Tandis que l’UMP ne s’occupait que de son dérisoire nombril, Jean-Christophe Cambadélis a dit une chose très juste hier pendant la soirée électorale européenne : « La France entre dans une zone où tout est possible. » J’ajouterai que tout et son contraire sont possibles. Non pas tant à propos du jeu des partis, mais d’une réalité cruciale pour comprendre ce qui se joue au plan historique : La France se morcelle, la France part en morceaux.
Dans une interview récente au Nouvel Obs, le géographe Christophe Guilly s’exclame :« Le vivre-ensemble c’est fini ! » et explique comment ce morcellement dépasse le cadre ethnico-religieux pour présenter également un visage sociogéographique :
« La révolte gronde dans ce que j'appelle la France périphérique, c'est-à-dire les territoires qui sont à l'écart des grandes métropoles : bourgs, petites villes, la plupart des villes moyennes, une partie du périurbain et le monde rural. C'est une immense partie du territoire qui accueille 60 % de la population et 80 % des nouvelles catégories populaires : ouvriers, employés, petite classe moyenne en voie de paupérisation, jeunes et retraités issus de ces catégories. »
Pourquoi la révolte gronde
Pourquoi la révolte gronde-t-elle ? Pour répondre à cette question, il faut comprendre les aspirations vitales de cette France profonde et laborieuse :
♦ la protection, notamment des emplois ;
♦ la sécurité des biens et des personnes ;
♦ les repères éducatifs et d’identité ;
♦ l’autorité dans la famille, à l’école et bien sûr dans la sphère politique ;
♦ la stabilité, car le peuple n’est pas nomade mais sédentaire.
Ajoutons que ce peuple vomit l’assistanat parce que le travail est pour lui une culture profonde et le moteur d’éducation des enfants.
Ces aspirations ne sont pas une idéologie mais se forgent avec bon sens et lucidité à partir de ce que les gens vivent à Saint-Omer, Fresnoy-Folny ou Carhaix. Ici, on a les yeux ouverts quand, à Paris, Strasbourg ou Bruxelles, on les ferme.
Les élites expliquent – en décalage complet avec les besoins du peuple - qu’on n’a pas d’autre choix que de « peser dans la compétition mondiale », que la mondialisation est « irréversible », qu’il faut aller chercher « la croissance avec les dents », qu’il faut « être mobile », etc. Le tout agrémenté de promesses d’égalité jamais réalisées et d’incantations morales inopérantes sur le vivre-ensemble.
Exorciser le peuple
Les élites sont en panique morale et voudraient exorciser le diable populisme. Voici que le peuple – jadis mythifié sous l’étendard de la liberté, de l’égalité et de la fraternité – devient soudain une incongruité, voire un monstre à contenir, quand il réclame protection, frontières, sécurité, repères, identité, stabilité et autorité.
Ce peuple ne se contente plus de la providence de l’État pour adoucir la perception de son sort, pour accepter l’abandon dont il est l’objet. Cette providence ne suffit plus à empêcher les gens de dire « ça va péter », comme en témoigne Jean Lassalle, le député qui marche. On a envie que « ça pète » quand on n’a plus grand-chose à perdre.
À l’inverse, à Paris, Strasbourg ou Bruxelles, on a beaucoup à perdre : la monnaie et les bourses sont stables, l’inflation est faible, l’immobilier continue de grimper et l’or est au plus haut. Bref, le patrimoine et l’épargne sont protégés. Voici donc nos élites urbaines accrochées à leur conservatisme, rétives au moindre renversement de perspective.
Ce conservatisme n’est pas d’abord idéologique, mais social et patrimonial. Il est un instinct grégaire de conservation, un réflexe de classe. « Depuis des années, on entend des partis bourgeois, qui font du gras », disait Eric Brunet hier soir sur BFMTV. C’est tellement vrai…
La France en état de choc vacille donc entre un ras-le-bol pré-révolutionnaire et un conservatisme patrimonial pré-totalitaire.
Le poison de la lutte des classes
Il y a urgence : la France part en morceaux, le bien commun est en miettes. Mais la lutte des classes est un poison, pas une solution. L’urgence n’est pas de faire de la "pédagogie" afin que le peuple comprenne enfin, non. Il y a urgence pour que la France urbaine aisée lève le nez de son relevé de patrimoine, ouvre les yeux, tourne le dos à son conservatisme, s’intéresse au peuple et assume enfin ses responsabilités.
Elle a une responsabilité compte tenu de son niveau de vie, de culture et d’instruction, mais aussi compte tenu de sa position et de son pouvoir. L’égalité n’existe pas dans le corps social, mais la justice doit exister.
Qui défendra le faible sinon le fort ? Qui protégera le peuple des prédations sinon ceux qui ont un pouvoir ? Qui donnera les repères sinon ceux qui sont le plus instruits de la sagesse des siècles ? Qui assumera la véritable autorité ? Qui restaura la substance politique qui est de servir et protéger ?
Guillaume de Prémare
Analyse diffusée sur Radio Espérance du 26 mai 2014.
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