le scénario tendanciel entraîne une dégradation environnementale. Le scénario  durable  exige des changements dans la consommation des pays industrialisés, une agriculture plus économe des énergies fossiles et, partout, la fin des gaspillages : pertes de récoltes dues aux parasites et aux prédateurs dans les pays pauvres, poubelles en partie remplies de produits alimentaires dans nos pays.

L'un des points importants des deux scénarios est la sécurisation des échanges internationaux des produits agricoles et agroalimentaires. En se penchant sur la volatilité des prix et la part de la spéculation dans leur variabilité, le G 20 à venir commencera peut-être à répondre à cet impératif.

 

 

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[1] FARM. Les potentialités agricoles de l'Afrique de l'Ouest (CDEAO). Roger Blein, Bio Goura Soudé, Benoît Faivre Dupaigre, Borgui Yérima. Février 2008.