La décision est tombée comme un couperet en début de semaine : Mgr Aupetit a confirmé, dans un communiqué, vouloir procéder au licenciement de François-Xavier Clément, le directeur du prestigieux établissement parisien Saint-Jean de Passy mis à pied manu militari, dans des circonstances opaques, au lendemain de Pâques et en plein confinement.
L’autorité ecclésiale a tranché… Cet arbitrage venu d’en-haut n’est toutefois guère susceptible d’amener l’apaisement escompté. Mgr Aupetit a tranché, en donnant raison aux auteurs de la cabale, alors même que tout indique que rien n’a été fait dans un souci de justice et de vérité. De très nombreuses questions restent. Mgr Aupetit déclare avoir pu se faire son idée sur la foi d’éléments reçus et de témoignages ; il avait nommé comme médiateur Mgr de Romanet pour enquêter et tâcher d’y voir plus clair et « entendre les représentants de la communauté éducative », mais l’on se demande comment une véritable enquête contradictoire a pu être menée correctement alors que l’on était encore en plein confinement. Les collectifs de parents ont réclamé avec force d’avoir eux aussi, dans un souci de transparence, accès aux éléments de dossier, et ont été soutenus dans cette démarche par Mgr de Romanet : cela leur a été refusé.
Le communiqué de l’archevêché, en date du 12 mai, pointe à juste titre la brutalité des méthodes à l’origine de l’affaire (la mise à pied par voie d’huissier de François-Xavier Clément et de Jean Ducret, sans le moindre respect de la présomption d’innocence), mais que dire des nouvelles méthodes employées depuis ? La manière dont l’enquête contradictoire a été menée pose question. Quant à la confirmation du licenciement du directeur, les parents d’élèves n’en ont pas été informés directement, et l’ont découverte par voie de presse.
À l’heure où la transparence est érigée en vertu quasi-théologale par le monde nouveau, on ne sait toujours rien de concret sur ce qui est reproché à François-Xavier Clément, hormis de « graves souffrances générées par les pratiques managériales mises en œuvre au sein de l’établissement ». La hiérarchie ecclésiale joue sur les deux tableaux de manière consternante : soit l’on est dans le monde ancien, et l’on agit dans l’ombre, de manière chirurgicale, pour régler le problème si problème il y a, soit l’on est dans le monde nouveau, et dans ce cas-là l’on communique ouvertement, avec transparence, selon les règles de la société civile : « même les païens en font autant ! »
La norme morale pour l’archevêque dans cette affaire n’est pas le bien ou le vrai, mais les « pratiques managériales », comme si c’était vraiment le cancer le plus grave qui minait aujourd’hui l’Eglise et l’enseignement catholique. L’Eglise de Paris se prend pour l’inspection du travail, tandis que l’inspection n’a même pas été convoquée… et se fiche des règles sur la présomption d’innocence, ou refuse de communiquer les pièces du dossier, en faisant la pluie et le beau temps comme à l’heure de l’Inquisition dans les pires fantasmes de la gauche… Quel dérèglement !
Aucun dépôt de plainte ; aucune plainte auprès de la médecine ou de l’inspection du travail ; aucune saisie du Conseil Economique et Social de l’établissement à charge contre François-Xavier Clément… Malgré cela, le licenciement du directeur est confirmé. Ces faits absurdes et incompressibles ne sont pas effacés par miracle par le communiqué de l’archevêque.
Les accusateurs affirment l’existence de potentielles souffrances chez des personnels de l’établissement. En ce qui nous concerne, nous aimerions rappeler que ces cas de souffrances au travail sont toujours extrêmement complexes – tant d’autres affaires le prouvent – et que les conditions n’ont pas été réunies pour obtenir un aperçu serein des faits. Et quand bien même ces souffrances seraient avérées, n’y a-t-il pas une saine prudence et sagesse à mettre en balance les problèmes authentiques de personnes isolées, qui peuvent être réglés avec les outils du monde du travail, avec le résultat de cette lamentable bataille ? Un établissement parmi les plus prestigieux de France, au projet spirituel magnifique, réduit en miettes. Une communauté éducative fracassée. Un corps enseignant secoué. Comment l’établissement peut-il espérer rebondir facilement, et garder le cap d’une transmission d’excellence de la foi après un tel séisme ? La personne qui remplacera François-Xavier Clément fera profil bas, c’est mathématique. Une chape de plomb pèsera sur elle, et elle devra choisir de ne pas faire de vagues pour sauver sa peau, tandis que l’œuvre de son prédécesseur risque fort, plus ou moins lentement, mais sûrement, d’être détricotée. Dans son communiqué, Mgr Aupetit insiste : il ne s’agit en aucun cas d’une remise en cause du projet excellent de l’établissement. Quelle naïveté : le catholicisme est pourtant une religion de l’incarnation… Un projet excellent n’est pas une sorte de formule magique suspendue dans les airs ; il doit de manière essentielle à celui qui l’incarne, et le conduit, jour après jour.
On parle de souffrances au travail, mais combien d’autres souffrances peuvent être mises en regard et sont, pour l’heure, tenues pour quantité négligeable : la souffrance des familles Clément et Ducret pour commencer, mais aussi la souffrance des professeurs qui doivent travailler dans une atmosphère délétère dans une période délicate, la souffrance des familles qui ont placé leurs espoirs dans une institution aux fortes valeurs pour que leurs enfants, bien formés, puissent affronter l’avenir avec confiance et droiture.
Tant d’autres avant nous l’ont dit : le Père Jean-Bernard Plessy, supérieur des Chartreux à Lyon, Yann de Cacqueray, directeur de Notre-Dame d’Orveau. En période de crise profonde de la jeunesse, de la transmission, de la culture, des vocations, nous avons terriblement besoin, notre jeunesse a terriblement besoin de chefs d’établissement comme François-Xavier Clément, qui en tant qu’éducateur catholique sait que le taux de mention au bac n’est rien sans le salut de l’âme. Il faut savoir transmettre et construire chez les jeunes élèves la force d’âme, pour résister aux assauts d’un monde qui n’entend pas nous faire de cadeaux : les témoignages d’anciens élèves, rendant hommage à leur directeur et à leur préfet, prouvent que MM. Clément et Ducret possèdent cette immense qualité. Il est terrible de se dire que ce sont les « pratiques managériales dysfonctionnelles » qui l’ont emporté, au mépris de tout le reste, et de tout le bien qui ressort de cette institution.
A Liberté politique et à Stop au porno, il n’y a quasiment pas de semaines où nous ne recevons pas de témoignages scandaleux sur ce qui se passe dans des enseignements dits catholiques. Professeurs ou directeurs notoirement en ménages homosexuels, enseignants tenant des propos en contradiction profonde avec l’enseignement de l’Eglise, ou pervertissant la jeunesse par les ouvrages mis à l’étude… Dans ces cas, où sont les rappels à l’ordre de la hiérarchie ? Les directeurs de l’enseignement diocésain ou les évêques sont généralement aux abonnés absents. L’archevêque de Paris, de son côté, mène un combat autrement plus important : il préserve la qualité des pratiques managériales.
« On juge un arbre à ses fruits » : cet axiome évangélique est aujourd’hui soigneusement oublié et contourné. Les fruits du traitement de l’affaire Saint-Jean de Passy sont pourtant bien aisés à analyser : ils sont amers et gâtés, et sur le temps long, ce sont, pour l’ensemble de l’Enseignement catholique, des fruits pourris. En attendant, le combat est loin d’être terminé.
Constance Prazel
Déléguée générale de Liberté politique