Le parti socialiste avait promis de lancer la bataille parlementaire de l’euthanasie dans les plus brefs délais. C’est chose faite avec l’enregistrement le 8 juin dernier à la présidence du Sénat d’une proposition de loi qui vise à la légaliser. Assurée de disposer d’une confortable majorité à l’Assemblée nationale dès le 17 juin, plus rien ne s’oppose à ce que la gauche passe en force pour faire adopter une « assistance médicalisée à mourir » dans les prochains mois.
La proposition de loi « relative à l’assistance médicale pour mourir et à l’accès aux soins palliatifs » présentée par le sénateur socialiste Roland Courteau veut instaurer un droit à l’euthanasie dès lors que le malade est volontaire : « Toute personne, majeure non protégée, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit l'origine, lui causant des souffrances physiques ou psychiques qui ne peuvent être apaisées ou qu'elle juge insupportables, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d'une assistance médicale pour mourir ».
Le texte sénatorial étant un décalque de la législation belge du 28 mai 2002, il peut faire l’objet d’un commentaire critique étayé par les études et les enquêtes mettant en évidence les nombreuses dérives observées en Belgique après 10 années d’autorisation de l’euthanasie.
La porte ouverte à toutes les dérives
Comme chez nos voisins, les termes choisis ouvrent la porte à toutes les dérives. En particulier, la mention de souffrances psychiques constitue un boulevard à l’euthanasie de malades atteints de démences type maladie d’Alzheimer ou tout simplement en situation de forte dépendance. Les premiers cas d’euthanasie pour « dépression » ont ainsi été déclarés en Belgique comme l’indique le rapport parlementaire Solidaires devant la fin de vie qui parle « d’un dangereux précédent [1]». Est même apparue ces dernières années la notion d’euthanasie pour « patients d’âge très avancé atteints de pathologies incurables multiples [2]». On pourrait rétorquer qu’un malade atteint d’une maladie neurodégénérative avancée ne pourrait pas être considéré comme ayant toutes ses facultés intellectuelles, et donc serait dans l’incapacité de consentir à une euthanasie. La proposition de loi française contourne ce problème en instaurant des directives anticipées pour le cas où la personne serait hors d’état d’exprimer sa volonté.
On remarque d’ailleurs dans le projet socialiste l’insistance sur le caractère subjectif de la demande d’euthanasie puisque c’est la personne qui « juge insupportable » ses souffrances. Confrontés à la demande de piqûre létale pour « fatigue de vivre » ou « sentiment de perte de la dignité » – autant d’expressions retrouvées dans les formulaires remplis par les médecins belges –, la commission fédérale de contrôle a reconnu là-bas que le « caractère insupportable de la souffrance est en grande partie d’ordre subjectif et dépend de la personnalité du patient, des conceptions et des valeurs qui lui sont propres [3]». Autrement dit, le principe d’autodisposition du sujet mis à l’honneur dans le texte socialiste crée un droit à mourir opposable aux médecins.
Absence de contrôle
Pour tenter cependant de rassurer ses collègues, le sénateur Roland Courteau souhaite mettre en place des garde-fous en instituant « dans chaque région une commission régionale présidée par le représentant de l’Etat ». Celle-ci serait chargée de « contrôler, au vu des rapports et documents qui lui seront adressés, la régularité des procédures d’assistance médicale à mourir ». En cas d’infraction, la commission régionale transmettrait le dossier à une commission nationale, laquelle pourrait à son tour saisir le procureur de la République. On retrouve le même meccano technocratique en Belgique dont on sait aujourd’hui qu’il a fait la preuve de son inefficacité.
En effet, dans l’enquête qu’il a menée auprès de praticiens belges, le Collectif plus digne la vie révèle que la volonté du patient n’est pas toujours prise en compte et que les euthanasies clandestines se multiplient [4]. Il n’est paradoxal qu’en apparence que l’euthanasie « librement consentie » s’accompagne d’une progression concomitante des cas d’euthanasies « hors-la-loi ». En effet, une fois que la société décide de légitimer l’euthanasie d’un malade qui en fait la demande, les médecins et les familles en viennent à juger finalement qu’il en est mieux ainsi pour tout malade placé dans les mêmes conditions, même si ce dernier ne donne pas son accord. Pourquoi faire passer de vie à trépas un patient atteint d’un cancer en phase terminale qui le réclame et pas un autre patient qui se trouve dans la même situation mais qui n’en aurait pas émis le souhait ? Tout se déroule donc comme si la loi, en augmentant la permissivité et la tolérance envers l’aide médicale à mourir entamait la détermination des soignants et des familles qui en viennent à traiter la mort comme une simple option en fonction de la qualité de vie du malade, que celui-ci soit ou non consentant.
Parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets, on peut être certain que légaliser l’euthanasie en France reviendra comme chez nos voisins à rabaisser le niveau des exigences soignantes et éthiques des professionnels de santé et rendre à terme favorables toutes les conditions pour que les malades soient euthanasiés contre leur volonté. Mais alors, comment continuer à faire confiance au soignant si l’euthanasie entre dans le cadre de ses attributions ? Comment ne pas soupçonner qu’il passera à l’acte lorsque la maladie prendra le dessus ? De proche en proche, le soupçon se propagerait inexorablement à l’ensemble d’une société devenue méfiante face au pouvoir exorbitant détenu par un corps médical préposé à la mort.
