Combien va-t-il en rester intacts, de nos monuments culturels, de nos œuvres littéraires et artistiques, qui n’en finissent pas d’être passés au moulinet du politiquement correct, de la destruction idéologique et de la haine ?
Car il s’agit bien de haine dont font preuve ceux qui s’acharnent à corriger le roman d’Agatha Christie, à faire interdire le film Autant en emporte le vent, ou dans un autre genre, à réécrire l’opéra Carmen liquidé il y a quelques mois par des féministes qui n’ont rien trouvé de mieux que de transformer la belle gitane en assassin pour « venger » les violences faites aux femmes. Sous couvert d’une pseudo-fraternité, ils vomissent notre culture.
Al-Qaïda, les talibans puis Daesh nous ont appris à nous tirer des larmes et à nous révolter contre les offenses faites aux pierres : les bouddhas de Bamiyân en Afghanistan, détruits en 2001, ont symbolisé de manière forte la barbarie aveugle méprisant l’art et l’histoire. Plus récemment, nous avons assisté, impuissants, à la destruction de l’antique ville de Palmyre, en Syrie, parée de joyaux architecturaux réduits en poussière par l’Etat islamique. La destruction du patrimoine matériel, quand il est bien choisi et valorisé par les médias, frappe les consciences durablement, d’autant qu’elle est bien souvent irrémédiable : elle est facilement identifiable, et permet de désigner clairement « les méchants », auteurs des destructions.
Une dénonciation facile, évidente, qui ne doit pas nous faire négliger la destruction du patrimoine immatériel à laquelle nous assistons aujourd’hui, beaucoup plus insidieuse, moins visible, moins spectaculaire, mais dont les effets sur le long terme seront durables et profonds. Les censeurs qui nous gouvernent officiellement et ceux qui nous dirigent en coulisses décident de ce qui doit être lu et de ce qui doit être vu. Ils façonnent ainsi notre vision du monde, notre imaginaire, maintenant et pour les générations futures, à l’image du Ministère de la Vérité représenté par Orwell dans 1984, instrument redoutable de manipulation de la mémoire collective. Ils en viennent à transformer durablement les rapports entre les hommes, puis les habitudes de vie. Le quotidien s'enlaidit, les relations s'ensauvagent : il n'y a pas de hasard.
Le petit-fils d’Agatha Christie, James Prichard, a fait disparaître le mot « nègres » du titre français de l’œuvre d’Agatha Christie, sous le motif douteux que telle aurait été la volonté de l’auteur il y a quatre-vingts ans. Pourquoi donc prendre cette décision maintenant, en plein mouvement #BlackLivesMatter ? Quelle drôle de coïncidence… il ne s’agit évidemment que d’une nouvelle démission devant la dictature de la bien-pensance. Quelle offense, quel mépris, mais surtout quelle bêtise, que de considérer que les innombrables lecteurs de la célèbre romancière britannique (plus de 100 millions d’exemplaires vendus), sont tous devenus des racistes en lisant cette incroyable histoire policière ? Prichard dit avoir voulu opérer ce changement « pour ne pas blesser ». Mais qui blesse-t-on, au juste ? La comptine d’origine, utilisée dans le livre, s’appelle « Dix Petits Indiens », il n’est jamais venu à personne de considérer qu’Agatha Christie porte une responsabilité dans la discrimination qui frappe aujourd’hui les natifs américains sur le marché du travail… Il n’y a pas une once de racisme dans son œuvre. Cela s’appelle la littérature.
Les censeurs nous construisent un monde terriblement triste, à une seule dimension, sans profondeur historique, sans humour ni second degré, sans allégories ni symboles, sans jeu d’interprétation. Un monde régi par des mots secs et vides, comme ceux d’un slogan de parti unique. Pour l’instant, précipitez-vous chez votre libraire ou chez les bouquinistes pour acquérir le précieux petit livre de poche qui vaudra bientôt de l’or, lisez-le, faites-le lire à vos enfants et à vos petits-enfants : le meilleur moyen de les rendre libres !
Constance Prazel