Nos coups de coeur
À première vue, tout va bien : la France n'a jamais été aussi peuplée, atteignant 60 millions d'habitants, contre à peine 30 millions en 1800. Progrès ? Non point, les choses vont mal et ne vont pas en s'arrangeant.
En témoigne l'actuel taux de fécondité en Europe, révélateur de l'état de faiblesse des pays du Vieux Continent : 1,4 enfant par femme. Concrètement, il manque 0,7 point pour atteindre le seuil de renouvellement, le déficit se creuse ainsi d'un tiers à chaque génération. Si l'on poursuit sur cette tendance, il n'y aura dans un siècle en Europe plus que 33 millions de Français et de Britanniques, et 15 millions d'Allemands. La population de l'Europe, passée par un maximum historique de 25 % en 1900, ne représente plus que 12 % de la population mondiale en 2000 et n'en présentera que 7 % en 2050.Quant à la France, son actuel taux de fécondité à 1,7 ne lui permet pas de pavoiser, d'autant qu'elle ne représente déjà plus que 1 % de la population mondiale contre 5 % sous Napoléon. Roland Hureaux, à travers un essai fouillé et documenté, dont le titre provocateur aux accents bibliques est une invitation à une prise de conscience immédiate, tire avec véhémence la sonnette d'alarme, nous démontrant à la fois pourquoi nous en sommes arrivé là et comment nous pourrions nous en sortir.Si l'on prend le cas de la France, qui a gagné 20 millions de nouveaux habitants en l'espace de 50 ans, l'auto-satisfaction devrait laisser la place à l'inquiétude : cette belle progression s'explique pour 1/3 par le baby boom (phénomène purement conjoncturel), pour 1/3 par l'immigration (phénomène de substitution) et pour 1/3 par l'allongement de la durée de vie (phénomène non lié à la volonté de procréer). À partir de 1965, la courbe des naissance connaît une première inflexion, qui se confirmera à partir de 1975, notre taux de fécondité passant au dessous du seuil minimum de 2,1, pour ne plus jamais remonter depuis... Les causes de ce déclin sont multiples et variées, parfois proches, parfois lointaines, parfois évidentes, parfois complexes. Citons ici les principales, des plus partielles aux plus profondes : la contraception (toutefois utilisée que par 35 % des femmes), la déstructuration juridique des familles (divorce, puis couples libres encouragés), l'émancipation des femmes (75 % occupent un emploi rémunéré), auxquels s'ajoutent un certain nombre de facteurs culturels (télévision, déchristianisation, hédonisme, perfectionnisme), et, de surcroît, une acception irresponsable et dévoyée de la " liberté ", conçue comme un affranchissement de l'individu à l'égard d'un prétendu déterminisme biologique. Or cette supposée liberté des modernes n'est le plus souvent qu'une forme déguisée d'esclavage : la vrai liberté pour la femme, par exemple, n'est-elle pas justement d'avoir le nombre d'enfants qu'elle désire ? Face à cela, " il n'y a de solution que politique " ; comme s'en explique Hureaux, le " principe de réalité ", c'est-à-dire la prise de conscience de conséquences fâcheuses erronées, qui peut seul amener les gouvernants à corriger celles-ci, ne se manifeste, en matière démographique, qu'à l'échéance d'une génération. Cette correction ne peut s'effectuer qu'à travers une politique familiale adaptée. " La politique familiale est certes un artifice, mais un artifice correcteur, et en cela peut déplaire aux doctrinaires du libéralisme [...]. Dans une société moderne déjà largement conditionnée par toutes sortes de mécanismes artificiels, il n'y a pas d'autre remède à l'artifice que l'artifice. " Politique complexe, la politique familiale poursuit à la fois des finalités collectives et individuelles, elle a non seulement le souci de la justice mais aussi celui d'une certaine efficacité démographique. D'ailleurs, aujourd'hui où la fécondité est tombée très bas en Europe, une gradation existe entre les pays où la chute est moindre et où l'effort financier en faveur de l'enfance demeure significatif (Finlande, Danemark, Suède, France, Royaume-Uni) et ceux qui sont tombés le plus bas et où la politique familiale se trouve dans un État de déréliction extrême (Grèce, Italie, Espagne, pays d'Europe centrale). Au passage, on notera que ce sont plutôt les pays de tradition protestante que catholique qui restent les plus féconds, et d'autre part que, paradoxalement, ce sont les pays où le taux d'activité des femmes est le plus élevé qui arrivent encore le mieux à maintenir leur natalité... Là encore, méfions nous des idées reçues.Renverser la tendance, cela est donc encore possible, à condition de le vouloir, d'avoir un véritable sens du leadership en politique, lequel implique de faire passer les intérêts à long terme de la nation avant les préoccupations comptables ou électorales à court terme. On ne peut en effet se satisfaire d'une situation actuelle où le troisième âge est pris en charge à 90 % par la collectivité tandis que le premier âge ne l'est qu'a hauteur de 17 % . Injustice d'autant plus grande que la seule catégorie de la population à ne pas percevoir de retraites est celle des mères de famille au foyer, qui pourtant mettent au monde et élèvent les cotisants de demain. Quant aux parents de famille nombreuses, lesquels deviennent de plus en plus minoritaires au sein de l'électorat, est-il vraiment nécessaire de les favoriser ? Entre le clientélisme et la vie, nos actuels hommes politiques semblent avoir malheureusement choisi. Signe encore plus inquiétant, alors que la dénatalité est la principale menace pour l'Union européenne, celle-ci ne semble à peine s'en inquiéter et pire encore, s'en faire une raison : en clair, acceptons cette fatalité, mettons en place des fonds de pension et comblons le vide par un recours accru au travail des femmes et à l'immigration massive extra-européenne !Si le dilemme en revient donc à être ou ne pas être, la responsabilité de notre destin futur repose en premier ressort sur l'Europe (qui se doit de donner l'exemple au reste du monde), la France (qui doit donner l'exemple au reste de l'Europe) et la volonté politique commune de leurs dirigeants. Il suffirait ainsi, selon Hureaux, d'environ 100 milliards de francs (soit 1 % de son PNB) pour redresser significativement la situation en France — ce qui ne représente qu'1/10e des retraites versées annuellement ! Chez nous comme ailleurs, il convient donc d'aller vite, car au rythme actuel évalué par les démographes, dans 350 ans, il n'y aura plus d'Européens. Imaginons un instant la réaction du jeune Louis XIV si on lui avait prédit qu'en l'an 2000 il n'y aurait plus de sujets dans son royaume ; nul doute qu'il aurait fait prendre les décisions qui s'imposent, à l'image de Colbert faisant planter des arbres pour construire la future flotte de guerre du Dauphin. Certains stratèges de l'Élysée ou du Berlaimont — siège de la Commission de Bruxelles — devraient y penser entre deux réunions sur le cours du chou ou l'épaisseur des pneus.J.-D. M.