Nos coups de coeur
Produit du mariage de l'histoire avec la sociologie, cette Naissance de l'intellectuel catholique étudie le mouvement de la "Renaissance littéraire catholique". Ce mouvement d'écrivains, des années 1910 à la fin des années vingt, tente d'édifier une parole et une esthétique catholiques.
Il se voulait le fer de lance d'une reconquête religieuse de la fille aînée de l'Église. Il s'agissait de former une armée catholique de la plume.
Hervé Serry se penche sur ces "oubliés de l'histoire intellectuelle". Il livre une analyse dont l'intérêt n'a d'égal que la densité. À travers l'étude des trois principales revues de la "Renaissance", les Cahiers de l'amitié de France de Robert Vallery-Radot, les Lettres de Gaëtan Bernoville et Vigile de François Mauriac et Charles Du Bos, mais aussi des lieux de convergence comme la Semaine des écrivains catholiques, ou de divergence comme les différentes polémiques qui déchirent l'espace des intellectuels catholiques autour du Jardin sur l'Oronte de Maurice Barrès ou la Jeanne d'Arc de Joseph Delteil, c'est tout un pan mal connu de l'histoire intellectuelle qui est ainsi mis en lumière. Toutes ces actions, en marge de l'institution ecclésiale, cherchent à promouvoir une action intellectuelle catholique qui se veut le pendant du militantisme sur le terrain social.
Les années 1880-1905 sont marquées par l'apogée du scientisme (la République panthéonise Marcellin Berthelot) et par un mouvement de conversions notamment chez les écrivains (Claudel et Huysmans). Bourget et Brunetière en appellent à la responsabilité sociale de l'écrivain et chantent le "renouveau de l'idéalisme".
La séparation de 1905 modifie profondément la donne : d'une part, elle ouvre aux laïcs une place plus large dans le fonctionnement de l'Église, et d'autre part, elle accélère considérablement la montée en puissance de l'Action française.
Cette renaissance littéraire catholique naît donc de la confluence d'enjeux politiques et d'enjeux religieux.
La construction d'un espace autonome, artistique et littéraire, pour ces écrivains est particulièrement difficile à mettre en œuvre, coincés qu'ils sont entre d'une part, une autorité ecclésiastique, gardienne du dogme néo-thomiste instauré par Léon XIII, et, d'autre part, le prestige intellectuel immense ou considérable de Charles Maurras. En outre les dominicains et les jésuites disposent de leurs propres instruments intellectuels comme la Revue des jeunes ou Études.
La difficulté pour ces écrivains d'être reconnus provient de ce qu'ils ne doivent pas seulement s'affirmer par rapport à l'Église et ses prolongements intellectuels mais aussi par rapport à une identité littéraire qui se mesure à l'aune de la NRF. Car sans être coupés des milieux de l'Académie française, ils revendiquent aussi une esthétique en recherche de nouveauté, parfois proche des avant-gardes. L'auteur analyse les effets du processus de privatisation de la religion sur les intellectuels catholiques, la redéfinition des formes et des contenus de leurs engagements politiques et esthétiques.
Entre le champ littéraire qui identifie l'écrivain et le champ religieux qui identifie le catholique, la marge de manœuvre est étroite. Avec l'échec successif des Cahiers, des Lettres et le naufrage de Vigile, cet ouvrage évoque une belle page d'histoire et nous permet de tirer des leçons pour les combats à venir.
Guillaume Lenormand,
Liberté politique (à paraître).
Hervé Serry, sociologue, chercheur associé au laboratoire Cultures et sociétés urbaines, est spécialiste d histoire intellectuelle et culturelle. Il est l'auteur de plusieurs articles sur le mouvement de "renaissance littéraire catholique", le rapport des intellectuels à l'Église, la censure et l'édition. Il a dirigé un numéro de Sociétés contemporaines consacré à "Littératures et identité" (2001).