Nos coups de coeur
Autour de l'embryon, se cristallisent les enjeux les plus importants du débat politique actuel et à venir. Selon l'attitude que l'on aura par rapport à lui, on fera un choix d'une civilisation vraiment humaine ou pas.
Voilà l'intérêt et l'urgence du livre de Christine Boutin. Il s'agit d'abord de sortir du modèle dans lequel la société française est engluée : celui de la bioéthique. Celui-ci est devenu la forme d'un nouvel obscurantisme scientifique devant lequel tout citoyen et partant tout pouvoir politique doit ultimement s'incliner. Christine Boutin demande avec gravité que ce modèle laisse la place à la " biopolitique ", c'est-à-dire que l'on retrouve le sens de la responsabilité politique envers le bien, de l'arbitrage libre face à la nécessité techno-scientifique. Soustraire la vie humaine aux arbitraires de certains scientifiques ou médecins, comme celui défendu par le professeur Frydman : " Lorsque le couple veut cet enfant, veut ce projet parental, nous, on va se battre avec lui comme des fous pour que cela réussisse. Mais inversement, si cet embryon n'est porté par aucun désir parental, que pouvons — nous en faire ? On ne va rien en faire parce qu'il n'est plus rien. " La bioéthique a trop souvent été l'habillage " éthique " de pratique d'instrumentalisation de l'embryon afin de résoudre des souffrances d'autres hommes. Pour aller contre ce nouvel obscurantisme, il faut beaucoup de courage et d'aplomb car il faut être prêt à affronter le complexe d'infériorité de certaines autorités politiques, morales ou religieuses face aux scientifiques, hantées qu'elles sont par le procès de Galilée. Ce " syndrome de Galilée " a pour effet d'anesthésier la raison dans sa recherche d'un discernement moral juste. Face au " progrès " de la science beaucoup s'autocensurent pour paraître " intelligents ". Parallèlement trop de scientifiques ou d'autorités les cautionnant pensent s'être acquittées d'un jugement critique en se contentant d'un rejet des références religieuses. Comme si le refus non argumenté de la position de l'Église sur l'embryon signifiait automatiquement que celui-ci n'est donc pas une personne humaine ! Les scientifiques ne détiennent pas la parole éthique fondamentale sur la manière dont l'embryon doit être traité. Or ils sont souvent juges et parties que ce soit comme législateur ou comme membre de comités d'éthique. D'où doit venir alors la limite ? C'est ici que la position de Christine Boutin peut paraître fragile. Elle ne s'appuie pour reconnaître le statut de l'embryon que sur une description de son développement continu de la fécondation à la naissance. Mais cette description est elle-même dépendante de l'avancée de la science. De plus l'humanité et la personne ne sont pas des objets perceptibles par une méthode scientifique. Dès lors, invoquer la biopolitique pour sortir de la confiscation de la question par la bioéthique nous paraît insuffisant. Sur quoi faire reposer ces arbitrages relevant effectivement du politique ? Sur quelque chose qui ne s'y réduit pas : sur une conception de l'homme qui ne peut être fondée que sur une rationalité objective, religieuse ou philosophique. Certes, cet ouvrage a une orientation directement politique puisque son objectif est d'interpeller la conscience des citoyens et de leur faire réaliser que le sort fait à l'embryon dépend ultimement de chacun, via au moins son bulletin de vote. Elle inscrit donc sa démarche dans le droit fil des questions de santé publique qui ont défrayé la chronique dans les derniers mois. C'est ainsi que la présidente de l'Alliance pour les droits de la vie propose une critique et une alternative intéressante à l'omniprésent principe de précaution : le principe de protection. Le principe de précaution doit être utilisé avec modération, car il renvoie à des attitudes ambiguës ; Christine Boutin n'hésite pas à le désacraliser. En effet, il peut cautionner une logique de la peur conduisant à supprimer tout risque au nom d'un optimum arbitraire de santé identifiée au bien-être. Par exemple, ce principe appliqué au risque de handicap a des effets immédiatement eugénistes. Il doit donc être subordonné à un principe bien plus radical : celui de la protection. " Une digue se pose non sur du sable mouvant, mais sur des fondations solides : le seul principe qui vaille pour encadrer la biotechnologie, c'est le respect de l'embryon humain. La moindre transgression contribue à ruiner cette règle impérative dans toute démocratie " (p. 183). C'est ici que le titre du livre prend tout son sens : l'embryon pose la question politique actuelle la plus aiguë, car il y va de la recherche du bien vraiment commun. Si la communauté nationale refuse d'accueillir en son sein l'homme sous sa forme la plus fragile et de l'aimer, alors elle ne peut vivre dans une juste paix, la lutte contre toutes les autres exclusions sera toujours insuffisante, bancale et vouée à l'échec : ce discours pseudo-humaniste mais vraiment hypocrite est l'antichambre d'une civilisation au sens strict inhumaine. TH. C.