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Comment est née l’Algérie française (1830-1850)

Comment est né l’Algérie française (1830-1850)
  • Auteur : Jean-Louis Marçot
  • Editeur : éditions de La Différence
  • Année : 2012
  • Nombre de pages : 960
  • Prix : 38,00 €

Tel Haussmann traçant à travers Paris, le Bélier Marçot a foré et foncé tête baissée, tout à son ouvrage (ici traité), dans la saga de ses origines ; tout à sa passion, il s’est mis en quête de comprendre d’où il venait et pourquoi en somme on en était arrivé là. Sa question, au fond, nous la résumerons ainsi : «comment un pareil contre-sens – la colonisation peuplante comme il dit d’un territoire si hétérogène à la France – a-t-il pu trouver un sens aux yeux des socialistes français ? », comment une greffe qui n’a en réalité jamais pris a-t-elle pu être perçue comme partie bénéfique du destin de la France ? » Dans sa colossale entreprise, on sent Marçot tout entier attaché à son œuvre, et son œuvre, c’est aussi un peu en partie de sa propre personne : n’est-on jamais que passionné que par soi-même, que lorsqu’on se retrouve dans l’objet de son amour ? Or, l’auteur est un pied-noir qui dut rejoindre sa métropole à l’âge de dix ans : sa Belle utopie, sous-titre du livre, voudrait conjurer la trahison, la…légitime trahison gaullienne, si ce n’est, à tout le moins, la grande méprise qui naquit du balcon de l’Hôtel de Ville d’Alger : moi, Jean-Louis Marçot vais-je définitivement m’assumer, en m’assurant de la complexité, pis, des contradictions de mes origines ; par ce geste, vous autres pieds-noirs ou gens de la métropole, vous aurais-je rassurés tandis qu’en mon for, enfin apaisé, pourrais-je m’exclamer : « Je me suis compris ». On comprend en effet à présent ce que Marçot entend lorsqu’il entame son récit par ces mots : ‘‘(mon) écrit –[son cri] – n’a d’origine que personnelle’’. C’est bien toute sa personne qui ici s’engage. Or, donc, dès l’abord l’historien a buté sur ce qu’il pense être une grosse bévue, une erreur manifeste d’appréciation pour reprendre une expression du droit administratif : la gauche socialiste, pas seulement celle de Guy Mollet, non, celle de ces inconnus, tels Joseph Rey et Ajasson de Grandsagne, ou de ces autres non moins méconnus, les saint-simoniens par exemple, a mordu à l’hameçon de la doctrine colonialiste.

La lecture des livres d’Histoire nous apprend que le psittacisme est en la matière chose répandue : à défaut d’aller à la source, l’historien trop souvent se contente d’une bibliographie. En l’espèce, l’auteur fait œuvre originale ; il a déficelé des liasses inédites, perçu donc qu’avant lui, on s’était beaucoup répété, qu’on n’avait pas vérifié. Le coup d’éventail du dey d’Alger est-elle à ce point une anecdote signifiante ? L’exaspérante piraterie barbaresque est-il le motif qui a décidé Charles X à intervenir ? Ces terres qui allaient devenir l’Algérie étaient-elles vraiment une res nullius sans caractères propres que même les Ottomans ne pouvaient prétendre leur ? Et sait-on que le chiffrage de la population autochtone de la Régence d’Alger déjà variait à l’époque de un à quinze ? Marçot s’efforce de tenir ses chiffres, de ne rien tenir pour acquis qu’il ne l’ait coupé, recoupé ; en bon bélier, il ne daigne faire œuvre que s’il croit faire œuvre pionnière. Et, le (bon) bougre, il y parvient, à ceci près que, dans son idéalisme social, il imagine qu’on ne sait pas assez, ou qu’on a pas su suffisamment tôt que le socialisme en gros avait été colonialiste tandis que la Droite ne l’avait pas toujours été, loin de là. Mais, pour l’historien des idées, pour le philosophe plus encore, la chose était connu comme le loup blanc. Louis de Bonald disait qu’il n’avait jamais vu d’Homme ; il ne connaissait que des hommes, particuliers, inséparables de leur contexte et, donc, qu’on ne pouvait appréhender que dans le cadre des cercles concentriques de leurs appartenances (familiales, professionnelles etc), finalement de leur milieu. La Droite est par nature écologique : elle devait comprendre dès le début qu’assimiler à la civilisation judéo-chrétienne un territoire qui, quoi qu’on en dise n’était pas vide, qui était un terroir arabo-musulman était une entreprise vouée à l’échec. Faire revivre les berbères de saint Augustin ? La Gauche colonialiste ne l’imaginait même pas. Non, toujours on bute sur le passé, d’un individu, d’un pays déjà constitué ; d’une personne, d’un ensemble qui peuvent éventuellement grandir si c’est pour… agrandir ce qu’on appelle son pré-carré. Mais, avec l’Algérie, on tombait dans l’Empire ; or, un empire n’est à la lettre jamais nécessaire ; il ne peut se réaliser (avec peu de chances de perdurer) qu’avec l’usage de la force. Il y a «empire», et non plus nation qui grandit, lorsque la géographie, la religion, la culture, la langue séparent. Ici, on avait la totale. Mais une branche de la Droite avait peut-être pigé la chose lorsqu’elle laissa entendre que l’entreprise coloniale pouvait réussir si le colonisateur initial faisait en sorte de prendre le risque de se laisser coloniser à rebours. On rejoint là les visées d’un Soustelle. Acceptons un vaste et ultramarin empire français avec l’élection au suffrage universel d’un président d’une république impériale possiblement d’origine sénégalaise… et noire. Laissons-nous tous réciproquement faire, sans craindre de nous faire refaire, laissons les cultures s’interpénétrer, que la meilleure gagne, au risque, somme toute mineur, de l’acculturation comme bénéfice mutuel, voire comme moindre mal.    

