La proposition de loi qui sera discutée le à partir du 10 mars dans nos assemblées parlementaires, parle dans ses motifs de « sédation profonde jusqu’au décès » et de « sédation profonde et continue pour accompagner l’arrêt de traitement ». Une astuce verbale pour désigner une sédation à but euthanasique.
DANS L'ARTICLE 3 de la proposition de loi Claeys-Leonetti, le procédé dont on demande l’autorisation est décrit précisément comme « un traitement à visée sédative et antalgique (c’est-à-dire pour faire dormir et apaiser la douleur) provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie ».
Quel jugement porter sur ce nouveau dispositif ? Cela ne semble pas être directement une euthanasie, qu’on définit communément comme une action ou une omission qui de soi ou dans l’intention donne la mort afin de supprimer toute douleur.
La sédation temporaire
Pourtant la sédation existe déjà, elle est pratiquée et autorisée. Comme sédation en « phase terminale ». Elle est temporaire, quand il s’agit d’atténuer les souffrances de tous ordres, douleurs physiques, souffrances psychologiques ou morales, voire tout simplement d’offrir au malade un moment de repos dans son dernier combat.
Ces sédations ne sont pas irréversibles, on en revient ; elles peuvent d’ailleurs se répéter. Il se peut aussi que le malade s’éteigne au cours de l’une d’entre elles sans qu’on l’ait voulu directement. Cette sorte de sédation, temporaire et réversible, que certains malades peuvent d’ailleurs refuser, de multiples raisons peuvent la justifier : améliorations imprévues, changement de décision du malade lui-même, meilleures réactions aux soins, etc.
Retenons surtout que c’est la phase de la maladie qui est dite ici terminale, autant qu’on puisse en juger, mais ce n’est pas la sédation elle-même, qui n’est, dans ce cas, qu’un élément des soins palliatifs. On a même vu des malades revenir pour un temps, mystérieusement, de cette période qui semblait terminale.
La sédation « à but terminal »
Il en va tout autrement de cette « sédation terminale » dont on parle dans l’exposé des motifs de la loi, appelée aussi dans le même texte « sédation à but terminal ».
La redondance de cette dernière formule montre bien qu’on pense alors à un endormissement ou à une sédation pour que ça se termine ! Le même texte précise qu’il s’agit d’une « sédation profonde jusqu’au décès », précisant, pour que tout soit clair, « profonde et continue ».
Si les mots ont un sens, cela signifie que le médecin pose un acte qui décide que c’est la fin, au sens où il décide du dernier sommeil de son malade. Ou que le malade le demande puisqu’on l’envisage comme un droit. L’issue fatale ne peut manquer de survenir d’ailleurs puisqu’on associe la sédation à la cessation de toute nutrition et hydratation.
Au vu de la science et de l’art médical, mais on le dit aussi familièrement, « c’est la fin » ! Mais cette expression, qu’on y réfléchisse, ne sera jamais vérifiée qu’a posteriori. Dès lors peut-on décréter, a priori, que ce sommeil provoqué sera le dernier ? Si oui, alors c’est que l’on considère que cet endormissement artificiel, ce « traitement à visée sédative et antalgique » est voulu comme définitif, irréversible et irrémédiable.
Une astuce verbale
C’est bien une sorte d’euthanasie lente que cette loi veut autoriser : plonger le malade dans un sommeil dont la seule issue est la mort ; moins violente au plan moral que l’euthanasie directe, mais une euthanasie tout de même : une décision d’écourter la fin de vie, selon un plan arrêté.
Précisons ici que cette proposition de loi contient également cette courte incise en son article 2, déjà formulée dans les motifs de la loi Léonetti, mais intégrée ici comme article de loi à part entière : « La nutrition et l’hydratation artificielle constituent un traitement. » Nous avons tenté de montrer ailleurs (Manières de penser – Arguments et tromperies en bioéthique, F.-X. de Guibert, juin 2013) que la nutrition et l’hydratation ne sont artificielles que par les procédés techniques employés ; elles sont assistées médicalement, mais c’est le malade qui se nourrit et s’hydrate même s’il est aidé.
Les limites de cette aide sont les limites mêmes du métabolisme des fonctions digestives et d’assimilation. Elles diminuent progressivement mais restent commandées par le malade lui-même. Il ne s’agit pas de traitement mais de répondre aux besoins vitaux par des soins dus à tout malade, même en fin de vie.
L’astuce verbale de la « sédation terminale » cache donc un procédé d’euthanasie. Ce ne serait pas la première fois que l’on autoriserait par la loi des actes contraire à la pratique médicale et au droit à la vie. S’il y a bien un endormissement dans cette affaire, n’est-ce pas celui des consciences ?
Bruno Couillaud est philosophe. Il enseigne à l’Institut de philosophie comparée. Dernier ouvrage paru : Manières de penser – Arguments et tromperies en bioéthique, F.-X. de Guibert, juin 2013.
Sur ce sujet :
Notre dossier "Le droit de la fin de vie"
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