Une chambre d’enregistrement
L’absence de contrôle décrite en Belgique trouve une explication dans le mode de fonctionnement de la commission fédérale mise en place dans ce pays. Sur les 3451 euthanasies pratiquées entre 2003 et 2009 (avec une augmentation de 250% dans la fourchette étudiée !), aucune n’a jamais fait l’objet d’une transmission au Parquet. Le rapport parlementaire Solidaires devant la fin de vie est particulièrement critique sur ce point : « Même si aux dires des représentants de la commission fédérale devant votre rapporteur, il arrive que les dates de naissance des personnes euthanasiées soient omises dans les déclarations, même si un cancer de la prostate a pu être attribué par un médecin à une femme euthanasiée, la commission se félicite [de] l’application de la loi (…). L’absence totale de saisine judiciaire amène à s’interroger sur la réalité du contrôle a posteriori effectué : soit on est en présence d’un professionnalisme exceptionnel (…), soit on est conduit à avoir des doutes sur la réalité de ce contrôle [5]».
L’unanimisme et le conformisme de pensée qui règne dans une commission composée de membres tous favorables à l’euthanasie font que ce genre d’instance n’est finalement qu’une chambre d’enregistrement sans réel pouvoir de contrôle. Il est permis d’avoir des doutes non seulement sur l’impartialité de jugement des personnes qui y siègent mais plus généralement sur une procédure qui repose sur l’entière « bonne foi » des médecins. On voit mal en effet un professionnel rédiger explicitement dans son rapport que le malade qu’il a euthanasié ne souffrait pas ou n’était pas consentant ! Le projet socialiste, s’il venait à être adopté, conduirait aux mêmes ornières : la mise en place par l’Etat d’un système administratif incontrôlable dédié aux affaires euthanasiques avec ses propres règles, ses fonctionnaires, ses formulaires…
Confusion entre euthanasie et rejet de l’acharnement thérapeutique
Enfin, les justifications listées dans l’exposé des motifs à l’appui de la proposition de loi traduisent une méconnaissance inquiétante de la question de l’accompagnement des malades en fin de vie. On y lit par exemple que « ce sont 15 à 20 000 arrêts des soins qui sont pratiqués chaque année en France sur des patients en réanimation, conduisant à une mort certaine, sans avoir la connaissance de leur volonté. Il est impensable que le législateur se satisfasse d’une telle situation ». La confusion sémantique et éthique est totale.
D’abord, il ne s’agit pas d’arrêts de soins mais d’arrêts de traitements, les soins étant toujours dus au malade. Ensuite, la suspension des traitements de réanimation n’équivaut en aucun cas à une euthanasie lorsque le but recherché est de ne pas tomber dans une attitude d’acharnement thérapeutique contraire à l’éthique médicale et à la dignité du malade. Les réanimateurs français le savent parfaitement, eux qui ont été les premiers à défendre la loi Leonetti et à l’intégrer dans leurs pratiques. Pour défendre une profession injustement montrée du doigt dans l’exposé des motifs, nous citerons cette analyse solide issue des recommandations de la Société de Réanimation de Langue Française : « Il ne faut pas comprendre sous le terme d’euthanasie passive la limitation ou l’arrêt des traitements relevant, non pas de l’intention de donner la mort, mais du renoncement à l’acharnement thérapeutique, qui intervient lorsque l’on constate que la mise en œuvre d’un traitement ou sa poursuite relève de l’obstination déraisonnable. Toutes les formes d’administration intentionnelle de la mort, directes ou indirectes, sont interdites par la législation française. Le Code de déontologie médicale rappelle cette interdiction dans son article 38 (…). Les décisions de limitation ou d’arrêt des traitements doivent donc être distinguées de l’euthanasie « active » et de l’euthanasie « passive ». Elles en diffèrent radicalement par leur intention : intention de provoquer ou d’accélérer la mort dans le cas de l’euthanasie, intention d’éviter des traitements et des souffrances inutiles dans le cas du renoncement à l’acharnement thérapeutique. Cette distinction est parfaitement claire [6] ».
La question de l’intention est centrale comme l’a montré l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui définit l’euthanasie comme « l’usage de procédés par action ou par omission permettant de provoquer intentionnellement la mort d’une personne dépendante dans l’intérêt allégué de celle-ci ». Seule l’intention d’éviter une « obstination déraisonnable » autorise un médecin à stopper un traitement devenu inutile ou disproportionné. Dans ce cas, la cause de la mort qui peut en découler est la pathologie sous-jacente. Le malade, s’il décède, ne meurt pas du fait du médecin mais du libre cours de sa maladie dont il devient déraisonnable d’empêcher l’issue fatale.
Au final, notre jugement sur la proposition de loi socialiste est très sévère. L’incohérence du raisonnement, la confusion dans la pensée et l’ignorance du bilan observé dans les pays qui ont légalisé l’euthanasie suffisent à discréditer la démarche de la gauche dont l’intransigeance idéologique n’échappera à personne.
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[1] Solidaires devant la fin de vie, Rapport d’information parlementaire n. 1287 (2 tomes), Assemblée nationale, Paris, décembre 2008.
[2] Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. Quatrième Rapport aux Chambres législatives (publié en 2010), p. 24.
[3] Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. Premier Rapport aux Chambres législatives (publié en 2003), p. 16.
[4] Collectif plus digne la vie, « Légalisation de l’euthanasie en Belgique : un bilan », mars 2012.
[5] « Solidaires en fin de vie », op. cit., p. 141.
[6] S. Grosbuis, F. Nicolas, S. Rameix, O. Pourrat, F. Kossman-Michon, Y. Ravaud, F. Blin, P. Edde, « Bases de réflexion pour la limitation et l’arrêt des traitements en réanimation chez l’adulte », Réanim Urgences 2000 ; 9 : 11-25, p. 14.
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