Bref, il n’y avait qu’ainsi que tout un chacun eût pu accepter une Chambre des députés à dominante musulmane, qu’ainsi que le Traité de Paris de 1763 ne pouvait se réitérer, qu’ainsi qu’on aurait pu parler d’Algérie française : en acceptant l’hypothèse d’abord théorique puis pratique que la France devinsse algérienne. Mais aussi, en étant conscient que rien ne se juxtapose longtemps (c’est ce que pourtant nie le multiculturalisme), que toujours l’un l’emporte sur l’autre (par fusion/absorption), qu’à l’être correspond le territoire, en résumé que les paramètres juridico-politiques ne tiennent qu’en tant qu’ils se fondent sur les données culturelles.

A La Découverte, on navigue plus sur de la morale c’est-à-dire sur la vision du passé à l’aune du présent qu’on ne table sur la véritable exploration des origines telle que l’a entreprise Jean-Louis Marçot. Seul l’excellent Abderrahmane Bouchène, fondateur des éditions du même nom [1], ne verse dans ce travers. Pour reprendre l’expression gaulliste, il sait que, comme la France dont l’histoire remonte du «fond des âges», l’épopée ‘‘algériste’’ ne commence pas en 1954, ni, même, en 1830 : quand, chez quelqu’un ou pour un pays, il y a destin, disons-nous bien que celui-ci prend sa source très loin, très en amont de tous nos préjugés. C’est dire que la somme de Marçot tout à la fois éclaire, complète les survols ou les analyse de cet ouvrage collectif et le contredit. Parce qu’à l’orée du travail du pied-noir, il y a ces interrogations sous-jacentes, du genre ‘‘Qu’est-ce un peuple ? Existe-t-il un peuple primordial et, alors, où s’arrêtera-t-on ?! A-t-on moralement le droit de vouloir les autres autrement qu’ils sont ?’’ et sans doute toutes les autres qui découlent de la volonté d’assumer un idéalisme réaliste, le seul qui vaille si l’on croit, comme disait l’autre, qu’il n’y a pas d’idées généreuses mais seulement des idées vraies ou fausses.

La belle utopie de Marçot est sans nul doute un livre pionnier, novateur qui, accolé sur le rayonnage de votre bibliothèque à l’Histoire de l’Algérie coloniale susvisée, vibre, on nous l’accordera, à de plus hautes fréquences. C’est que, tout à sa rigueur, à sa passion et à son enthousiasme, elle laisse la porte ouverte : son sous-titre est figurativement justifiée - l’Algérie française n’a pas eu lieu -. Mais, au plus invétéré des progressistes, elle laisse cependant accroire qu’elle peut un jour en substance advenir.  

Hubert de Champris

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Histoire de l’Algérie à la période coloniale, 1830-1962,

s. d. de Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault,

éditions de La Découverte,

Nombre de pages : 728

Prix : 27 €

 

 

 

[1] lire en particulier chez cet éditeur Alain Blondy, Hugues de Loubens de Verdalle, cardinal et Grand Maître de l’Ordre de Malte, avant-propos d’Aimery de Verdalle, préface de Jean Leclant, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.


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