Le pape François a rendu publique dimanche 4 octobre sa troisième encyclique, intitulée, en italien, Fratelli tutti, ou Tous frères. Nombreux sont ceux qui aiment à répéter, à l’envi, que le pape ne doit pas « faire de politique ». S’il n’est pas dans son rôle de donner des consignes de vote, la vision anthropologique qui se dégage de ses écrits, a, évidemment, à voir avec la politique, et cela était déjà le cas à l’époque de saint Jean-Paul II, dont le pontificat fut évidemment politique, ou encore de Benoît XVI.
Le texte du pape François n’échappe pas à la règle, mais va même plus loin, en se positionnant explicitement sur des questions très politiques, qui malheureusement sont empreintes, dans le meilleur des cas, d’un angélisme irénique sans responsabilité, au pire, de relents de marxisme du pauvre. Si le constat de départ relève de l’évidence – la faillite du néolibéralisme, et le triomphe d’un individualisme mortifère –, les solutions pour remédier à cet état de fait peuvent laisser perplexe.
La parabole du Bon Samaritain constitue l’une des chevilles du texte : l’homme secouru et soigné sur le bord de la route devient ainsi sous la plume du pape François la figure du « migrant », éternel racheté. Il faut pourtant le rappeler : dans le contexte évangélique, ni le Samaritain, ni l’homme blessé et soigné ne sont des « étrangers ». Dans l’exploitation qui est faite de la parabole, une certaine confusion est à l’œuvre : l’impératif de charité individuelle est une chose, la préservation de l’équilibre des nations par le pouvoir politique en est une autre, et ce n’est pas la première fois que les ordres sont ainsi confondus, donnant lieu à une vision sentimentaliste de la politique, avec de gentils étrangers à accueillir à bras ouverts s’opposant à de méchants gouvernements ou hommes politiques xénophobes, populistes et nationalistes – des termes utilisés avec récurrence dans le texte pontifical.
L’horizon proposé par François dans ce texte pose question : très politique, trop politique. La formule « une amitié sociale inclusive et une fraternité ouverte à tous» a des airs de discours de campagne d’Anne Hidalgo, tout comme sa vision d’une « culture de la rencontre ». Le pape François ne se contente pas de poser des principes vagues comme «l’amitié sociale inclusive » ; il se prononce en faveur de pistes concrètes problématiques, par exemple le renforcement des organisations internationales, ou une « gouvernance globale des migrations », sans avoir la prudence de rappeler que les instances internationales et supranationales sont aujourd’hui les meilleures garantes d’une gouvernance mondiale au service de la culture de mort. Il prend acte de l’affaiblissement des Etats-nations, non pour appeler à leur renouveau, mais pour qu’ils s’effacent au profit du transnational, une idée déjà contenue dans Laudato Si.
Au nom d’une fraternité universelle politiquement irréalisable, le pape François a pris le parti d’abattre trois réalités cruciales : les frontières, passées par pertes et profits, de même que toute idée de nation comme garante d’une culture et d’une identité héritées. Les frontières ne sauraient s’opposer à l’arrivée du migrant, qui ne doit pas être exclu, ni considéré comme minoritaire, mais doit bénéficier sans conditions de la citoyenneté dans son pays d’accueil. La propriété privée est aussi relativisée. Enfin, « jamais plus la guerre » : le pape s’attaque à la notion de guerre, dans une déclaration d’intention qui a des relents de pacte Briand-Kellogg, par lequel les nations s’engageaient en 1928 à faire « guerre à la guerre », avec les conséquences brillantes que l’on sait.
A la lecture de ce texte, le lecteur ne peut s’empêcher de considérer que notre pape reste marqué par des conceptions qui ont fait les beaux jours de la théologie de la libération en Amérique latine dans les années 1970, comme lorsqu’il fait l’apologie de l’économie populaire et de la production communautaire.
Pour finir, en appelant à une fraternité universelle sans contours, le risque est grand d’oublier qui est le frère. Le pluralisme religieux est entériné comme un fait non négociable, comme en témoigne le huitième chapitre : « Les religions au service de la fraternité dans le monde ». Le catholicisme apparaît comme une option parmi d’autres dans le grand marché de la recherche du bien commun. Au passage, on relèvera des déclarations que ne renieraient pas les journalistes de BFM sur le terrorisme fruit d’une interprétation erronée des textes religieux. Il n’est pas anodin que le pape reprenne à l’occasion de l’encyclique le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, signé à Abou Dhabi, avec le Grand-Imam d’Al-Azhar, Ahmed Al-Tayyeb. Le dialogue est érigé en valeur auto-référente, au détriment de la mission et de la conversion, dont il est bien peu question dans cette encyclique. Le pape achève son texte par une référence à Charles de Foucauld, l’apôtre du désert, qui se voulait être le « frère universel ». Mais - et cela, Charles de Foucauld le savait bien - l’ultime fraternité possible n’est-elle pas celle de la foi ?
Constance Prazel
Pour retrouver l'intégralité du texte de l'encyclique : http://www.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/papa-francesco_20201003_enciclica-fratelli-tutti.html