Nos coups de coeur
La mort, que nos contemporains se cachent, Kojève en fit l'objet de son premier livre, écrit alors qu'il avait vingt-neuf ans, inachevé. Traduit en français et précédé d'une présentation généreuse, le voici livré pour la première fois au lecteur : la mort, celle d'un proche, la sienne qui viendra tôt ou tard, est l'intrusion dans l'expérience de l'homme de quelque chose qui n'est ni lui-même, ni le monde, en bref, de rien de ce à quoi il est familier.
L'angoisse accompagne la découverte de Dieu, dira le théiste ; du néant, dira l'athée.En d'autres termes, le rapport que l'homme entretient avec cet au-delà, la perspective d'un passage dans un autre monde ou de l'anéantissement de son monde, est l'occasion de la prise de conscience de soi, dans la terreur, de sa précarité. Elle informe le rapport que l'homme entretien avec lui-même et ses congénères. Elle est grosse d'une anthropologie que le lecteur appréciera et dont l'un des grands mérites de Laurent Bibard est d'en souligner le dualisme : autre est l'anthropologie du théisme, autre est celle de l'athéisme.Mais le lecteur reste sur sa faim : le livre s'arrête sur une analyse de " la religion athée " — le livre est inachevé — et la présentation, sur une synthèse du " système du savoir " néo-hégélien que Kojève a développé quelques années plus tard — on ne peut réinventer ce que fut la vie de l'auteur. Qui tirera les conclusions morales et politiques de ce dualisme anthropologique ? Certes, Kojève lui-même a débattu avec Léo Strauss... De la tyrannie. Mais c'était un Kojève frappé déjà de vieillesse.A. P.-T.Article paru dans "Liberté Politique" N°1